mercredi 9 mars 2011

L'Asie, eldorado universitaire - Philippe Jacqué

Le Monde - Le Monde Education, mercredi, 9 mars 2011, p. EDU8

C'est tout un symbole. L'université de Chicago, l'une des plus prestigieuses institutions privées des Etats-Unis avec ses huit Prix Nobel et son tout récent médaillé Fields, le Français Ngô Bao Châu, ouvre une antenne universitaire en plein coeur de Pékin. Pour son président, Robert Zimmer (PHOTO), " c'est désormais là qu'il faut être "." Depuis sept ans, nous disposons d'un centre à Paris, explique M. Zimmer. Nous souhaitions être présents en Chine. Nous avons opté pour Pékin, et un bâtiment trois fois plus important que dans la capitale française. Ces centres permettent à nos étudiants et à nos professeurs de travailler dans un milieu international et d'asseoir nos partenariats. Aujourd'hui, être international, c'est non seulement attirer les talents, mais aussi leur fournir une infrastructure de premier plan, aux Etats-Unis et ailleurs. "

Ce passage de Paris à Pékin est un signe des temps. Il y a encore quinze ans, la planète universitaire tournait quasiment exclusivement autour des Etats-Unis, de l'Europe et du Japon. Désormais, la carte scientifique mondiale se diversifie et se recompose avec l'irrésistible montée en puissance de l'Asie, suivie par le développement, plus mesuré, de l'Amérique du Sud grâce aux efforts du Brésil et des pays du Golfe.

Epicentre de la croissance mondiale, " l'Asie a compris que le développement passe désormais par l'enseignement supérieur et la recherche. Les différents pays, dont Singapour ou la Chine, investissent massivement. Ils n'ont pas encore obtenu de Nobel, mais la croissance de la production scientifique y est très forte ", souligne Christian Koenig, le directeur du campus singapourien de l'Essec. De la Chine à l'Inde en passant par la Malaisie, les universités se sont longtemps développées en lien avec leurs grandes soeurs anglo-saxones. Grâce aux dividendes de leur croissance, elles optent maintenant le plus souvent pour un développement plus autonome de leurs institutions.

Les universités chinoises, hongkongaises, singapouriennes, voire certaines indiennes, réussissent à faire revenir des Etats-Unis des professeurs asiatiques aux carrières brillantes. Elles réussissent également à conserver les meilleurs étudiants locaux sur place. " Si, il y a vingt ans, tous les Asiatiques qui en avaient les moyens envoyaient leurs enfants aux Etats-Unis, en Australie ou au Royaume-Uni, désormais ils privilégient des études dans certaines de leurs très bonnes universités locales ", explique Arnould de Meyer, ex-patron de l'école de commerce de Cambridge, aujourd'hui recteur de l'université de management de Singapour. Ce qui explique également pourquoi toutes les grandes universités mondiales veulent s'installer à Singapour ou en Chine.

Comme l'Asie au début, les pays du Golfe s'installent sur la carte mondiale en important des formations clés en main. Le Qatar accueille ainsi dans son Education City des universités américaines de premier plan (Georgetown, Northwestern, etc.), Abou Dhabi héberge la New York University ou la Sorbonne et développe, avec l'aide du Massachusetts Institute of Technology (MIT), le Masdar Institute, un laboratoire de recherche sur le développement durable. Dubaï a pour sa part fait le choix d'accueillir des universités indiennes. Enfin, l'Arabie saoudite a opté pour une autre formule : créer de toutes pièces une université de sciences et technologies, dotée de 10 milliards de dollars, qui recrute aujourd'hui un grand nombre de chercheurs de très haut niveau à travers le monde.

Avec l'Asie qui s'affirme, les pays du Golfe qui raflent des chercheurs, et les efforts de certains pays européens, comme l'Allemagne, qui continuent à investir de manière importante, l'hégémonie scientifique américaine est remise en cause. " Dans la compétition actuelle, il existe un vrai risque que les Etats-Unis perdent leur leadership, juge même Susan Hockfield, la présidente du MIT. La concurrence est beaucoup plus forte au niveau mondial, et notamment avec la Chine, pour attirer, voire retenir, les meilleurs chercheurs et étudiants. Pour le moment, nous résistons, mais il ne faut pas se leurrer. En 2020, cinq universités du top 20 mondial viendront de ce pays. Même si c'est difficile, nous acceptons ce genre de concurrence. "

Philippe Jacqué

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