Très à l'aise sur le continent américain, la ministre vient de présider le G 20 Finances. Elle sera probablement élue députée des Français résidant aux Etats-Unis. Mais son nom circule aussi pour des fonctions internationales prestigieuses. Le FMI, par exemple.
Ce mercredi 13 avril, Christine Lagarde et Dominique Strauss-Kahn se rencontrent par hasard dans le hall de l'hôtel Sofitel à Washington. Le lendemain débute la réunion des ministres des Finances du G 20 et l'assemblée semestrielle du Fonds monétaire international. Alors que les deux Français bavardent, une jeune compatriote, fraîchement installée aux Etats-Unis, se précipite vers eux. "Je vous admire beaucoup", dit-elle au directeur général du FMI. Puis, se tournant vers la ministre de l'Economie : "Je vous admire énormément." DSK note que la comparaison lui est - relativement - défavorable. Christine Lagarde, elle, est assurée d'une voix pour les élections législatives de 2012 : elle vient juste de recevoir l'investiture de l'UMP pour la circonscription des Français vivant aux Etats-Unis et au Canada.
Drôle d'endroit pour une rencontre... Ou plutôt pour un chassé-croisé. Quand l'un pourrait bien revenir de ce côté-ci de l'Atlantique, l'autre va renouer avec ce continent qu'elle connaît bien. Sa prochaine vie de députée des Français de l'étranger ne fait aucun doute tant cet électorat est acquis à la droite. La surprise pourrait venir d'ailleurs : son nom est désormais évoqué pour succéder à DSK à la tête du FMI (voir encadré page 48).
Durant vingt-cinq ans, Christine Lagarde a fait carrière au sein d'un grand cabinet d'avocats d'affaires, Baker & McKenzie, en France puis aux Etats-Unis. De ce long séjour elle a appris la maîtrise des codes et de la culture des élites américaines. Elle sait emballer une salle (le public réuni par la fondation Bertelsmann, le 14 avril) en disant sa confiance en la démocratie américaine, citant Tocqueville en appui ; elle sait aussi la faire rire, comparant les mérites du camembert et du gruyère afin d'expliquer une subtilité fiscale. Son métier d'avocate lui a appris les règles de la négociation. "Dans une démarche très américaine, elle met au service de la collectivité ce qu'elle a appris dans le privé", explique l'un de ses conseillers.
Travaux pratiques : le G 20, présidé pour un an par la France. Depuis novembre 2010 et jusqu'en novembre de cette année, Lagarde règne donc sur 19 autres grands argentiers. A Washington, ils sont parvenus à un accord qui paraîtra bien modeste ou abscons au commun des mortels (voir l'encadré page 46). Christine Lagarde y aura apporté son savoir-faire, à l'aise dans ce mélange de technocratie et de pâte humaine. Elle sait ménager les susceptibilités. Celle de Guido Mantega, par exemple, son homologue brésilien. Son pays, parmi d'autres, ne voulait pas que le contrôle des capitaux soit codifié. Christine Lagarde - qui épluche le CV de ses partenaires de G 20 - a compris que les envolées lyriques de son interlocuteur venaient de ses origines italiennes, mais les a tout de même prises au sérieux, lui consacrant un quart d'heure de tête-à-tête avant le dîner de travail du 14 avril, le laissant longuement s'exprimer alors qu'elle a édicté un code de bonne conduite : parler sans notes, faire bref. Au final, la présidence a dû renoncer à ses intentions initiales, mais les Brésiliens ont accepté une nouvelle étude sur le sujet. De la diplomatie financière...
Lagarde multiplie les attentions, les petits cadeaux (du miel de ses abeilles normandes pour les privilégiés), et suscite l'adhésion sur sa personne - "On va se mettre d'accord pour faire plaisir à Christine", disent certains -, voire un engouement quasi amoureux. Celui du ministre coréen entraîne même le sourire de ses collègues.
Elle n'a pas voulu bousculer les Chinois...
La relation avec les Chinois est moins sentimentale. Au précédent G 20, en février, à Paris, la deuxième puissance mondiale avait fait de la résistance pour ne pas apparaître comme le fauteur des troubles économiques de la planète. Elle a continué à Washington, refusant que soit publiée la liste des sept pays dont le poids dans l'économie mondiale est tel que leurs déséquilibres doivent être surveillés de près. Christine Lagarde aurait bien aimé publier ces noms pour donner un contenu à la fois concret et symbolique au communiqué final. Mais elle n'a pas insisté, ne voulant pas bousculer les Chinois pour une affaire qui n'en était pas une... puisque les journalistes ont vite deviné qui étaient les pays en question.
Finalement, la ministre réussit mieux avec son homologue chinois, Xie Xuren, qu'avec son voisin du dessous à Bercy, François Baroin. Entre le ministre du Budget et la ministre de l'Economie et des Finances, les relations, pas faciles, se sont soldées par un Yalta. Pour la réforme de l'ISF, Baroin fut seul à la manoeuvre. Lagarde ne dit pas ce qu'elle pense du résultat, mais l'on devine une certaine amertume chez cette brave soldate du sarkozysme qui, trois ans durant, a défendu le bouclier fiscal au nom de la stabilité législative. Le voir disparaître aujourd'hui pour une réforme a minima... La ministre a beau savoir que la politique exige des choix que l'économie réprouve, elle a du mal à s'y résoudre.
Encadré(s) :
G 20 : mode d'emploi pour la croissance
Les petits pas du G 20 de Washington (14 et 15 avril) en feront-ils un grand pour l'économie mondiale ? Réponse - peut-être - à Cannes, les 3 et 4 novembre prochains, pour le sommet de clôture de la présidence française du G 20.
Dans la capitale américaine, les ministres des Finances se sont particulièrement attachés au thème de la croissance "forte, durable et équilibrée". L'idée de départ est que le dynamisme économique est handicapé par les déséquilibres de certains pays (par exemple, trop d'épargne en Chine et pas assez aux Etats-Unis). Comment y remédier sans désigner des "coupables", ni leur imposer des remèdes ? Cet exercice avait commencé dans la douleur à Paris (G 20 des 18 et 19 février), il s'est poursuivi, plus aisément, à Washington. Le 15 avril, les pays du G 20 (85 % du PIB mondial) ont décidé de surveiller particulièrement les plus gros d'entre eux, ceux qui représentent plus de 5 % du PIB du G 20 : les Etats-Unis, la Chine, le Japon, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l'Inde. Ils seront étudiés à travers une batterie de critères très complexes, concernant les finances publiques, les comptes extérieurs, l'épargne et la dette privées. Enfin, et c'est la partie la plus délicate, lors du sommet de Cannes, les chefs d'Etat et de gouvernement établiront la liste des mesures correc- tives et préventives à prendre. Pas d'obligation, donc. Le G 20 parie sur la pression des pairs pour que ses recommandations ne restent pas lettre morte.
fmi : Après dsk, et si c'était elle ?
Corinne Lhaïk
C'est la presse anglo-saxonne qui en parle : Christine Lagarde est pressentie pour succéder à Dominique Strauss-Kahn. Mieux : elle pourrait être soutenue par le gouvernement (conservateur) britannique, peu susceptible d'appuyer la candidature éventuelle de l'ancien Premier ministre (travailliste) Gordon Brown. Interrogé par L'Express, l'entourage de la ministre de l'Economie se refuse à tout commentaire.
Officiellement tabou, le sujet préoccupe les pays membres européens du FMI, à la recherche d'un successeur. Pour eux, il doit être l'un des leurs, au moment où l'institution de Washington joue un rôle essentiel dans l'aide à la Grèce, à l'Irlande ou au Portugal. Un Brésilien ou un Indien comprendrait-il la subtilité des institutions de la zone euro ? Pourtant, les Européens avaient promis aux pays émergents que le poste de directeur général du FMI ne serait plus systématiquement dévolu au Vieux Continent. Christine Lagarde, bien que française, rendrait l'oubli de cet engagement plus acceptable : elle fait autorité parmi les membres du G 20, qui sont, peu ou prou, les mêmes que ceux des instances dirigeantes du FMI.
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