En janvier, tradition bien établie, les sondeurs nous assènent une batterie de sondages pessimistes sur le moral du pays, plus que jamais en berne, paraît-il. Les Français n'ont pas confiance dans l'avenir. Ils pensent que leurs enfants vivront plus mal qu'eux. Ils jugent que l'économie va mal; le chômage des jeunes les hante, à juste titre. Pourtant, au baromètre de l'humeur nationale, l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) vient d'apporter une note positive, très positive : la France - un peu moins de 65 millions d'habitants - est la championne d'Europe de la natalité. Moral en baisse, libido à la hausse ?
Tout a été excellemment dit par notre consoeur Anne Chemin (Le Monde du 15 janvier) sur les raisons qui peuvent expliquer ces chiffres. Avec 828 000 naissances, la France affiche en 2010 un indicateur de fécondité de 2,01 enfants par femme. Poétique à souhait et un rien opaque, la formule mérite un décryptage : il est né, en 2010, 20 000 bébés de plus qu'il y a dix ans; la France connaît son plus fort taux de natalité depuis la fin du baby-boom de l'après-guerre.
Les économistes et les démographes aiment ces chiffres. Ils y voient un atout majeur pour la France - de la garantie du financement de son Etat social au renouvellement de sa population. Prudents, ils ne se risquent pas à sonder les mystères de la décision la plus privée qui soit (avoir des enfants ou non), mais certains osent émettre ce jugement : cela pourrait ressembler à un signe de confiance dans l'avenir...
La natalité française est une exception sur le Vieux Continent, qui n'a jamais été aussi bien nommé. La plupart des pays européens connaissent une grave crise de la natalité. Au sud catholique comme à l'est de l'Union européenne, les indicateurs de fécondité stagnent; ils descendent parfois en deçà des naissances nécessaires pour assurer le simple maintien de la population à son niveau actuel.
L'exception française est plus remarquable encore si l'on observe les grandes tendances de la démographie mondiale. Selon les estimations de l'ONU (www.un.org/esa/population/), l'Europe est dans la norme d'une planète vieillissante où les candidats à la carte senior - 60 ans et plus - constituent une part sans cesse croissante de la population.
Que les disciples de l'économiste britannique Thomas Malthus (1766-1834) se rassurent : la peur est en passe de changer de nature. Les malthusiens redoutaient une surpopulation que les ressources de la planète n'arriveraient pas à nourrir; les démographes craignent une population mondiale qui ne compterait pas assez de jeunes pour prendre en charge les vieux.
Explication : la croissance démographique ralentit. Dans son édition spéciale « Le monde en 2011 », l'hebdomadaire The Economist annonce « la fin du baby-boom mondial ». Certes, 2011 verra, probablement vers la moitié de l'année, « la naissance du sept milliardième être humain ». Mais le chiffre masque le début d'une décélération du rythme de l'accroissement de la population mondiale. Celle-ci « a mis environ 250 000 ans pour atteindre 1 milliard de personnes (aux alentours de 1800). Plus d'un siècle s'est écoulé avant qu'elle n'atteigne 2 milliards (en 1927), mais il n'a fallu que trente-trois ans pour atteindre le milliard suivant (1927-1960) et quatorze ans seulement pour le milliard d'après, écrit The Economist. Les deux dernières étapes, pour passer à 5, puis à 6 milliards, n'ont respectivement pris que treize et douze ans ». Cette dynamique va s'inverser.
D'ici à 2050-2060, la population mondiale devrait se stabiliser autour de 9 milliards d'habitants, résultat d'une baisse progressive des taux de natalité et d'une hausse générale de la durée de la vie. « Vers 2050, l'élan démographique ralentira presque à zéro, prédit The Economist, et le monde sera à la veille de connaître, pour la première fois depuis des siècles, un plafonnement de sa population. »
« La planète grisonne », titre joliment la revue américaine Foreign Policy (novembre 2010). La baisse de la natalité ne concerne pas que les pays industrialisés. Elle est assez générale. La Russie de ce début de siècle a perdu 7 millions d'habitants par rapport à sa population de 1991. « Sur les 59 pays où la natalité n'est plus suffisante pour assurer le maintien de la population, 18 sont qualifiés par l'ONU de «pays en voie de développement» » - autrement dit, des pays du Sud.
L'Asie, vantée comme l'eldorado de demain, est l'un des continents démographiquement les plus mal partis. Le politologue Phillip Longman écrit dans Foreign Policy : « Ceux qui nous annoncent un siècle asiatique n'ont pas réalisé que cette région entre dans l'ère d'un vieillissement accéléré de sa population. » Le cas japonais est connu, mais on oublie que la situation de la Corée du Sud et celle de Taïwan, par exemple, s'en rapprochent, tout comme celle de la Chine.
Avec sa politique de l'enfant unique, un taux de natalité extrêmement bas et les incessants progrès de la santé publique, « la Chine évolue rapidement, explique M. Longman, vers ce que les démographes appellent une société 4-2-1, où un enfant va avoir la responsabilité, une fois adulte, de prendre en charge ses deux parents et ses quatre grands parents ». Le vieillissement d'une population finit à terme par peser sur son développement économique. La Chine devra inventer l'Etat-providence pour des dizaines de millions de plus 75 ans... Elle sera vieille avant d'être riche, prophétisent les pessimistes.
Le bon exemple vient des Etats-Unis, où un solide taux de natalité et une immigration dynamique assurent un remarquable équilibre démographique. Il vient aussi de Scandinavie, où, comme en France et en Grande-Bretagne, les politiques familiales mises en oeuvre par l'Etat ont relancé la natalité. En somme, rien ne sert de sonder trop longuement les mystères de la natalité, mieux vaut créer des crèches et le congé parental...
Alain Frachon
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