lundi 17 janvier 2011

OPINION - L'austérité, un dangereux remède - Joseph Stiglitz

Les Echos, no. 20849 - Idées, lundi, 17 janvier 2011, p. 17

Peut-on espérer en 2011 une meilleure année ? 2010 fut un cauchemar. Les crises en Irlande et en Grèce ont remis en question la viabilité de l'euro et ont fait apparaître la perspective d'un défaut sur la dette. Des deux côtés de l'Atlantique, le chômage est resté à un niveau élevé, autour de 10 %.

Malheureusement, les résolutions du nouvel an prises en Europe et aux Etats-Unis ne sont pas les bonnes. La réponse aux manquements et à l'extrême prodigalité du secteur privé, qui ont causé la crise, a été d'imposer l'austérité au secteur public ! La conséquence en sera, de manière presque certaine, une reprise économique plus faible et un délai encore accru avant que le chômage ne revienne à des niveaux acceptables.

Cela entraînera aussi un déclin de compétitivité. Alors que la Chine a préservé sa croissance en investissant dans l'éducation, la technologie et les infrastructures, l'Europe et les Etats-Unis se sont lancés dans des programmes d'économies drastiques.

Il est devenu à la mode pour les politiciens de prêcher les vertus de la douleur et de la souffrance, évidemment parce que ceux qui portent le plus gros fardeau ont peu de poids politique - les pauvres et les générations futures. Certes, certains coûts sont inévitables pour relancer l'économie, mais la distribution de plus en plus inégale du revenu fournit une indication claire quant à savoir qui doit les supporter : approximativement un quart du revenu total aux Etats-Unis est détenu par le 1 % le plus riche de la population, alors que le revenu de la majorité des Américains est plus faible aujourd'hui qu'il y a une douzaine d'années. En d'autres termes, la majorité des Américains n'a pas bénéficié de ce que beaucoup ont appelé la « grande modération », qui était en réalité la mère de toutes les bulles. Pourquoi donc des innocents, qui n'ont rien gagné de cette fausse prospérité, devraient payer encore plus ?

L'Europe et les Etats-Unis ont la même main-d'oeuvre qualifiée, les mêmes ressources et le même capital que ce dont ils disposaient avant la récession. Certains de ces actifs étaient sans doute surévalués, mais les actifs sont, pour la plupart, toujours là. Les marchés financiers sont responsables de la mauvaise distribution des revenus du capital dans les années avant la crise, et le gâchis résultant de la sous-utilisation des ressources n'a cessé de s'aggraver depuis le début de la crise. Mais comment aujourd'hui revenir à une pleine utilisation de ces ressources ?

Il faudra en passer par une restructuration de la dette. Cela est inévitable. Mais repousser l'échéance est très coûteux - et tout à fait inutile.

Les banques n'ont jamais voulu reconnaître leurs mauvaises dettes, ni à présent leurs pertes, du moins pas avant de pouvoir se recapitaliser. Le secteur financier poussera les gouvernements à tout repayer, quand bien même cela engendrera un gâchis social massif, un énorme taux de chômage et beaucoup d'agitation sociale - et quand bien même la situation actuelle est la conséquence de ses propres erreurs en matière de prêt.

Cependant, il existe une vie après la restructuration de la dette. Personne ne souhaiterait à aucun autre pays le traumatisme que l'Argentine a vécu dans les années 1992-2002. Mais l'Argentine a également souffert dans les années précédant la crise d'un taux de chômage et de pauvreté élevés combinés à une croissance faible et négative. Depuis la restructuration de la dette et la dévaluation de sa monnaie, l'Argentine a vécu des années de croissance du PIB extraordinairement rapide, à un taux moyen annuel de presque 9 % entre 2003 et 2007. Ainsi Buenos Aires a fait face à la dernière crise financière en bien meilleure posture que les Etats-Unis - le chômage y reste élevé, mais contenu autour de 8 % seulement.

Voici donc mes voeux pour 2011 : cesser de se préoccuper des soi-disant génies de la finance qui ont provoqué le gâchis actuel - et qui réclament à présent l'austérité et veulent repousser la restructuration -et faire enfin preuve d'un peu de bon sens. S'il y a un prix à payer, il doit être imputé avant tout aux responsables de la crise et aux principaux bénéficiaires de la bulle qui l'a précédée.

Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d'économie, est professeur à l'université de Columbia.Cet article est publié en collaboration avec Project Syndicate, 2011.

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