Pékin ne parvient pas à juguler l'exploitation illégale qui sévit dans la province du Jiangxi et empoisonne les sols
C'est un paysage de cratères, et de pans de collines arrachés. La surface sinistrée, un kilomètre carré environ, est abandonnée depuis une dizaine d'années, quand l'extraction de terres rares détruisait des montagnes entières aux environs de Beitou, dans la province du Jiangxi, au sud-est de la Chine. Une formation géologique particulière a fait de cette zone proche de la ville de Ganzhou l'une des plus importantes réserves au monde de terres rares lourdes, les plus chères et les plus recherchées parmi ces 17 éléments métalliques, essentiels pour les industries de pointe, et dont la Chine assure 97 % de la production mondiale.
Des techniques d'extraction plus chirurgicales sont utilisées aujourd'hui à Beitou - une solution circule dans un forage, puis s'écoule vers des bassins de décantation où les terres rares sont récupérées sous forme de poudre -, mais elles continuent de faire des ravages.
Des produits chimiques, comme le sulfate d'ammonium, se répandent dans la nature. Au détour d'un chemin, dans le village de Lijiadong, un bassin de décantation est camouflé derrière des branchages. Tout est en place, mais le site est mystérieusement désert. Vraisemblablement illégal, c'est-à-dire sans licence. « La mine est seulement en activité après minuit », confie, terrorisé, un paysan du village de Chakou, en aval.
Cela fait des années que les autorités chinoises tentent de mieux encadrer l'exploitation quasi sauvage des terres rares du Jiangxi par des patrons privés, attirés par la faible mise de départ et la rapidité du retour sur investissement, surtout quand les produits de l'extraction sont écoulés en contrebande, via le Guangdong voisin.
Une gageure. L'argent des terres rares a corrompu les gouvernements locaux qui ne se soucient guère de l'environnement et usent de tous les moyens pour faire taire la colère des paysans dont les cultures sont contaminées par les métaux. Une nouvelle directive annoncée en début -d'année a placé l'ensemble de la région (2 500 km2) sous le contrôle direct du ministère des ressources de la terre. Objectif : redonner la main à une entité d'Etat afin de mieux réguler l'extraction et juguler les filières illégales. La Chine exporte ses terres rares - de moins en moins -, car elle en consomme beaucoup, plus de 60 % de sa production.
La partie est loin d'être gagnée. Au début, les patrons de mines remboursaient aux paysans l'équivalent de leur récolte affectée par la pollution. Jusqu'à ce jour de septembre 2009, où la frustration des paysans a dégénéré. « On s'est plaint. Les gens des mines nous ont dit de nous adresser au gouvernement », témoigne une femme présente lors des émeutes.
Des cadres du bourg et des responsables de mines sont venus parlementer avec les villageois dans la maison de Liu Guodong, à Chakou, où des camions apportent les produits chimiques indispensables à l'extraction. Les paysans ont bloqué les camions. Quand un gérant de mine a tenté de riposter, le ton est monté. Il a été roué de coups, raconte la femme. L'homme a été emmené par les policiers à la clinique locale. Mais les habitants ont détruit sa voiture quand ils ont appris que les patrons des mines se préparaient à envoyer des « gros bras » pour leur donner une leçon. Dans les jours qui suivirent, des groupes de villageois de Beitou ont saccagé des installations de forage.
Quatre jours plus tard, Liu Guodong fut le premier arrêté. Les paysans ont tenté de faire valoir leurs droits auprès des autorités du comté. Mais ils seront malmenés par la police antiémeute. La reprise en main fut rapide, et les arrestations, arbitraires. « Ils ont mis en prison ceux qui savaient utiliser Internet, raconte un des villageois. Les dirigeants ont étouffé l'affaire et gardent certains d'entre nous en prison pour nous effrayer. »
Depuis ces événements de 2009, la peur règne, en effet. « Les cadres locaux de Beitou nous disent : si vous n'avez pas assez à manger, allez vous pendre ! », dit une femme les larmes aux yeux. Les paysans de Chakou sont d'autant plus en colère qu'ils n'ont jamais touché un sou de la location des collines du village aux patrons de mines.
En revanche, à Xingguangcun, un autre village de la région de Beitou, les habitants ont cru avoir fait l'affaire du siècle quand ils ont loué en 2006 aux patrons des mines, pour un million de yuans (110 000 euros) sur quinze ans, une centaine d'hectares de terres collectives du village. Ils en avaient acquis l'usage pour cinquante ans à un prix cent fois plus faible, raconte Zhong Jingsheng, un cadre du parti à la retraite. « Mais on n'avait jamais imaginé de tels problèmes d'environnement ! », dit-il.
A la saison des pluies, des torrents de boue contaminée descendent des collines dénudées et inondent les rues du village et les lopins de terre. Il faut aller chercher de l'eau potable à des kilomètres.
La moitié des habitants se sont installés dans le bourg de Beitou. C'est le cas des trois enfants de M. Zhong : avec l'argent d'une concession de quatre ans allouée aux exploitants de terres rares, ils ont acheté un appartement et une voiture. Le regrette-t-il ? « Il n'y a rien à faire ! », dit-il. L'an dernier, il a de nouveau cédé les terres de la famille pour quatre ans : « les patrons m'ont menacé de mort ! », précise-t-il. « Si je ne le fais pas, d'autres le feront, et la pollution sera la même ! » Alors, il a pris l'argent empoisonné des terres rares.
© 2011 SA Le Monde. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire