Quand on se penche sur le chaudron plein d'ingrédients, d'intérêts et de lobbys contradictoires dans lequel se fabrique la politique de l'Administration Obama à l'égard de la Chine, on y décèle immanquablement l'importance de l'empreinte laissée par Henry Kissinger, l'homme qui fut, aux côtés de Nixon, l'architecte de la normalisation des relations sino-américaines à partir de 1972. Malgré son âge, son ombre tutélaire et ses nombreux canaux d'influence planent toujours sur les milieux intellectuels et politiques de Washington, pour prôner une politique globale de coopération, plutôt encline à passer sous silence la question des droits de l'homme ou les inquiétudes en matière de sécurité, au nom de l'importance stratégique cruciale du partenaire chinois, de son potentiel économique et de son influence globale croissante. À en croire les experts, cette approche de realpolitik, qui cherche à ménager la Chine, reste incontestablement très prégnante à travers l'Administration américaine, et notamment son équipe économique, confrontée à l'interdépendance intime des deux économies et à la question, très difficile, des déséquilibres commerciaux et de la sous-évaluation du yuan. Le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, un ancien collaborateur de Kissinger, qui aurait étudié le mandarin durant ses études, serait d'ailleurs « une force déterminante » dans le dossier chinois, à en croire la sinologue Dana White, ancien directeur pays au desk Chine du département de la Défense. De même que le secrétaire d'État adjoint Jim Steinberg, autre grand ami de la Chine.
Le poids économique de la relation explique évidemment cette volonté de déférence pragmatique, au moment où l'Amérique affronte une crise économique profonde et un taux de chômage de près de 10 %... De nombreuses corporations très actives à Washington au sein de ce qu'on appelle le lobby prochinois prônent la retenue. « Les Administrations américaines successives s'imaginent que si elles font des ouvertures et sont gentilles avec la Chine, celle-ci finira par les entendre, notamment concernant la réévaluation du yuan », note Dana White. « L'approche kissingérienne, très déférente, qui domine toujours à Washington se nourrit d'une vision romantique de la Chine, vieille civilisation millénaire revenant sur le devant de la scène. Mais cette vision surestime la puissance réelle chinoise, elle ignore le fait que c'est toujours un pays en développement, très fragile » qui n'est pas nécessairement en position de force, regrette-t-elle. Il n'empêche que l'approche conciliante, qui avait été prônée au début de l'Administration Obama, a largement été revue à la baisse au cours de l'année 2010, au fur et à mesure des déconvenues suscitées par le comportement chinois, au sujet du yuan, de Google ou de la Corée du Nord, note Richard Fontaine, ancien conseiller du sénateur McCain. Sur le plan économique, le Congrès est devenu une force importante qui menace de faire voter une loi qui permettrait de sanctionner « la manipulation de la monnaie » chinoise. « C'est un sujet explosif, comme l'ont montré les élections de mi-mandat, où la Chine a été mise au banc des accusés. Cette levée de boucliers au Congrès pourrait faire dérailler la relation sino-américaine », affirme une source au Sénat.
Alors que le régime chinois se refuse à libérer le dissident Liu Xiaobo, nouveau Prix Nobel de la paix, le lobby des droits de l'homme est aussi de retour en force à Washington. Le président Obama a pris le temps de recevoir cinq représentants d'organisations dissidentes. La secrétaire d'État, Hillary Clinton, qui avait éludé le dossier, a prononcé vendredi un appel vibrant à libérer les prisonniers politiques. « Je pense que Clinton représente intuitivement une approche de fermeté et qu'elle a aujourd'hui une plus grande marge de manoeuvre », confie Mary Beth Markey, de l'organisation International Campaign For Tibet. « Vu la force du formidable lobby prochinois de Kissinger et ses protégés, l'écoute de l'Administration en matière de droits de l'homme est même surprenante », note-t-elle. Le sous-secrétaire à l'Asie, Kurt Campbell, serait un allié de Clinton pour montrer plus de fermeté.
Un rôle clé
Un troisième groupe - représentant les questions de sécurité - influence également le débat de manière croissante. Emmené par Robert Gates, il a joué un rôle clé dans le renforcement d'alliances (avec l'Indonésie, l'Inde...) visant à contenir la poussée militaire chinoise. La synthèse est faite à la Maison-Blanche, où le nouveau conseiller à la sécurité nationale Thomas Donilon, a désormais la haute main sur le dossier chinois.
Au fond, note Richard Fontaine, chaque Administration revient à des « fondamentaux » simples après avoir essayé d'être novatrice. « Après avoir essayé une relation ambitieuse globale d'un type nouveau avec Pékin, l'Administration Obama revient à la tradition, en jouant la coopération tout en adoptant plus de fermeté sur les sujets de désaccord. »
Laure Mandeville
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