Le monde selon Xinhua
Une agence de presse qui ne cesse d'ouvrir des bureaux dans le monde entier, ce n'est pas fréquent, par les temps qui courent. Xinhua (Chine nouvelle) n'hésite pas. Elle emploie plus de dix mille personnes dans le monde, et compte 140 bureaux à l'étranger.
L'Europe est l'objet d'une grande attention : vingt-sept bureaux au total, dont un régional à Bruxelles. Et ce n'est pas fini : Xinhua sera bientôt présente en Croatie, en Slovénie et à Strasbourg.
Des ambitions sans limites ? Il en existe : contrôle de l'information, autocensure dans les agences Xinhua en langues étrangères.
Dans l'air flotte une odeur piquante de cuisine exotique. Des calligraphies rouge et or rappellent que nous sommes encore dans l'année du Tigre. Au coeur de Bruxelles, à deux pas de la Commission européenne, l'agence officielle Chine nouvelle a construit en 2006 un bâtiment qui est un peu une enclave chinoise en terre européenne. Le maître des lieux, Liu Jiang, parle un anglais parfait. " Appelez-moi John, ce sera plus simple. "
Le responsable du bureau régional de Xinhua (Chine nouvelle) en Europe n'a que les mots de " professionnalisme " et d'" objectivité " à la bouche. " Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir par rapport aux autres agences de presse, reconnaît-il. Mais nous souhaitons proposer une information plus objective et plus équilibrée. "
Xinhua a de grandes ambitions. L'agence ne cesse d'ouvrir des bureaux dans le monde entier. En Europe, elle en possède vingt-sept. Elle compte en ouvrir trois autres, en Slovénie, en Croatie et à Strasbourg. " Ce n'est qu'une question de visas ", précise le souriant " John " Liu. Au total, Xinhua compte 140 bureaux à l'étranger, dont sept régionaux : -Hongkong, Le Caire, Nairobi, Bruxelles, New York, Mexico et Moscou. Son objectif est d'en avoir 200 à l'horizon 2020. Un bureau devrait ouvrir à Taipei, bien que la Chine continentale considère Taïwan comme une de ses provinces.
Créée en 1931, l'agence s'est d'abord appelée Red China. Elle a pris le nom de Xinhua en 1937. Son expansion à l'étranger a commencé véritablement à partir de 1983. " En 2008, nous avons pris la décision de passer d'une agence traditionnelle à une agence multimédia ", déclare fièrement Liu Jiang.
Plus de 10 000 personnes travaillent pour Xinhua, dont 4 000 journalistes. L'agence produit 10 000 dépêches et 1 000 photos chaque jour. Elle diffuse des nouvelles en six langues, outre le chinois : anglais, français, espagnol, arabe, russe, portugais. Elle a recruté pour cela beaucoup d'étrangers. En Europe, elle emploie 90 journalistes chinois, envoyés de Pékin, et une cinquantaine de locaux.
Malgré ses efforts pour commercialiser ses services auprès des grands médias, les informations en langue étrangère sont surtout diffusées gratuitement sur son site Internet Xinhuanet.com. L'agence possède également une chaîne d'information en anglais, CNC World, lancée le 1er juillet. Elle est consultable sur Internet et sur tablette numérique.
Liu Jiang est très fier de sa dernière création : un grand écran multimédia, qui diffuse en boucle une quinzaine de sujets par jour, sous forme de courtes vidéos assorties d'un texte défilant en anglais au bas de l'écran. Les sujets traités sont très institutionnels ou culturels. Ce jour-là, il est question d'un festival de chrysanthèmes.
Une centaine d'écrans de ce type ont été disposés dans le monde, principalement dans les ambassades de Chine et les instituts culturels Confucius. Mais le patron de l'antenne européenne de Xinhua espère bien en installer dans les lieux de passage tels qu'aéroports ou centres commerciaux. " Nous construisons un pont entre les cultures, l'Europe et la Chine, s'enthousiasme-t-il. Si les Européens connaissaient mieux l'histoire de notre pays, ils n'accorderaient pas tant d'importance au prétendu problème tibétain. "
L'idée est bien là : la Chine est victime d'une " incompréhension " en Occident, et Xinhua est un moyen parmi d'autres d'y remédier. " N'ayez pas peur de l'essor de la Chine, martèle Liu Jiang avec des accents de prédicateur plus que de journaliste. Nos valeurs sont confucéennes. Cela signifie la voie du milieu, éloignée des extrêmes. La Chine n'a jamais eu de politique expansionniste. Elle veut la paix. "
Pour comprendre les grandes ambitions de l'agence, il faut remonter à 2008, annus horribilis pour le régime chinois. Pékin doit accueillir les Jeux olympiques. Mais, en mars, des manifestations sont durement réprimées au Tibet. Le parcours de la flamme olympique, qui devait être triomphal, se transforme en chemin de croix; des manifestants l'accueillent à Londres, à Paris, à San Francisco. L'image du pays est fortement écornée.
Les officiels réagissent de deux façons. En Chine, ils lancent une campagne pour affirmer que les médias occidentaux sont " biaisés ", qu'ils ne montrent que les aspects négatifs de la réalité chinoise. La deuxième initiative prend la forme d'un plan d'une ampleur inédite : 45 milliards de yuans (5 milliards d'euros) sont consacrés au développement des médias à l'étranger. Selon le South China Morning Post, quotidien en anglais de Hongkong, cette somme aurait été divisée en trois parts égales : une pour la télévision officielle CCTV, une pour Chine nouvelle, une pour le groupe du Quotidien du peuple. Ce financement serait à l'origine de l'ouverture de nouveaux bureaux de Xinhua à l'étranger.
L'objectif est de faire entendre la voix de la Chine, qui est un " nain médiatique " face aux grands concurrents occidentaux. " Il s'agit de développer un soft power, une puissance douce, une diplomatie publique, explique le sinologue Jean-Pierre Cabestan. Ces médias doivent montrer que la Chine ne se résume pas aux problèmes de droits de l'homme. Ils vont développer des sujets non controversés, tels que la culture, le développement économique, l'histoire ancienne, un peu le volet social mais traité de manière aseptisée et avec prudence. Ils veulent présenter un visage ouvert. "
Les médias chinois internationaux accordent une grande importance aux pays émergents. Xinhua possède vingt-cinq bureaux en Afrique subsaharienne. Dans ces pays, où les médias n'ont souvent pas les moyens de s'offrir des abonnements coûteux, elle propose une information à bas prix et souvent de bonne qualité sur les sujets locaux. " Pour les pays en développement, la Chine est un modèle de réussite économique, souligne Sébastien Le Belzic, expert français auprès de la chaîne CCTV francophone. Elle se veut aussi un modèle de non-ingérence. Les médias officiels exalteront par exemple l'amitié sino-africaine. "
Ces ambitions mondiales rencontrent vite leurs limites, qui sont celles du contrôle de l'information. L'agence Xinhua a évoqué très tardivement l'attribution du prix Nobel de la paix au dissident Liu Xiaobo. Trois jours après, et encore de manière très indirecte, en citant un journal russe qui écrivait que ce Nobel était " une attaque contre la Chine ". Quand on l'interroge à ce sujet, le responsable du bureau européen de l'agence se montre très évasif : " Ce n'est pas un événement très important. Beaucoup de Chinois ne savent même pas qui est Liu Xiaobo. L'attribution du prix a été trop politique. "
La censure s'exerce toujours à Xinhua en langues étrangères, de manière plus ou moins explicite. " Il s'agit plutôt d'autocensure, puisque c'est le chef de la section qui choisit des sujets à traiter, raconte un journaliste français qui a travaillé pour l'agence à Pékin. Il y a aussi les sujets obligatoires, qui font systématiquement l'objet de dépêches, comme les interventions du président Hu Jintao, du premier ministre, Wen Jiabao, ou les déclarations des porte-parole du ministère des affaires étrangères. "
Difficile de briller à l'étranger alors que Xinhua, sous tutelle du gouvernement central, n'est pas un modèle de transparence dans son propre pays. Elle est le principal fournisseur de neican ou " rapports internes " pour l'Etat-parti : un de ses départements charge les journalistes de rédiger des articles sur les sujets sensibles, qui sont ensuite publiés dans des revues classées " secret ", diffusées uniquement parmi les officiels selon leur rang. " Cela s'écrit comme un article, mais celui-ci ne peut être publié car il comporte un aspect critique envers une institution publique, explique un journaliste qui a été amené à en rédiger. Les dirigeants ont ainsi accès à l'information, qu'elle soit positive ou négative. "
Dans un système où l'opacité est la règle, les partisans de ces neican considèrent qu'ils sont un moyen pour le gouvernement central d'assurer la supervision des cadres locaux. Leurs détracteurs y voient la preuve que le droit à l'information reste l'apanage des dirigeants.
Pour Renaud de Spens, spécialiste des médias chinois, Xinhua a encore beaucoup de chemin à parcourir avant de constituer une réelle menace pour les médias occidentaux. " La véritable valeur de l'information, c'est la liberté. De ce point de vue-là, l'agence n'a guère changé. En Chine, les médias qui se vendent le mieux sont les plus libres. "
De nombreux journalistes chinois doutent de l'efficacité de la politique du soft power de l'information. C'est le cas de Ying Chan, fondatrice et directrice du Centre de journalisme et d'étude des médias de l'université de Hongkong. " La Chine a besoin d'une voix pour se faire entendre à l'étranger, convient la journaliste. Mais je doute que ces médias officiels, outils de contrôle étatique de l'information, soient la solution appropriée. " Ying Chan pointe également une contradiction dans cette politique : " L'Etat tente de promouvoir ses médias à l'étranger, mais, au même moment, il réprime les journalistes dans son propre pays : c'est tout le problème. "
Le gouvernement n'accorde pas non plus la réciprocité aux médias étrangers qui souhaitent se faire entendre en Chine. Les journaux internationaux y sont interdits de distribution et les chaînes étrangères ne sont diffusées que dans les grands hôtels. Et lorsque des articles du Guardian anglais ont été traduits en chinois sur Internet, le site a été très rapidement bloqué.
Xavier Ternisien et Harold Thibault
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