jeudi 27 janvier 2011

ENQUÊTE - Main basse sur Marseille - Gilles Gaetner


Valeurs Actuelles, no. 3870 - Jeudi, 27 janvier 2011, p. 10

Exclusif. Menaces, pressions, copinages : Alexandre Guérini n'a, à croire l'enquête judiciaire en cours, pas lésiné sur les moyens pour mettre Marseille et les Bouches-du-Rhône en coupe réglée. Autopsie d'un clientélisme qui rappelle les pratiques napolitaines ou siciliennes...

C'est une histoire en passe de devenir un cas d'école pour futurs magistrats ou policiers : une plongée dans un univers où le clientélisme est roi. Ici, on offre une HLM à un obligé; là, un emploi à un candidat qui n'a pas forcément le profil pour le poste; là encore, quelques gratifications pour services rendus. Enfin, on se sert copieusement, grâce à quelques complices, sur les très juteux marchés d'ordures ménagères et autres déchets. Parfois, on n'hésite pas à hausser le ton, à recourir à des menaces pour mieux tenir des gens grassement récompensés. Un drôle de jeu. Comme celui qui dure depuis des lustres à Naples ou à Palerme. Du genre Peur sur la ville.

Ce jeu s'est déroulé à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône de 2004 à 2009. L'acteur principal ? Il porte un nom que tout le monde connaît dans la cité phocéenne : Alexandre Guérini. Titulaire d'un bac philo obtenu en 1976, avant de fréquenter pendant deux ans la faculté de droit, «Alex», pour les intimes, s'est tout de suite tourné vers le monde des affaires, en l'occurrence le traitement des ordures ménagères. Un secteur où grâce à son entregent, son savoir-faire, il a su devenir incontournable tout en menant une vie très confortable. Laquelle trouve son origine dans la vente à Veolia, il y a quelques années, de SMA, l'entreprise de traitement de déchets fondée par Guérini et deux partenaires. Une cession qui lui rapportera 20 millions d'euros, dont 14 ont disparu dans la nature, ce qui n'est pas la moindre des énigmes de ce dossier. Aujourd'hui, Alexandre Guérini possède une écurie de chevaux de course, dispose de 120 000 euros de revenus annuels déclarés et de 350 000 euros de dividendes... Ce qui ne l'a pas empêché de vivre dans une HLM pour un loyer de 474 euros par mois.

Grâce à quoi, il a pu aider sa compagne et sa fille à vivre dans une maison plus que coquette nichée dans la très bourgeoise rue du Commandant-Rolland.

Alexandre, détail qui a son importance, est le frère d'un notable, et pas n'importe lequel : le sénateur Jean-Noël Guérini, également président socialiste du conseil général des Bouches-du-Rhône. Et candidat affiché à la succession de Jean-Claude Gaudin à la Mairie de Marseille.

Un dossier qui conduit au Luxembourg et en Corse

Alex, que l'on surnomme aussi «Monsieur Frère», affiche une copieuse liste de mises en examen. Pour corruption active. Détournement de fonds publics. Abus de biens sociaux. Blanchiment en bande organisée. Détention illégale d'armes, un chargeur de pistolet Glock ayant été saisi au cours des perquisitions. C'est ce qu'a décidé, en décembre 2010, le juge d'instruction Charles Duchaine - un orfèvre en matière de lutte contre le crime organisé -, qui enquête depuis près de deux ans sur un dossier qui conduit au Luxembourg et en Corse (lire page 17). Lequel pourrait éclabousser une partie de la classe politique locale. Déjà, un élu communiste, le président de la communauté d'agglomération d'Aubagne, qui semble avoir été peu regardant avec les pratiques de Guérini en matière de marchés d'ordures ménagères, est tombé, échappant de peu au placement en détention.

Alexandre Guérini n'a pas eu cette chance, la justice estime qu'il y a de fortes probabilités pour qu'il prenne la poudre d'escampette à l'étranger. Il l'avait d'ailleurs clairement laissé entendre...

Comme bon nombre d'affaires de grande délinquance financière, c'est une dénonciation anonyme qui a mis le feu aux poudres. Sans cette lettre de onze pages, écrites sur ordinateur, avec pléthore de précisions qui pouvaient difficilement relever d'un esprit imaginatif, Alexandre Guérini et la demi-douzaine de ses amis épinglés par le juge Duchaine couleraient encore des jours heureux à Marseille et ses environs.

Cette missive, adressée le 2 février 2009 au procureur Jacques Dallest, entend dénoncer un système à l'objectif limpide. En substance, toujours selon l'auteur : détourner d'importantes sommes d'argent à l'occasion de marchés publics dans le but présumé d'en faire profiter deux frères, Jean-Noël et Alexandre Guérini. Et l'auteur d'asséner : à des fins d'enrichissement de ces deux personnes ainsi que de leurs complices, et en aucun cas pour financer des campagnes électorales ou un parti politique.

Cette introduction faite, le corbeau fournit quelques exemples. Les autorisations pour les maisons de retraite ? « Toute ouverture ou création de lits se négocie par le versement de 50 000 euros en espèces que récupère soit Alexandre Guérini, soit Philippe Rapezzi (directeur général de SMA Environnement). » Ce dernier, très proche d'Alexandre Guérini, semble être son homme à tout faire.

L'Opac Sud, devenu 13 Habitat ? «La plupart des travaux de plomberie, de peinture et sur les ascenseurs sont effectués par le truchement des sociétés appartenant en fait aux frères Guérini. »

La décharge de Salon-de-Provence ? « Une société dénommée Somédis a acheté à Alexandre Guérini la société qui gérait la décharge dite la Vautubière pour un montant de 36 millions d'euros. La société d'Alexandre Guérini bénéficiait d'une délégation de service public en date du 9 février 1999 qui devait bien entendu continuer de profiter à Somédis. Sur pression des frères Guérini, le conseil communautaire Berre-Salon a prononcé la résiliation unilatérale de la convention de délégation de service public précitée et a reconfié la gestion de la décharge à une société «guériniste». »

Abordant l'éviction au début 2009 de François-Noël Bernardi, vice-président (PS) de la communauté urbaine de Marseille (CUM), également président de la commission d'appel d'offres, la lettre en fournit la raison : « François-Noël Bernardi, en tant qu'avocat, connaissait parfaitement les risques à se rendre complice des agissements des frères Guérini et il résistait. Il a donc été démis de ses fonctions au bénéfice du conciliant Bernard Morel. »

«Si rien ne bouge, je me lasserai»

Et des exemples de cet acabit, passe-droits, pressions, fantaisies multiples et variées avec le droit, la lettre en donne à foison tout au long de ses onze pages... Qu'espère son auteur ? Que la justice enquête et que soit mis un terme à ces dérives ? Sans nul doute. Mais il n'y croit guère. Pourtant, il conclut : « J'essaierai dans la mesure du possible de continuer à vous faire parvenir les renseignements que je pourrai glaner ici et là, mais si rien ne bouge dans les tout prochains mois, je me lasserai comme les autres »...

Quand il reçoit cette lettre, le procureur Dallest qui, au cours de sa carrière - notamment lorsqu'il était juge d'instruction à Lyon ou procureur à Ajaccio - a eu à s'occuper d'une délinquance financière hors norme, est abasourdi. Ainsi, donc, une ville, un département entier pourraient être mis en coupe réglée ? Et si cette lettre, apparemment étayée, ne reposait sur rien ? Il n'empêche. Le procureur de Marseille décide dès le 23 février non seulement de diligenter une enquête préliminaire mais de solliciter du juge des libertés et de la détention la possibilité de placer sur écoute Alexandre Guérini. L'autorisation accordée, la surveillance commence.

Le 17 mars, minicoup de théâtre : le parquet apprend que les frères Guérini seraient titulaires de plusieurs comptes bancaires au Luxembourg. A priori donc, la lettre anonyme n'avait rien de bidon. Galopent les semaines. Et avec elles s'amoncellent les écoutes téléphoniques. Entre le 29 avril et le 7 juillet 2009, Alex aura eu 3 123 conversations téléphoniques ! On y découvre un Alex tantôt coléreux, tantôt blagueur. Ne se privant pas de donner des noms d'oiseaux à quelques élus. On y découvre également qu'il a du pouvoir. Beaucoup. Témoin les conversations avec Antoinette Camiglieri, directrice du cabinet du président de l'Opac Sud chargé de la gestion des logements à bas loyers. Ces deux-là, ils n'arrêtent pas de s'appeler en mai et juin 2009 ! Morceaux choisis, le 4 mai :

- Oui, je vous ai appelée... On est toujours à la recherche d'un appartement pour Mme B.

- Elle a été logée le mois dernier, Alexandre, vous vous rappelez ?

- Où ça ?

- Le T4 que vous m'aviez signalé aux Hirondelles.

- Ouais, elle a été logée.

- Eh ben, ça y est, elle a été attributaire le mois dernier du T4 aux Hirondelles.

La conversation, toujours détendue, se poursuit :

- Bon, il y a aussi S. François, dit Alex.

- D'accord, répond Antoinette.

- Il y a un appartement aux Jonquilles, bâtiment 1.

- Jonquilles, bâtiment 1.

- Regardez si c'est libéré et si on peut l'attribuer.

- Je vais voir le contingent et je vous en informe.

Tous ces échanges enjoués entre les deux comparses se poursuivent pendant deux mois... Avec, en bout de course, la promesse faite par Antoinette d'attribuer dix, quinze logements pour les protégés d'Alexandre. La sollicitude d'Antoinette sera récompensée puisque Guérini aurait recruté à l'Opac Sud son époux Jacques et leur fille Anne-Laure. Entendue par les gendarmes sur ce renvoi d'ascenseur, Antoinette aura cette réponse :

« Non, M. Guérini n'est pas intervenu ni pour mon mari ni pour ma fille. Si c'est le cas, je l'ignorais. »

Étonnant personnage qu'Alexandre Guérini ! Toujours prêt à rendre service. À jouer les donneurs d'ordres, voire tirer les ficelles et à mettre ses interlocuteurs sous pression en usant avec habileté d'un certain ascendant physique. Michel Karabadjakian en sait quelque chose. Cet ancien surveillant de travaux, devenu ingénieur à la force du poignet puis directeur général adjoint chargé de la propreté à la communauté urbaine de Marseille (un poste clé puisqu'il n'a pas moins de 2 800 employés sous ses ordres !), va exécuter les desiderata d'Alexandre, sans opposer de résistance. Karabadjakian fut placé là, estime la justice, sur intervention directe d'Alexandre. C'est en prime un membre éminent du syndicat FO qui fait la pluie et le beau temps à la ville comme dans la communauté urbaine.

Ainsi, lorsqu'un jour le président de la CUM, Eugène Caselli, sur injonction d'une élue du VIe arrondissement de Marseille, lui demande que les services de nettoiement ramassent de nuit en période de soldes papiers et cartons traînant devant les boutiques, Karabadjakian ne peut refuser. Cela fait partie de son job. Seulement voilà : Guérini apprend le projet. Il intime alors l'ordre au haut fonctionnaire de suspendre l'opération. Au prétexte qu'elle favoriserait une concurrente politique. Karabadjakian s'exécute, contraint de mentir à son supérieur hiérarchique, arguant avoir essuyé un refus des syndicats...

Aujourd'hui, confiera-t-il aux enquêteurs, le dispositif de ramassage rue Paradis fonctionne, l'information judiciaire, il est vrai, ayant mis Guérini hors circuit. Sur ce dernier, devant le juge Duchaine, Karabadjakian expliquera, le 30 novembre : « J'ai cédé à ses pressions, il ne m'a pas adressé de demandes polies, je le craignais. Il ne m'a jamais frappé, je n'ai jamais entendu dire qu'il l'ait fait, mais j'ai été victime de ses colères. » Avant de poursuivre : « Alexandre Guérini a une forte personnalité qui lui permet de s'imposer dans de nombreuses circonstances; néanmoins, il fait souvent allusion à son frère, notamment dans la perspective des prochaines élections municipales. »

Sorte de père Joseph revu et corrigé, notre homme, décidément omniprésent, va jusqu'à intervenir auprès dudirecteur de cabinet du président du conseil général des Bouches-du-Rhône (son frère, donc) pour qu'un contrat soit respecté. En l'espèce, le président du club de water-polo du Cercle des nageurs de Marseille se plaignait de ne pas avoir perçu une subvention de 30 000 euros promise par l'assemblée départementale.Un litige auquel Alexandre était totalement étranger... Et qu'il a permis de résoudre ! Devant les gendarmes, il fera ce commentaire : « Quand on prend un engagement, on doit le tenir, quel que soit l'interlocuteur que l'on a en face. Qu'il soit puissant ou misérable. » Avant de lâcher la clé - ou plutôt l'une des clés de son influence : « Je sais que je suis écouté parce que je m'appelle Alexandre et que je suis le frère du président du conseil général »...

Une sorte d'aveu qui en dit long sur l'ascendant que Monsieur Frère peut avoir sur toute personne travaillant, ougravitant de près ou de loin dans l'orbite du conseil général des Bouches-du-Rhône. Fort de ce pouvoir, on comprend pourquoi, à plusieurs reprises, Alexandre Guérini, lors de la réalisation des marchés de traitement d'ordures - ceux qui rapportent le plus -, a pu se livrer à quelques fantaisies avec la morale.

Une morale qui, selon le juge Duchaine, se confond avec des actes délictueux. L'histoire de la décharge du Mentaure, désormais propriété de la SMA Environnement animée par Alexandre Guérini, est exemplaire. Nous sommes au début des années 2000. Un certain M. Semaire, aujourd'hui décédé, exploite sur la commune de La Ciotat une décharge de dépôt de boue et de branchages qui ne nécessite aucune autorisation préfectorale. Jusque-là, rien de spécial. Sauf que, mitoyenne à ce terrain se trouve une décharge publique, également propriété de la famille Semaire. Elle est convoitée par SMA Environnement. Sans succès. Jusqu'à ce 22 novembre 2004 où le conseil général préempte le terrain en invoquant l'article L142-3 du code de l'urbanisme, car il se trouve dans un «espace naturel sensible»...

Et c'est ainsi que SMA Environnement devient l'exploitante, à partir de 2004, de la décharge du Mentaure qui traite des déchets de l'agglomération d'Aubagne et de six communes des environs de Marseille. Elle va y réaliser, de janvier 2008 à avril 2010, plus de 4,5 millions d'euros de bénéfices. Comment ? En utilisant cette décharge aménagée grâce à des fonds publics, sans y mettre un sou, et en y traitant bon nombre de déchets exclusivement privés ! Soit, en deux ans, 75 000 tonnes ! Une entourloupe qui évidemment n'a pu se faire que grâce à la bienveillance, sinon la complicité de membres du personnel travaillant sur le site du Mentaure. Comme ce jeune employé peu regardant sur les conditions du tri des ordures... Ce qui permettait de faire gagner plusieurs dizaines de milliers d'euros au prestataire. Ce novice, qui gagnait un peu plus de 2 000 euros par mois, en aurait-il tiré profit ? Quasiment rien, si ce n'est quelques cartes d'abonnement prêtées par la direction de SMA Environnement pour aller au stade Vélodrome assister aux matchs de l'OM. Ou, en guise de cadeau de fin d'année, de la charcuterie corse et une bouteille de champagne !

Des versements d'argent incompréhensibles

Cette histoire intéresse bigrement le juge Duchaine qui a découvert d'autres anomalies, notamment à l'occasion de la réalisation du casier du centre d'enfouissement du Mentaure. Pourquoi, par exemple, avoir choisi comme soustraitant le cabinet Cyrnea, qui n'a aucune compétence dans ce domaine, puisque spécialisé dans la communication ? Pourquoi lui avoir versé plus de 600 000 euros alors que le travail a été effectué par le cabinet Girus qui, lui, touchera 215 000 euros ? Le plusétrange, c'est qu'Alexandre Guérini - il l'avouera aux enquêteurs -, s'il connaît fort bien le patron de Cyrnea, Damien Amoretti, par ailleurs son associé dans la SMA Vautubière, ignore en revanche où se trouve le siège de cette SARL. Étonnant.

Aujourd'hui, bon nombre d'élus de gauche comme de droite dans les Bouches-du-Rhône s'inquiètent du tour pris par les investigations du juge Duchaine. Après les «techniciens», les directeurs de divers services du conseil général, les chefs d'entreprise, ce sont eux qui pourraient faire un petit tour dans le bureau du magistrat. Encore que le rôle d'Alexandre Guérini dans cette gigantesque fresque d'un clientélisme à la française ne soit pas totalement cerné.

Certes, les écoutes téléphoniques, les auditions de témoins, de mis en examen ont largement confirmé la fameuse lettre anonyme envoyée le 2 février 2009 au procureur de Marseille. Subsistent pourtant des interrogations. Ainsi, quels liens unissent, si l'on en croit les écoutes, Alexandre Guérini au propriétaire d'un casino de Prague (République tchèque) ?

De même, Alex est-il en relation avec Bernard Barresi, un homme à la réputation sulfureuse ? Dans la perspective des élections municipales, le frère de Jean-Noël Guérini aurait-il accumulé un trésor de guerre pour la campagne électorale ? Ou pour un enrichissement personnel ? Seul le juge Duchaine pourra obtenir la réponse à ces questions.

Aujourd'hui, Alexandre Guérini s'estime victime d'un règlement de comptes politique. Une thèse que reprend son avocate, Me Florence Rault (lire notre interview page 14). Elle estime implicitement que les charges pesant contre son client apparaissent bien minces. In fine, ce sera au tribunal correctionnel, le cas échéant, de le dire. Sur un point au moins, Alexandre Guérini a commis une faute : celle d'inélégance. En bombardant sa compagne présidente d'une entreprise dont elle ignorera jusqu'à la forme juridique et le siège social.


Enquête Des écoutes très parlantes

Il n'arrêtait pas. Toujours en train de téléphoner. Toujours prêt à intervenir dans tel ou tel dossier. Alexandre Guérini a été mis sur écoute, dans le cadre de l'enquête préliminaire, du 10 au 24 mars 2009; l'opération s'est renouvelée du 29 avril au 7 juillet, dans le cadre de l'ouverture de l'information judiciaire. À l'occasion des interceptions de mars 2009, qui ont fait l'objet d'une synthèse de la gendarmerie, on apprend qu'Alexandre Guérini entretient des contacts réguliers avec son frère Jean-Noël, avec des élus, des titulaires de lignes attribuées au conseil général ainsi qu'à l'Office public d'aménagement et de construction (Opac), désormais dénommé 13 Habitat. On apprend par exemple qu'Alexandre Guérini a été contacté par un prénommé Jean-François qui appelle depuis un poste de l'Opac. Ce dernier l'informe de la décision du président du conseil général de valider deux opérations portant sur 140 logements et qu'il « va faire le nécessaire avec les promoteurs pour rattraper le coup ». On apprend encore que l'homme d'affaires s'est entretenu longuement avec le maire de Berre-l'Étang. Objet de la conversation : la possibilité pour un certain Jean-Pierre Maggi d'obtenir un poste d'élu dans la circonscription de Berre-l'Étang. Lorsque la ligne d'Alexandre Guérini est placée sur écoute d'avril à juillet, la moisson est plus fructueuse. C'est ainsi que sont recensées 22 conversations entre Alexandre et Antoinette Camiglieri (Opac), chargée d'attribuer des logements aux personnes recommandées par le premier. Une libéralité accordée avec, semble-t-il, l'assentiment du patron de l'Opac lui-même, Jean-François Noyes. Sont également recensées douze conversations avec une personne du conseil général des Bouches-du-Rhône. En toile de fond : des demandes d'embauche ou de déblocage de subventions émanant d'Alexandre. Ces interceptions mon trent qu'il entretient des relations privilégiées avec Rémy Bargès, le directeur du cabinet de son frère Jean-Noël. Toujours au cours de cette période, Alexandre Guérini sera fréquemment en relation (7 communications et 5 SMS) avec Franck Dumontel, le directeur de cabinet du président de la communauté urbaine. Tel un rituel, les deux hommes évoquent toujours le même sujet : les déchets et l'incinérateur de Fos-sur-Mer... Autre découverte : les relations amicales entretenues avec le directeur d'une société de commerce d'équipements de bureau. Alexandre Guérini et un certain Gérard Pieri lui faciliteraient l'attribution de marchés. Bon client, ce chef d'entreprise serait surnommé «la Photocopieuse»...

La Ville morte Les Lorrains sont invités en mai à l'Opéra national de Lorraine, où l'on donnera la Ville morte d'Erich Wolfgang Korngold, opéra créé en 1920 d'après le roman Bruges-lamorte de Georges Rodenbach. Les Parisiens qui l'ont déjà vu à l'Opéra- Bastille peuvent témoigner de la forte impression que cette oeuvre onirique leur a laissée.Au tour des Lorrains d'y goûter, dans une production signée Philipp Himmelmann, sous la baguette de Daniel Klajner (ci-dessus, la soprano Helena Juntunen). Opéra national de Lorraine, Nancy, les 9 et 16 mai, à 15 heures, les 12, 14 et 18 mai, à 20 heures. Tél.: 03.83.85.33.11.

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La Corse en ligne de mire
Jean-Michel Verne

Connexions Entre le dossier Guérini, les marchés du conseil général de Haute- Corse et le démantèlement du clan Barresi, PJ et magistrats sont décidés à démêler l'écheveau.

La mise en examen le 18 novembre dernier de François-Dominique de Peretti, le directeur de cabinet du président du conseil exécutif de Corse (PRG) Paul Giacobbi, dans une affaire de marchés publics présumés frauduleux, a semé le trouble dans l'île de Beauté. Comme nous l'avions écrit (lire Valeurs actuelles nos 3863 et 3867), celle-ci semble présenter en effet des liens structurels avec le dossier Alexandre Guérini. C'est le signe évident que la juridiction interrégionale spécialisée en matière économique et financière (JIRS) de Marseille fera tout pour démêler l'écheveau des réseaux corses, impliqués dans ses principaux dossiers.

Au coeur de cette task force judiciaire de cinq magistrats, le juge Charles Duchaine est incontestablement l'un des maillons forts. Son objectif : aller jusqu'au bout dans les arcanes complexes du milieu politique du Sud-Est, clé de voûte de ce qui ressemble à un système mafieux au fort accent insulaire. De Bastia à Marseille se tisserait une toile mêlant personnalités politiques, membres du grand banditisme et monde des affaires, avec pour cible les marchés publics. Le tout, hypothèse de travail des juges, serait adossé à un circuit de blanchiment.

L'incarcération de celui qui présidait aux destinées de la direction départementale des interventions sanitaires et sociales (DDISS) de Haute-Corse a ouvert le bal. Poursuivi pour détournement de fonds publics, Pierre Olmeta est soupçonné d'avoir validé ces sept dernières années une succession de marchés truqués de matériel sanitaire, au bénéfice notamment de deux sociétés implantées dans les Alpes-Maritimes, Azur 2C et Riviera International.

Olmeta a récemment provoqué un séisme dans l'île en reconnaissant avoir remis lui-même des enveloppes à deux proches collaborateurs de Paul Giacobbi. Ce dernier, visiblement irrité, n'a pas hésité à se mettre à la disposition de la justice pour apporter son témoignage. Il est vrai que, ces derniers temps, l'élu n'est pas ménagé. Dernier coup dur en date, le placement en garde à vue le 17 janvier et la remise en liberté du conseiller territorial et président d'Air Corsica François Mosconi dans un tout autre dossier, lié cette fois-ci à Jacques Cassandri, une grosse pointure du milieu marseillais.

Du conseil général de Haute-Corse, alors présidé par Paul Giacobbi, les magistrats ont suivi les ramifications avec deux autres dossiers qui monopolisent depuis des mois la JIRS de Marseille : celui d'Alexandre Guérini et l'enquête qui a conduit en juin dernier au démantèlement du clan corso-marseillais des frères Barresi.

Lors de leurs investigations, les gendarmes de la section de recherches de Marseille ont découvert que le principal acteur du dossier bastiais, Patrick Boudemaghe, cousin de Pierre Olmeta, est très proche du clan Barresi. On parle beaucoup de ces «frères de la côte» après l'interpellation par la Direction centrale de la police judiciaire, en juin dernier, de Bernard Barresi et d'une très haute personnalité du monde de la plaisance, Alexandre Rodriguez.

Une société exotique immatriculée dans le Delaware

Patrick Boudemaghe, en contact étroit avec Alexandre Guérini, figure notamment dans des écoutes où Bernard Barresi n'hésite pas à lui réclamer le versement d'importantes som mes en liquide.

Le 9 novembre dernier, le juge Philippe Dorcet interroge ainsi Barresi sur ses liens avec Boudemaghe, qui apparaît dans l'enquête comme l'un de ses contacts en République dominicaine. « C'est un pote à moi », rétorquera sobrement le caïd.

Boudemaghe, suspecté d'être l'homme du blanchiment, serait également présent derrière la société «exotique» Mediterranee Consultant Holding (MCH), elle-même rattachée à une société écran immatriculée dans le Delaware, un État de l'est des États-Unis connu pour être un paradis fiscal. Or MCH, selon les enquêteurs, semble bien faire la jonction dans les deux dossiers Guérini et Haute-Corse. Extradé d'Espagne il y a quelques jours, Boudemaghe ne s'est guère montré bavard devant le juge Duchaine. À l'inverse de son ordinateur, judicieusement piraté à distance par les gendarmes.

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Me Rault « On accorde du crédit à des calomnies »

Maître Florence Rault assiste Alexandre Guérini aux côtés d'Emmanuel Molina. Leur ligne de défense est de dénoncer dans cette affaire un complot politique visant son frère, Jean-Noël Guérini, et une instrumentalisation de l'instruction.

Vous estimez qu'Alexandre Guérini est victime d'un règlement de comptes et que l'UMP Renaud Muselier en serait à l'origine... On peut s'interroger sur le ou les auteurs de la lettre anonyme initiale. Toutes les questions sont ouvertes au sujet de ceux qui continuent d'alimenter le dossier. La presse fait régulièrement état de nouvelles lettres. Tant que l'on accordera du crédit à toutes ces calomnies, je ne suis pas certaine que l'on fasse du bon travail. Il est clairement question ici d'un règlement de comptes politique. À qui profitent toutes ces accusations ?

Plusieurs témoins ou mis en examen évoquent des pressions, des menaces exercées par votre client, en particulier le directeur de la propreté de la communauté urd'orbaine de Marseille, Michel Karabadjakian... J'en souris pour une raison précise. Ce dernier a été confronté à mon client et j'ai à peine entendu le son de sa voix. Le magistrat relisait ses dépositions. Michel Karabadjakian n'a dit qu'une chose : « Je confirme, M. le juge. » Il affirme qu'il a subi des pressions, mais il est par la suite incapable d'apporter des précisions. Incapable aussi de détailler les termes retenus dans les menaces et incapable de dire quand celles-ci se sont exercées. Il ne fait que répondre : « C'est mon ressenti. »

Revenons aux déchets. Plusieurs personnes estiment avoir «dérapé» sur insistance d'Alexandre Guérini. Votre commentaire ? En garde à vue, face à des enquêteurs qui veulent vous faire absolument abonder dans leur sens, c'est tant mieux pour eux. Sauf que des règles de droit s'appliquent, celles du droit administratif. Le traitement des déchets est régi par des règles particulières. On ne peut considérer que les décisions d'un préfet qui représente l'autorité de l'État n'ont ici aucune valeur. [NDLR : Me Rault fait référence à l'autorisation du préfet pour l'extension de la décharge du Mentaure.] On ne peut ainsi affirmer à des gens en garde à vue qu'il est interdit de placer des déchets privés dans une décharge publique. En droit, le concept de déchet privé n'existe pas.

Alexandre et Jean-Noël Guérini possèdent des comptes à l'étranger, au Luxembourg précisément. Le PS a toujours manifesté son hostilité à ceux qui ouvraient ainsi des comptes à l'étranger... Je ne connais pas Jean-Noël Guérini et les éventuels comptes bancaires qu'il peut posséder, et franchement je m'en fiche. Quant à son frère, il a le droit d'ouvrir des comptes n'importe où, comme vous et moi. Aucun texte n'interdit de posséder des comptes à l'étranger.

Quand on voit apparaître des sociétés-taxis, d'importants mouvements de fonds entre les sous-traitants impliqués sur des marchés publics, cela soulève cependant bien des interrogations... Mon problème est d'identifier cette société-taxi, sur quelle facture et sur quels objets ? Pour l'instant je ne suis informée que par la presse. Il y aurait des comptes à droite et à gauche, des sociétés-taxis de-ci, là. De quoi me parlez-vous précisément ? Pour l'instant, M. Guérini n'a pas été interrogé sur ce point.

Mais d'autres personnes l'ont été ? D'accord, mais dans ce cas j'aimerais avoir accès à leurs dépositions.

Comment expliquez-vous que, début 2009, François-Noël Bernardi ait été éjecté de son poste à la présidence de la commission des marchés de la communauté urbaine ? Je ne connais ce dossier qu'à partir du moment où Alexandre Guérini est placé en garde à vue. Je ne connais donc pas M. Bernardi. Il n'a jamais été question de lui. Vous ne seriez tout de même pas en train de sous-entendre qu'Alexandre Guérini l'a éjecté ?

Il est question de façon redondante dans cette affaire de système mafieux. Qu'en pensez-vous ? Toutes ces accusations me semblent assez invraisemblables, car on se contente d'invoquer tout un pan du code pénal sans que la défense ait accès à une partie du dossier. Une infraction doit être caractérisée et reposer sur des éléments concrets.

Des liens avec le milieu corsomarseillais sont évoqués. L'instruc - tion a relevé dans un dossier connexe des contacts entre Boudemaghe, le «blanchisseur» présumé de l'affaire, et le chef de clan Bernard Barresi. Par ailleurs, Boudemaghe est, dans votre dossier, directement en contact avec votre client... Je pense que d'ici peu on accusera Alexandre Guérini d'avoir des liens avec le bon Dieu pour commander le beau temps ! M. Guérini ne connaît pas M. Barresi. On peut se poser la question : est-ce que deux personnes qui ont le même avocat se connaissent et ont forcément des liens entre elles ? Elles peuvent aussi avoir le même dentiste.

Cela jette en tout cas la suspicion ? La suspicion doit être étayée par des éléments matériels. Pour que quelque chose soit interdit, cela doit figurer dans le code pénal. Je le répète, il n'y a aucun lien entre mon client et Bernard Barresi.

Estimez-vous que le juge Duchaine se livre à un acharnement judiciaire sur votre client ? Je n'ai rien contre le juge Duchaine. Il fait son boulot comme il peut et comme il veut. Moi, je ne fais que constater ce que je trouve dans le dossier.

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