vendredi 4 mars 2011

REPORTAGE - En Chine, la pollution industrielle gagne les rizières - Harold Thibault


Le Monde - Environnement & Sciences, vendredi, 4 mars 2011, p. 4

De retour d'une longue journée de travail dans la rizière, Liu Shangui, 63 ans, se souvient : " C'était il y a peut-être deux décennies, notre village a traîné la mine d'or en justice. " A l'époque, les pousses de riz ne grandissent plus à Maotian, bourg du sud de la province du Zhejiang. L'eau qui abreuve les champs est trop lourdement polluée. Les relevés effectués alors montrent que du cadmium, un métal très toxique, contamine la population locale qui, aujourd'hui encore, se nourrit de ce riz et vend le surplus.

Suite à la procédure engagée, la communauté reçoit alors 300 000 yuans (environ 32 000 euros), une somme pour un village de quatre cents âmes. " Ils ont considéré qu'ils avaient payé et donc qu'ils pouvaient continuer comme si de rien n'était ", explique M. Liu, en pantalon bleu nuit et tennis vert kaki du paysan chinois. Son village est le premier en aval d'une imposante mine d'or trônant sur la colline qu'il n'est toujours pas question de fermer. Les effets du cadmium sur la santé humaine ont été documentés : insuffisance rénale et ramollissement des os donnant lieu à des maux de jambes. Certains villageois sont tentés de faire un lien entre des cas de cancer, du foie notamment, et les rejets de la mine même s'ils concèdent ne pas en avoir la preuve.

Le problème n'est donc pas nouveau mais dans un pays en proie aux inquiétudes sur la qualité des produits alimentaires, particulièrement depuis que 300 000 enfants ont été hospitalisés, en 2008, après avoir ingéré du lait en poudre coupé à de la mélamine, les interrogations sur la qualité du riz restaient confinées aux scientifiques. Jusqu'à ce que le magazine New Century, réputé pour sa liberté de ton, publie mi-février une longue enquête sur la pollution des rizières.

L'hebdomadaire cite Pan Genxing, un chercheur de l'université agricole de Nankin qui, en 2007, a relevé 91 échantillons dans six régions différentes avant d'en conclure que 10 % du riz commercialisé dans le pays contenait un niveau élevé de cadmium. Le problème serait plus sérieux dans la moitié sud du pays, la Chine des rizières et de l'hyperactivité industrielle. Greenpeace juge le chiffre avancé par le professeur Pan Genxing assez probable.

Li Tingqiang, chercheur à la faculté des sciences environnementales de l'université du Zhejiang, estime que le problème est " sévère " et rappelle les évaluations qui accompagnaient déjà le onzième plan quinquennal lors de son adoption, en 2006 : 20 millions d'hectares étaient pollués aux métaux lourds, soit un peu moins d'un sixième de l'ensemble des terres arables de la Chine, affectant 12 millions de tonnes de grains chaque année.

Quelques jours seulement après la parution de l'article du New Century, le 19 février, le ministère de la protection de l'environnement a annoncé un plan de réduction de 15 % des pollutions au plomb à l'horizon 2015 par rapport aux niveaux de 2007. La multiplication des cas de contamination aux métaux lourds - officiellement trente incidents " majeurs " depuis 2009 - a mené à des soulèvements populaires dans des villages et le ministre évoque donc, outre la santé publique, la stabilité sociale.

Le ministère estime que 900 tonnes de métaux lourds, dont du plomb, du cadmium et de l'arsenic, auraient été déversées dans la nature depuis 2007 et que 75 milliards de yuans (8 milliards d'euros), seront nécessaires pour gérer le problème au cours des cinq -prochaines années.

La logique même du développement économique qui depuis trois décennies a prévalu sur les questions environnementales est contestée. " Il faudra se débarrasser d'industries arriérées et puisque les zones résidentielles s'approchent des zones industrielles, le gouvernement devra déplacer certaines usines ", explique le docteur Shan, membre d'une équipe chargée d'une étude en cours au niveau national sur le contrôle des pollutions aux métaux lourds. " Quant au problème des mines, la meilleure solution restera l'encadrement des sources polluantes. "

A plus court terme, Greenpeace exige davantage de transparence. Ma Tianjie, responsable de la campagne sur les produits toxiques, constate que l'information n'est pas accessible : " Lorsque nous demandons aux entreprises les analyses, elles répondent que cela relève du secret commercial. Or connaître les risques est l'étape de base pour se protéger. "

Le chef du village de Maotian, M. Zhang, préfère se tourner vers l'avenir et parler du projet de " zone touristique de la mine d'or ", un parc toujours en travaux dont les retombées économiques pourraient un jour bénéficier au village si les urbains de Wenzhou ou de Shanghaï se décident à venir y passer leurs week-ends. Lors de son inauguration, les officiels de Suichang, la ville la plus proche, ont loué " les beaux paysages, l'eau qui est bonne ", raconte un villageois.

Bien sûr, la mine est toujours en activité, avec son lot de rejets toxiques, mais ses eaux sont désormais freinées par un barrage. Un procédé chimique permet de réduire leur teneur en métaux lourds toxiques pour l'agriculture. Surtout, expliquent avec une pointe d'ironie les habitants de Maotian, le cours d'eau pollué a été en partie détourné vers le village de Fengyang, sur l'autre versant de la colline. L'optimisme local gagne aussi le modeste Liu Shangui qui constate toutefois que la rivière qui s'écoule à quelques pas de ses rizières prend encore parfois une étrange couleur jaunâtre.

Harold Thibault

PHOTO - Workers drain away polluted water near the Zijin copper mine in Shanghang on July 13, 2010, after pollution from the mine contaminated the Ting river, a major waterway in southeast China's Fujian province. China's top gold producer Zijin Mining defended its handling of a toxic pollution spill that killed off vast numbers of fish, saying heavy rains were to blame, as the company's shares slumped.

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