samedi 19 février 2011

Ils torpillent la diplomatie française - Jean-Dominique Merchet


Marianne, no. 722 - Monde, samedi, 19 février 2011, p. 48

Notre politique étrangère souffre des travers du sarkozysme : annonces hâtives, surexposition médiatique hyperprésidentialisation. De plus, l'Elysée se méfie des diplomates et les méprise.

Il ne manquait plus à la diplomatie française que de se fâcher avec... le Mexique ! Comme si, venant après tant d'autres, les atermoiements et les maladresses en Tunisie puis en Egypte ne suffisaient pas à jeter le discrédit sur l'action extérieure de Nicolas Sarkozy et de son gouvernement. Comme s'il fallait toujours en faire trop, en enfonçant bien le clou pour que tout le monde comprenne que quelque chose ne va pas dans la politique de la France.

Florence Cassez, donc. Si Paris voulait vraiment sortir cette jeune Française des prisons mexicaines - où elle est condamnée à rester soixante années - il fallait, n'en doutons pas, s'y prendre tout autrement. Et d'abord éviter de braquer le gouvernement de Mexico sans lequel il n'y aura pas de solution de compromis. Négocier est un métier, pas une posture. Cela s'appelle précisément la diplomatie, et il semblerait que les gouvernants français en manquent fichtrement. Quoi qu'on puisse penser de l'innocence ou de la culpabilité de Florence Cassez, Michèle Alliot-Marie, ministre d'affaires qui ne devraient pas lui être étrangères, n'a pas hésité à qualifier de "déni de justice" une décision judiciaire d'un pays souverain. Souverain et ami de la France, en tout cas suffisamment pour qu'on ait eu en commun l'idée de consacrer une pleine année à vanter l'excellence de nos échanges culturels et commerciaux. Puis, comme si les Mexicains n'étaient déjà pas assez remontés contre ce qu'ils estiment être une ingérence étrangère dans un dossier très sensible pour leur opinion publique - la violence et les enlèvements criminels -, c'est au tour du président de la République d'annoncer qu'à chaque manifestation de cette Année du Mexique le triste sort de notre compatriote sera dénoncé. Colère des Mexicains qui renvoient aussitôt Nicolas Sarkozy dans ses cordes, en expliquant que, dans ce cas, ils se passeront de ces festivités. Caramba ! Quant à Florence Cassez, les déclarations tonitruantes des autorités françaises n'ont vraiment pas contribué à améliorer son sort.

Bourdes en cascade

Au Mexique, le chef de l'Etat est tombé sur un os, mais sa manière ne doit pas surprendre. Comme si les affaires internationales s'apparentaient à une libération d'otages dans une maternelle de Neuilly, on a ainsi vu le président de la République en sauveur des infirmières bulgares, en libérateur d'Ingrid Betancourt, en solutionneur de l'affaire de L'Arche de Zoé, en repreneur de voiliers piratés au large de la Somalie. Toujours au premier rang ! Parfois, ça marche, mais, parfois, non. Ainsi, huit Français sont toujours retenus prisonniers par des islamistes et deux autres ont été tués lors d'une opération militaire. Si le pataquès mexicain avait éclaté dans un ciel serein, il n'eût été qu'un accident de parcours que des diplomates se seraient chargés de réparer en coulisses. Mais il intervient dans un contexte fortement dégradé par les affaires arabes, qui jettent un doute sur le sérieux de la diplomatie française.

En Tunisie, surtout, où il a suffi que le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Ounaïes, dise, dimanche dernier, tout le bien qu'il pensait de Michèle Alliot-Marie - "une amie de la Tunisie" qu'il "aime écouter en toutes circonstances" - pour que le prétexte de le remercier soit tout trouvé. A Tunis, le simple fait d'apprécier MAM est devenu une circonstance aggravante aux yeux des responsables politiques. Pas de quoi être fier. Il est vrai que la ministre française a accumulé toutes les bourdes possibles. On l'a vue d'abord proposer au régime de Ben Ali "le savoir-faire" de la France pour maintenir l'ordre. Puis on apprend qu'elle venait juste de rentrer d'un séjour privé dans ce pays, avec son compagnon - lui aussi ministre - et ses parents, vacances au cours desquelles elle a profité de quelques vols dans le jet privé de l'un de ses amis fortunés, Aziz Miled. Rencontré par hasard, disait-elle. Mensonge ! Le Canard enchaîné révèle en effet que l'un des buts de ce déplacement familial était la signature d'un contrat immobilier entre le richissime homme d'affaires et les vieux parents de MAM... Si la ministre a sauvé sans doute in extremis son maroquin, face à la colère de Nicolas Sarkozy, c'est grâce à François Fillon : alors que le sort de MAM semblait scellé, le Premier ministre a lui aussi été contraint d'expliquer qu'il était allé passer quelques vacances aux frais du régime égyptien d'Hosni Moubarak... Certes, avec l'Egypte, le bilan est moins catastrophique qu'en Tunisie. Sauf qu'il n'y a malheureusement pas lieu de s'en réjouir : si Paris n'a pas eu l'occasion de commettre trop d'erreurs sur les rives du Nil, c'est parce que la France n'y compte plus guère. On en est là.

Décisions élyséennes

Bien avant l'arrivée de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, la France ne faisait déjà plus la pluie et le beau temps sur la scène mondiale. Mais le style et la personnalité du président n'ont pas arrangé les choses. La diplomatie française souffre, au fond, de tous les travers du sarkozysme : l'hyperprésidentialisation, le goût des annonces hâtives, la surexposition médiatique et compassionnelle, les coups à la limite de la provocation. Et, en premier lieu, un profond mépris envers les grands corps de l'Etat. Il en va des diplomates comme des magistrats ou des militaires : le président de la République ne les aime pas, ne les comprend pas. Il ne supporte pas leurs prudences de langage et leurs manières de gens bien élevés, toutes choses qui constituent pourtant des qualités indispensables à l'exercice de leur métier. "Il déteste l'Etat, constate un ancien ministre des Affaires étrangères. On dirait qu'il veut détruire tout ce qui s'est fait dans ce pays depuis Philippe le Bel..." Les diplomates sont unanimes : ils souffrent d'être mal considérés puis jetés en pâture par le pouvoir lorsqu'on veut leur faire porter le chapeau de l'échec d'une politique. Un peu comme les juges, donc, mais ces derniers le font désormais savoir plus bruyamment.

Inspirés par l'Elysée, d'aucuns expliquent désormais que les diplomates français auraient été sourds et aveugles devant les révolutions arabes. Cette critique révulse ces professionnels. "Personne n'avait prévu le scénario tel qu'il s'est déroulé, mais la situation politique et sociale dans ces pays était parfaitement connue. Si nos télégrammes diplomatiques avaient été publiés intégralement comme ceux des Américains l'ont été par WikiLeaks, chacun aurait pu le constater", indique un diplomate. "Tout est dit, mais tout n'est pas nécessairement pris en compte par l'échelon politique", poursuit un autre.

Ce qui dysfonctionne est moins la diplomatie française que ce que le pouvoir en fait. "Cessez d'affaiblir le Quai d'Orsay", demandaient d'une seule voix, en juillet dernier, deux anciens ministres des Affaires étrangères, Alain Juppé et Hubert Védrine. "Le Quai d'Orsay est un ministère sinistré", ajoutait récemment l'académicien Jean-Christophe Rufin, ancien ambassadeur au Sénégal. En vingt ans, les Affaires étrangères ont perdu 20 % de leurs effectifs et, aujourd'hui, seul un départ à la retraite sur quatre est remplacé, contre deux en règle générale. Mais, avant d'être matériel, le malaise est d'abord moral. Que, sous la Ve République, la politique étrangère se décide à l'Elysée n'est pas pour surprendre, mais jamais l'appareil chargé de sa mise en oeuvre n'avait été à ce point maltraité ou tenu à l'écart.

Politique "occidentale"

Pour mener à bien, si l'on ose dire, son action extérieure, Nicolas Sarkozy s'appuie essentiellement sur deux hommes : l'incontournable préfet Claude Guéant et son conseiller diplomatique, Jean-David Levitte. Au Quai d'Orsay, le titulaire du portefeuille n'a pour s'ébattre que l'espace que lui accordent les deux hommes de l'Elysée. C'est-à-dire pas grand-chose, en règle générale, comme a pu le constater Bernard Kouchner depuis 2007. La nomination du french doctor relevait d'ailleurs plus du coup politicien - l'ouverture à gauche - que de la stratégie internationale. Personne, sauf peut-être lui, n'a cru qu'il pourrait mener une politique inspirée par ses convictions et son expérience internationale.

Une stratégie internationale pour la France ? On peine donc à en apercevoir les linéaments. Des coups, même diplomatiques, on n'en manque pas. Mais pour aller où ? Mystère. Prenons le cas de l'Union pour la Méditerranée (UPM), l'un des grands projets de Nicolas Sarkozy, porté sur les fonts baptismaux dès juillet 2008. Son lancement avait été l'occasion d'un grand sommet à Paris, en présence de tous les dirigeants des pays méditerranéens. La photo était splendide, la note des festivités, salée, et Sarkozy, aux anges. En coulisses, les diplomates étaient plus réservés, comme en témoignent leurs notes de l'époque. Selon eux, il manquait un invité de marque sous les verrières du Grand Palais : le réel. Ce monde tel qu'il est et dont les diplomates font justement leur métier. Le retour du réel pris d'abord la forme du mécontentement des Européens du Nord, Allemagne en tête, très mécontente d'être exclue du projet. Angela Merkel le fit savoir, et Sarkozy lui assura que non, jamais il n'avait été question de la tenir à l'écart. Quant aux "Méditerranéens", ils sont encore plus divisés que les Européens : comment faire cohabiter les Arabes et Israël ? La question palestinienne reste le caillou dans la chaussure de l'UPM. On ne veut pas la voir, mais elle fait mal. Sans parler des vieilles animosités entre le Maroc et l'Algérie ou la Grèce et la Turquie. Tout était réuni pour que l'UPM se dégonfle comme une baudruche. Sauf que le prix à payer pour en maintenir la fiction a été plus élevé qu'on ne le croyait. L'Egypte était en effet l'une des clés de voûte du projet. Pas question, donc, de se fâcher avec Moubarak, même après que le peuple égyptien a commencé de descendre dans la rue.

L'affaire du Rafale illustre un autre travers de la diplomatie élyséenne : le goût pour les annonces fracassantes et prématurées. A trois reprises, l'Elysée communiqua sur la vente de l'avion de combat français, à la Libye, aux Emirats arabes unis et au Brésil. Sarkozy en super-VRP, c'était autre chose que du Chirac "roi fainéant". Le Rafale allait se vendre. Résultat : aucun contrat n'a été signé début 2011 et les perspectives d'y parvenir ne sont pas au beau fixe.

Cette politique ressemble parfois à une vaine agitation, qui désarçonne les professionnels, diplomates ou grands industriels. Si encore ils étaient bousculés pour la bonne cause, pour appliquer une politique cohérente. Mais Nicolas Sarkozy sait-il où il va dans la conduite des affaires étrangères ?

La réponse ne fait guère de doute : à l'ouest ! L'une de ses rares convictions en la matière, c'était que la France devait "reprendre toute sa place dans la famille occidentale" - une rupture considérable par rapport à l'héritage gaullien, qui a fait perdre à notre pays sa posture originale tant au sein de l'Alliance atlantique que dans le reste du monde, où l'on aimait voir dans la France une alternative à l'Amérique. Cette politique "occidentale" s'est traduite par le retour dans le commandement intégré de l'Otan et une implication militaire plus forte dans le conflit afghan.

Projet européen encalminé

Pourtant, ce cap à l'ouest est un échec. Le choix de Sarkozy a en effet été très vite bousculé par l'élection de Barack Obama. Or, le président français n'est pas parvenu à établir une relation de confiance avec son homologue américain que les affaires européennes ne préoccupent guère. Difficile pour Nicolas Sarkozy d'être un ami de l'Amérique lorsqu'on critique les choix de son président sur l'Iran, le désarmement nucléaire, le climat, le système financier international, etc. Du coup, l'alliance est en panne. Comme elle l'était déjà à l'époque Chirac-Bush, mais pour des raisons diamétralement opposées : le néoconservateur a changé de rive.

Restait la carte européenne. Depuis près de trente ans, elle a été l'horizon indépassable de la diplomatie française : tout irait mieux avec plus d'Europe, tel était le credo. Nicolas Sarkozy l'a surjoué lors de la présidence française de l'Union européenne, au deuxième semestre 2008. Mais, avec la crise, l'enthousiasme europhile n'est plus de mise. Les diplomates le savent : le projet européen est sérieusement encalminé, sauf à se rallier à l'idée d'une Europe rigoureuse voulue par l'Allemagne. Pas très enthousiasmant, ni très vendeur. Mieux vaut donc partir en guerre contre les Mexicains ! Napoléon III, dit "le Petit" par Victor Hugo, l'avait bien fait, pour de bon, dans les années 1860. Et tout cela se termina à Sedan. J.-D.M.

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1 commentaires:

Anonyme a dit…

j'aime bien lire vos avis, que de la vérité malheureusement pour la France mais je ne pense pas que la gauche fasse mieux ! merci