La partie qui se joue en ce moment à Dharamsala (Inde du Nord), capitale du Tibet en exil, est stratégique. Ses implications touchent à l'articulation politique entre le Tibet et la Chine et, par voie de conséquence, à la géopolitique régionale autour de l'Himalaya.
En ayant annoncé, le 10 mars, sa retraite politique, sous la forme d'une " dévolution " de son autorité temporelle à des institutions tibétaines élues, Tenzin Gyatso, plus connu sous le titre de quatorzième dalaï-lama, bouleverse les plans de Pékin visant à contrôler sa succession. Agé de 76 ans, le dalaï-lama sent sa fin proche. Mieux que quiconque, il sait que le régime chinois cherchera à mettre à profit sa disparition pour tenter d'éliminer la légitimité alternative à la tutelle chinoise qu'il incarnait.
Sa crainte est que Pékin réédite avec l'institution du dalaï-lama l'opération déjà accomplie en 1995 avec celle du panchen-lama, à savoir la manipulation du processus d'identification du garçonnet censé être la " réincarnation " du lama décédé.
Afin de parer à ce risque, le dalaï-lama a déjà maintes fois déclaré que sa réincarnation pourrait naître hors du Tibet chinois, c'est-à-dire au sein de la diaspora (environ 130 000 personnes contre 6 millions vivant au Tibet), voire même être " élu " par un collège de sages " comme le pape ". Pékin l'a aussitôt accusé de violer les traditions du bouddhisme tibétain.
Grand modernisateur
Aujourd'hui, Tenzin Gyatso va plus loin. Il préconise une redéfinition du statut du dalaï-lama en le dépossédant de son pouvoir politique pour ne lui conserver que sa fonction de guide spirituel. Bref, briser cette autorité duale, cette fusion de l'Eglise et de l'Etat (Ganden Phodrang) qui présidait aux destinées du Tibet depuis 1642 lorsque le chef mongol de l'époque - Gushri Khan - avait cédé son pouvoir temporel à Lobsang Gyatso, le cinquième dalaï-lama. L'ironie est cinglante. En prônant la liquidation de la tradition théocratique tibétaine, le quatorzième dalaï-lama joue au grand modernisateur, tandis que Pékin, qui fustigeait jusque-là les survivances du " féodalisme " autour du chef tibétain, professe le respect de la coutume. Un dalaï-lama politiquement démonétisé, c'est en effet une mauvaise nouvelle pour le régime chinois, qui compte bien remettre la main sur un trône scintillant de tout son éclat.
Dans l'immédiat, la décision du dalaï-lama a de lourdes conséquences institutionnelles pour la diaspora. Il faut retoucher la Charte des Tibétains en exil de 1991 - dotée d'une valeur constitutionnelle - afin de gommer toutes les références aux fonctions exécutives dont le dalaï-lama était investi.
Le premier ministre en exil - les résultats des dernières élections seront annoncés le 27 avril - pourrait récupérer l'essentiel de ses anciennes prérogatives politiques. Le Parlement en exil se réunira à Dharamsala, entre le 24 et le 28 mai, afin de ratifier ces amendements. Le débat est vif. De nombreux élus tibétains supplient le dalaï-lama d'accepter qu'une " fonction politique symbolique " lui soit toujours reconnue.
F. B.
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