jeudi 13 janvier 2011

Henri Guaino : « Sur l'euro, Séguin avait tout anticipé, tout prévu »


Les Echos, no. 20843 - France, vendredi, 7 janvier 2011, p. 2

Un an jour pour jour après la mort de Philippe Séguin, Henri Guaino analyse l'héritage laissé par l'ancien ténor du RPR. Et loue le « volontarisme » de Nicolas Sarkozy, dont il est le conseiller spécial à l'Elysée.

Henri Guaino, conseiller spécial du président de la République

Un an jour pour jour après la mort de Philippe Séguin, Henri Guaino analyse l'héritage laissé par l'ancien ténor du RPR. Et loue le « volontarisme » de Nicolas Sarkozy, dont il est le conseiller spécial à l'Elysée.

Pourquoi ne participez-vous pas au colloque organisé par les proches de François Fillon ?

Je me réjouis que l'on célèbre la mémoire de Philippe Séguin. Je le fais moi-même à chaque fois que j'en ai l'occasion parce qu'il incarnait quelque chose auquel je crois profondément et que je voudrais voir rester vivant à travers son souvenir. Je me rendrai encore mercredi prochain à l'invitation de l'université d'Aix pour lui rendre hommage.

On va dire que François Fillon n'est pas à vos yeux un héritier de Séguin_

J'ai assisté ce jeudi à l'inauguration par François Fillon de la galerie Philippe-Séguin à la Cour des comptes et j'ai toujours trouvé ridicule les querelles pour savoir qui détient un morceau de la vraie croix.

Que reste-t-il du séguinisme ?

Le séguinisme, c'est comme le gaullisme, ce n'est ni une doctrine, ni une idéologie, encore moins une religion. C'est une attitude, une façon d'être et de penser en politique. C'est une histoire personnelle qui a pour moi, et je crois au fond pour beaucoup de Français, une profonde signification intellectuelle, morale et politique.

Une attitude par rapport à l'Etat notamment ?

A l'Etat, à la nation, à l'histoire_ Philippe Séguin avait deux références essentielles : le général de Gaulle et la République. Ce qui était au fond, pour lui, la même chose. L'idéal républicain, il ne le portait pas seulement dans sa pensée, dans ses discours, il l'incarnait aussi dans son parcours. Le père mort à la guerre, la mère institutrice qui l'élève seule, la France d'autant plus aimée qu'elle est lointaine et idéalisée.

Ses valeurs sont-elles si menacées qu'il faille les célébrer ?

Nous vivons une époque de profond désarroi qui nourrit un besoin grandissant de cette République que Philippe Séguin incarnait avec autant de force. L'émotion suscitée par sa mort est à la hauteur de ce désarroi.

N'est-ce pas aussi un constat d'échec sur le quinquennat ?

Ce problème n'est pas de l'ordre d'un quinquennat ni du ressort d'un seul pays. Tous les pays développés, et pas seulement la France, sont plongés dans une crise profonde, intellectuelle, morale, identitaire, sociétale, à laquelle la politique ordinaire, concentrée sur la conjoncture et la gestion, ne peut pas répondre. Philippe Séguin l'avait pressenti avant beaucoup d'autres et le président de la République a eu raison de parler de « politiques de civilisation ». Nous avons construit, collectivement, depuis trente ans, un système intenable. Quand on place, par exemple, l'appât du gain au-dessus de tout, cela crée immanquablement un problème de civilisation. C'est forcément destructeur.

Le pouvoir politique n'a plus le pouvoir d'inverser les choses ?

Ce n'est pas la bonne façon de se poser la question. Le politique, c'est l'expression de la volonté collective opposée à tous les déterminismes, hier la nature, aujourd'hui les marchés ou la technique, qui menacent d'asservir l'homme. C'est le fondement même de l'idée de civilisation. Cela a été l'aventure de la modernité depuis le XVIe siècle. Or que vivons-nous depuis trente ans ? Un formidable retour en arrière, avec l'idée que la nature des choses est plus forte que la volonté humaine et que l'on ne peut plus rien sur rien. La formule employée jadis par Lionel Jospin, « L'Etat ne peut pas tout », est révélatrice de cette défaillance morale. Il aurait mieux valu dire : « Je ne veux pas intervenir, voilà pourquoi, et je l'assume. » La différence entre les deux formules, c'est la responsabilité politique qui, dans un cas est revendiquée et assumée, et dans l'autre niée. La République selon Séguin, c'est un non au renoncement comme lorsqu'il dénonçait le « Munich social ». La politique peut toujours quelque chose. Pour le meilleur ou pour le pire. Mais si l'on abandonne cette conviction, comme on l'a fait pendant trente ans, on est sûr du pire.

Y a-t-il des porteurs de ce message aujourd'hui ?

C'est tout le sens de mon engagement auprès de Nicolas Sarkozy. Si je l'ai suivi, c'est parce qu'il voulait incarner le volontarisme politique. Cela ne veut pas dire qu'il suffit de vouloir pour réussir, mais l'on ne peut pas réussir si l'on ne veut jamais rien. Et au bout du compte, c'est ce qu'il a fait. Dans la crise, il a fait preuve d'un volontarisme exceptionnel par rapport aux autres chefs d'Etat et il les a entraînés. Evidemment, cela n'a pas effacé la crise. Mais elle aurait été bien plus dramatique si la France n'avait pas remis de la politique en Europe, si elle n'avait pas suscité la création du G20.

Les polémiques autour de l'euro donnent-elles a posteriori raison à Philippe Séguin ?

Tout était dans le « Discours pour la France » que Philippe Séguin [qui s'était opposé à la monnaie unique, NDLR] a prononcé à l'Assemblée au moment de Maastricht. Il avait tout anticipé, tout prévu, et notamment qu'une fois que ce serait fait, il serait impossible de revenir en arrière. Sortir de l'euro aurait un coût colossal. Nous devons maintenant gérer au mieux les conséquences du choix de la monnaie unique. Il est clair que nous ne pourrons pas avoir une solidarité budgétaire européenne suffisante pour compenser la disparition des ajustements monétaires entre les pays membres. L'euro n'est donc viable qu'à une condition : que chacun y mette du sien et soit convaincu de la nécessité de tout faire pour diverger le moins possible des autres. C'est ce que plaide la France.

Faut-il faire de la lutte contre les déficits une priorité ?

Qu'il faille rechercher l'équilibre financier est une évidence. Il faut à la fois rationaliser la machine administrative, les interventions publiques, mais aussi soigner tout ce qui dans la société produit de façon endogène de la dépense publique. C'est dans les réformes structurelles et la préparation de l'avenir que se trouve en réalité la clef du rétablissement de nos équilibres. La réforme des retraites et même -paradoxalement -le grand emprunt sont parmi les contributions les plus importantes à l'assainissement de nos finances publiques. Pour retrouver l'équilibre il faut retrouver l'expansion, mais une société malade sur le plan des valeurs, des repères, du rapport à l'avenir, au temps, ne peut pas être une société en expansion.

Propos recueillis par Cécile Cornudet

Pierre-Alain Furbury

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