lundi 31 janvier 2011

La sécheresse accentue le déficit en eau de Pékin - Brice Pedroletti

Le Monde - Environnement & Sciences, lundi, 31 janvier 2011, p. 4

Après avoir assoiffé, au printemps 2010, le sud-ouest de la Chine, la sécheresse est intense, cet hiver, dans le quart nord-est du pays : Pékin n'a pas vu une goutte de pluie depuis le 25 octobre 2010. C'est la première fois, depuis l'établissement d'un registre des données météorologiques, en 1951, qu'aucune neige n'est encore tombée dans la capitale à cette époque de l'année. Même les artilleurs " faiseurs de pluie " n'y peuvent rien : pas de nuages à inséminer, le temps est au beau fixe. Il y a un an, Pékin connaissait ses pires chutes de neige en un demi-siècle...

Le Shandong, province de 90 millions d'habitants, dans l'est de la Chine, n'a pas enregistré d'aussi faibles précipitations depuis six décennies. Près de 240 000 personnes - surtout dans des zones reculées et montagneuses - ont dû être ravitaillées. Mais ce chiffre, ont prévenu les autorités provinciales, qui a élevé le niveau d'alerte à son degré maximal, atteindra le million si la sécheresse persiste dans les semaines qui suivent.

Les pompiers ont distribué de l'eau dans les villes de Linyi, Rizhao et Weifang, où les réservoirs sont presque à sec. Le Shandong est l'un des principaux greniers à blé du pays : deux millions d'hectares de cultures de blé d'hiver, semé en automne et dont les pousses sont dormantes jusqu'au printemps, seraient menacés, soit 56 % des surfaces consacrées à cette céréale dans la province.

Les autres régions céréalières de Chine, comme le Shanxi, le Henan, le Jiangsu ou l'Anhui sont aussi touchées sur deux autres millions d'hectares, selon l'agence Chine nouvelle. Même si le pays le plus peuplé de la planète ne devrait pas connaître de pénurie, l'impact de la sécheresse préoccupe : l'inflation du prix des denrées alimentaires a atteint des niveaux record ces derniers mois.

Le premier ministre, Wen Jiabao, s'est ainsi rendu, vendredi 21 et samedi 22 janvier, dans le Henan pour réconforter les paysans sinistrés. Si la situation empire, la Chine, qui a enregistré des récoltes céréalières record ces dernières années, pourrait restreindre ses exportations, poussant à la hausse les marchés mondiaux, selon Li Guoxiang, un chercheur en développement rural de l'Académie des sciences cité par le quotidien hongkongais South China Morning Post.

Le froid est de la partie dans le Shandong, mais aussi le Hebei et le Liaoning : le golfe de Bohai est pris, depuis début janvier, dans une glace épaisse, ce qui a conduit à l'arrêt des plates-formes pétrolières, ralenti le transit maritime et sinistré l'aquaculture locale. Le gouvernement chinois a promis, jeudi 27 janvier, une aide supplémentaire de 2,2 milliards de yuans (220 millions d'euros), en sus de plusieurs milliards déjà débloqués à travers le pays.

La sévérité de l'hiver est attribuée à La Niña par les météorologues chinois. Mais les effets de ce phénomène météorologique seraient l'inverse, cette année, de ceux constatés en 2008, quand les tempêtes de neige s'étaient multipliées. Certains météorologues font valoir que la Chine manque de données climatiques fiables sur le Pacifique occidental - les plus précises sont gardées secrètes par la marine américain - et admettent leur impuissance à trouver des explications convaincantes.

La sécheresse, en tout cas, confirme l'acuité de la crise de l'eau dans le nord-est du pays. Pékin souffre depuis douze ans d'un manque d'eau structurel. Avec un trentième de la moyenne mondiale pour les réserves d'eau disponibles par habitant, c'est l'une des villes les plus mal loties au monde. Son expansion, ces dernières années, a compliqué encore l'équation : des milliers de tours d'habitation remplacent chaque année les hutongs, les rues traditionnelles, et les villages, où une salle de bains était un luxe rare.

Les habitudes de vie ont changé. La dizaine de stations de ski sur neige artificielle situées autour de la capitale sont noires de monde le week-end. Les migrants s'entassent par millions dans des villages de banlieue aux infrastructures vétustes. Il est urgent, affirment les écologistes, de pratiquer une politique tarifaire plus réaliste : le prix de l'eau est ridiculement bas. Mais l'augmenter pénaliserait les plus pauvres.

D'importants efforts de recyclage et de traitement des eaux ont été entrepris ces cinq dernières années. Mais le déficit atteint 515 millions de mètres cube par an, a récemment expliqué le maire de la ville, Guo Jinyong. Pékin compte sur le canal géant qui doit, à partir de 2014, acheminer de l'eau depuis le généreux fleuve Yangzi Jiang. Une première partie du canal est achevée : elle relie Pékin à sept réservoirs situés dans les provinces du Shanxi et du Hebei.

Mais là-bas aussi, les grandes villes sont menacées par des pénuries d'eau et les campagnes arides. Selon leQuotidien de Pékin, la capitale envisagerait de faire construire un autre canal de 500 kilomètres jusqu'au fleuve Jaune, lui aussi mal en point.

Brice Pedroletti

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