Les Echos, no. 20883 - International, vendredi, 4 mars 2011, p. 7
Matthieu Timmerman, politologue, enseignant à l'Université d'études internationales de Pékin
Comment expliquer la fébrilité actuelle du pouvoir chinois ?
Il me semble que l'on peut suivre le sinologue Jean-Philippe Béja lorsqu'il dit que la période de consensus au sein du Parti communiste chinois est terminée. Après une phase de tâtonnement au cours de la décennie 1980, le parti a résolument opté, après les événements de Tiananmen, pour un schéma clair : la réforme économique et le verrouillage politique. L'idée défendue alors par Deng Xiaoping était qu'il fallait à tout prix éviter de mettre le pied dans l'engrenage de l'ouverture politique. Et le contre-modèle était celui de Mikhaïl Gorbatchev, qui à force d'hésiter entre économie et politique n'était parvenu à rien du tout. Ce tout économique chinois a connu un succès remarquable, mais, depuis les jeux Olympiques, le consensus semble se fissurer.
A quoi cela peut-il se remarquer ?
Le système s'essouffle un peu. Les effets pervers d'une croissance excessive deviennent visibles et certains jeunes diplômés commencent à ne plus trouver de travail. C'est un phénomène nouveau, qui touche tous les secteurs d'activité et toutes les universités. Les jeunes réalisent soudain qu'un diplôme ne suffit plus ; il faut aussi dans ce pays de bonnes connexions. On peut aussi remarquer la présence policière, qui est un révélateur du degré d'inquiétude du régime. Ce dernier a une conscience aiguë de sa propre fragilité et se pense manifestement sur le mode de la survie. Il ne semble pas réellement capable de voir à long terme, car il s'occupe essentiellement de gérer au quotidien ses propres équilibres et ceux au sein de la population.
La Chine n'a pourtant pas cette image dans le monde...
Oui, c'est là un paradoxe très chinois : alors que le pays semble sûr de lui à l'extérieur et qu'il dicte parfois ses lois au monde, son régime se vit aujourd'hui sur un mode assez paranoïaque. Globalement, la Chine contemporaine a toujours tenu un double discours. Depuis 1989, elle a l'obsession de ne pas apparaître agressive vis-à-vis de l'Occident. Elle parle d'émergence pacifique, demande du temps pour se réformer sur le plan politique. Mais le contraste est net avec la réalité intérieure. Les Occidentaux ont tendance à croire, lorsqu'ils voient les cafés Starbucks s'ouvrir à chaque coin de rue, que le pays s'ouvre et change. A mon sens c'est une façade qui masque l'immobilisme du système.
Propos recueillis à Pékin par Gabriel Grésillon
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