Les Américains sont décidément très prévisibles. À chaque scandale, à chaque crise, c'est toujours le même rituel auquel on assiste : confession, pénitence et enfin rémission des péchés. Cette méthode a un grand mérite. Celui de pouvoir tourner la page, de rebondir et de passer à autre chose, avec le sentiment d'une rédemption qui rend meilleur et plus fort. C'est ainsi que l'Amérique, tel un Phénix, ne cesse de renaître de ses cendres, quand on la croit finie.
La semaine passée, les Américains ont donc eu droit à une grande séance de repentance généralisée, avec la publication d'un abondant rapport sur la crise financière de 2008. Tout le monde en a pris pour son grade. Les banquiers centraux, d'abord. À commencer par Alan Greenspan, qui est enfin tombé de son piédestal pour avoir favorisé la spéculation en pratiquant une politique d'argent facile. Autres coupables : les régulateurs, accusés de n'avoir pas fait leur travail, comme on a pu le voir dans l'affaire Madoff. Les agences de notation, évidemment, n'ont pas été épargnées. Mais la palme de la honte est revenue aux banquiers, accusés de légèreté, de cupidité et d'irresponsabilité. Curieusement, les parlementaires, qui ont fait ce rapport, ont oublié de mentionner que si Bill Clinton n'avait pas mis en place une politique visant à rendre propriétaires des Américains qui n'en avaient pas les moyens, et si son conseiller Larry Summers (PHOTO) n'avait pas rédigé la loi réunifiant les banques de détail et les banques d'investissement - « les guichets de poste et les casinos » - l'Amérique se serait évité les deux germes principaux de cette crise.
Il reste qu'aujourd'hui, partout dans le monde, où cette crise fait encore chaque jour des chômeurs, il n'existe qu'une seule catégorie de coupables : ce sont les banquiers. Les politiques ont tout fait, notamment en France, pour pointer du doigt cette profession. Nicolas Sarkozy, lui-même, n'a pas hésité à les culpabiliser, une nouvelle fois, la semaine dernière, à Paris, puis à Davos.
Prise au dépourvu, la gauche est contrainte à faire de la surenchère. Jean-Luc Mélenchon veut nationaliser les banques. Arnaud Montebourg, plein de mansuétude, n'est prêt à leur prendre... que la totalité de leurs bénéfices. Sans compter les nouvelles taxes qui leur ont déjà été imposées. Histoire de leur compliquer la vie au moment où on leur demande de financer davantage les entreprises, et notamment l'industrie.
Car un banquier ne se résume pas à l'attitude arrogante du patron de Goldman Sachs, Llyod Blankfein, qui expliquait il y a un an qu'il accomplissait « le travail de Dieu ». Un banquier est avant tout quelqu'un qui achète de l'argent sur le marché monétaire, pour le prêter aux particuliers ou aux industriels, afin qu'ils s'épanouissent. Il n'y a rien de diabolique là-dedans. Pas davantage, naturellement, que de main divine!
Mais, parce qu'elles financent 70 % de l'économie française et parce qu'on attend d'elles à juste titre qu'elles fassent leur métier, les banques doivent chaque année faire des profits. Un gros mot, qui fait désormais « s'indigner » des cohortes de Français.
Pour 100 euros de bénéfices réalisés, 66 restent dans les caisses de la banque et permettent ainsi de prêter jusqu'à 800 euros de plus à tous ceux qui veulent se développer, créer des richesses et de l'emploi. C'est dire si cette mécanique vertueuse doit être protégée avec soin, sous peine de voir les investissements ralentir, et la croissance s'éteindre, telle une flamme qui manquerait d'oxygène.
Pourquoi rappeler tout cela? D'abord, parce que dans quelques jours, les banques françaises vont annoncer avoir réalisé en 2010 un bénéfice cumulé de près de 20 milliards d'euros. Un chiffre qui va provoquer des cris d'orfraie de la part de tous ceux qui ne se sont toujours pas remis de l'aide technique que l'État a apportée aux banques à l'automne 2008. Un chiffre qui va aussi entraîner des discours bêtement populistes et de nouveaux assauts de démagogie.
La deuxième raison est plus philosophique. Il n'est pas une grande puissance économique qui ne se soit pas développée à un moment ou à un autre de son histoire grâce à ses banquiers. Qu'aurait été l'Italie de la Renaissance, sans les Médicis? Qu'aurait été la France de la révolution industrielle sans les Péreire ou les Rothschild? Qu'aurait été l'Amérique du vingtième siècle sans les Rockefeller ou John Pierpont Morgan, et la Grande-Bretagne sans Warburg? Que serait aujourd'hui la Chine sans des banques géantes au service de ses entreprises?
L'heure n'est donc plus ni à chercher des poux dans la tête des banquiers, ni à les accabler d'impôts dérogatoires du droit commun, ni à les enfermer dans une surrégulation paralysante. Simplement à les laisser faire leur travail. Sans excès d'honneur. Mais sans indignité.
Yves de Kerdrel
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