Pianiste émérite, patron de l'Opéra de Berlin et du West-Eastern Divan Orchestra, qui rassemble des musiciens israéliens et arabes, le chef et soliste est sur tous les fronts. Désormais, il s'accorde un peu plus de temps. L'Express a pu le rencontrer.
Il arrive comme un tourbillon à son hôtel, embrasse des musiciens qui l'attendaient dans le hall, lance des ordres à son attachée de presse et s'engouffre dans l'ascenseur. Ayant rejoint sa suite, il s'affaire, ouvre et ferme plusieurs fois la fenêtre, répond au téléphone en différentes langues, allume un long cigare. A bientôt 70 ans, l'ancien enfant prodige, chef et pianiste célébré, vient de signer un nouveau contrat avec Deutsche Grammophon, ce qui lui permet de réviser ses classiques : Chopin, Tchaïkovski et, bientôt, Liszt. Il s'assied, enfin. Daniel Barenboim pose ses pieds sur la table. Il sourit. Il est prêt à répondre aux questions. Ça tombe bien.
Pendant longtemps, vous avez multiplié les activités musicales. Vos engagements de chef d'orchestre vous laissent-ils le temps de travailler suffisamment votre piano ?
Jusqu'à une date récente, je pouvais, en une semaine, diriger quatre concerts à Chicago et donner un récital de piano en Europe le dimanche suivant. Aujourd'hui, ce n'est plus possible parce que je n'ai plus la même facilité de récupération musculaire. Alors je répartis mon temps de travail. Je dédie des périodes au piano ; six semaines à l'heure où nous parlons. Et là, je ne veux pas entendre parler de direction d'orchestre !
Précisément, cela fait bientôt vingt ans que vous dirigez l'Opéra de Berlin. Eprouvez-vous de la lassitude ?
Non. Jamais. Je ressens, au contraire, une volonté de renouvellement et d'approfondissement chez ces musiciens. Nous avons, par exemple, joué plus de 40 fois ensemble la Symphonie n° 9, de Beethoven. Eh bien, il m'est arrivé, il n'y a pas longtemps, de ne pas être très satisfait de certaines choses. Après le concert, le premier violon est venu me voir pour résoudre ces problèmes avec moi. L'orchestre m'a désigné "chef à vie", ce qui est un grand honneur. J'espère que le jour où ils en auront assez de moi, ou moi d'eux, nous aurons le courage de nous le dire.
Le quotidien d'une maison d'opéra ne vous pèse-t-il pas ?
A l'Opéra, les moments où tout fonctionne - musique, mise en scène, chef, décor, costumes et lumières - sont presque des exceptions. Mais, quand cela arrive, c'est comme de voir votre numéro sortir à la roulette. Alors, quelquefois, oui, j'en ai marre. Dans ces cas-là, j'attends de gagner à nouveau. La chance finit toujours par tourner.
Vous êtes également "chef principal invité" de la Scala de Milan. Quelle est la situation là-bas ?
La Scala reste un îlot : les finances y sont bonnes et les productions soignées. Mais, en Italie, la situation est globalement catastrophique. Que voulez-vous faire dans un pays où le ministre des Finances dit : "La cultura non fa mangiare" ("La culture ne fait pas manger") ?...
Vous avez de nombreux élèves. Comment jugez-vous les jeunes pianistes d'aujourd'hui ?
Leur technique est souvent excellente. Ce qui manque, en revanche, c'est la culture. Tout ce qui est autour de la musique et qui est essentiel. Cela vient du fait que l'on traite la musique comme une spécialité. C'est dommage.
Regrettez-vous le passé ?
Pas du tout. J'ai un peu peur de dire "autrefois", car l'année prochaine, j'aurai 70 ans ! Mais en écoutant les grands pianistes du passé, vous pouvez reconnaître la sonorité, le phrasé, le chant unique d'un artiste. Entendez-vous des pianistes avec de telles personnalités aujourd'hui ? Non. Il y a bien sûr Pollini, Zimerman, Sokolov et, parmi les jeunes, Anderszewski. C'est peu. Le jeu est uniformisé.
Vous avez été un enfant prodige. Avez-vous eu conscience d'être un surdoué ? Vos capacités de mémoire rendent jaloux beaucoup de vos confrères.
Je n'ai jamais pensé être surdoué. Je possède juste une mémoire digitale. Parfois, on oublie tout et il est nécessaire de se "vider" la tête : les doigts, eux, savent exactement où aller. Ce que j'ai appris il y a cinquante ans peut revenir, comme ça...
Quel est votre premier souvenir musical ?
Dans notre petit appartement à Buenos Aires, mes parents enseignaient le piano. Ma mère, aux enfants ; mon père, aux plus grands. A chaque fois que quelqu'un sonnait à la porte, c'était pour prendre un cours. Il paraît qu'à 2 ou 3 ans j'ai demandé à ma mère s'il existait dans le monde des gens qui ne jouaient pas de piano. A 4 ans, j'ai voulu apprendre un instrument. Un ami violoniste venant souvent jouer avec mon père, j'ai voulu apprendre le violon pour jouer, moi aussi, avec lui. Mais j'étais trop petit. Alors je me suis mis au piano.
Bertrand Dermoncourt
Bio
1942 Naissance à Buenos Aires (Argentine).
1950 Premier récital de piano.
1952 Installation en Israël.
1967 Mariage avec la violoncelliste Jacqueline Du Pré.
1975-1989 Directeur musical de l'Orchestre de Paris.
1999 Création avec Edward Saïd du West-Eastern Divan Orchestra.
2009 Dirige le concert du Nouvel An à Vienne (Autriche).
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