Arrestations, disparitions... la Chine intensifie depuis deux mois la répression contre les prodémocrates.
La furieuse campagne de répression politique, lancée en février par les autorités chinoises, ne cesse de s'étendre. Dimanche soir, l'artiste Ai Weiwei, célèbre pour avoir participé à la conception du stade olympique de Pékin en forme de nid d'hirondelle, a rejoint les quelque deux cents écrivains, blogueurs, artistes, journalistes et prodémocrates qui ont été arrêtés, condamnés, mis en résidence surveillée ou que la police a fait disparaître sans autre forme de procès pour des délits d'opinion, selon les organisations de défense des droits de l'homme. Ai Weiwei a été arrêté à l'aéroport de Pékin alors qu'il s'apprêtait à se rendre à Hongkong. Le régime refusait, hier encore, de donner la moindre explication. La police, qui a saisi ses ordinateurs et ceux de ses assistants, recherche activement de quel crime il pourrait être accusé. «Ai Weiwei va payer le prix de son indépendance d'esprit», assurait hier un éditorial vengeur du quotidien officiel Global Times. La France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont, de leur côté, demandé la libération de l'artiste, tandis que l'ambassadeur de l'Union européenne en Chine dénonçait «l'utilisation croissante par les autorités chinoises de mises en détention arbitraires de défenseurs des droits de l'homme, d'avocats et de militants».
Cure-dents. Fils d'Ai Qing, un poète réputé, Ai Weiwei est devenu en quelques années l'un des chefs de file de l'intelligentsia libérale. «Le simple fait d'avoir des opinons différentes peut coûter la vie aux dissidents; ils peuvent être emprisonnés, réduits au silence ou disparaître», déclarait-il l'an dernier. Provocateur, Ai Weiwei semblait, jusqu'alors, protégé par sa renommée en Chine et à l'étranger. L'une de ses expositions est actuellement visible à la Tate Gallery de Londres. Il avait reçu de nombreux avertissements : en janvier, une galerie qu'il venait de bâtir à grands frais à Shanghai avait été détruite par les autorités. Ai Weiwei risque aujourd'hui de rejoindre en prison le Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo.
«Les "guobao" [brigadiersde protection de la sécurité intérieure, ndlr] peuvent nous arrêter quand ils veulent, où ils veulent, nous emprisonner le temps qu'ils veulent et nous maltraiter comme bon leur semble», déplore un professeur d'université qui préfère garder l'anonymat. Gao Zhisheng, avocat des droits de l'homme enfermé on ne sait trop où depuis deux ans, a ainsi subi des sévices indescriptibles. Selon un journaliste d'Associated Press qui a pu recueillir clandestinement ses propos l'an dernier, il a été dévêtu, attaché puis battu pendant deux jours et deux nuits par plusieurs policiers. L'avocat a également eu ses parties génitales percées par des cure-dents, selon un texte qu'il est parvenu à rendre public. «Cette campagne de persécution a été ordonnée au plus haut niveau du Parti communiste, explique une source bien informée. L'objectif est de "tuer des poulets pour effrayer les singes".»Comprenez semer la terreur.
Censure. Ces rafles d'opposants à la chaîne s'accompagnent d'une réaffirmation sans ambiguïté par le pouvoir de la «supériorité» de la dictature du Parti unique. «Nous jurons solennellement que nous n'adopterons jamais le multipartisme; que nous ne diversifierons jamais notre ligne politique; que nous ne séparerons jamais les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire; que nous n'adopterons jamais un système bipartite; que nous ne privatiserons pas», a d'ailleurs lancé début mars, le numéro 2 du comité permanent du Bureau politique, Wu Bangguo. En plus de diverger de la ligne du Premier ministre Jiabao (qui s'est déclaré, à plusieurs reprises cette année, favorable à des réformes politiques), cette position orthodoxe est diamétralement opposée aux profonds changements proposés à la fin des années 80 qui avaient commencé à mettre en place une séparation du parti et de l'Etat. Cette politique s'est encore raffermie pour contrer les appels lancés, en février, sur Internet pour une «révolution de jasmin» en Chine. D'importants moyens sont mis à la disposition des polices pour censurer Internet et réprimer efficacement tout défi, si petit soit-il, à la dictature du Parti unique.
L'embastillé Ai Weiwei a l'art de poser les bonnes questions. L'an dernier, dans un éditorial publié par le Wall Street Journal, il s'interrogeait sur le partenariat que l'Occident avait scellé avec la Chine, lui permettant de devenir la seconde puissance économique du monde tout en légitimant et en renforçant son régime répressif. «Comment, écrivait-il, un Etat basé sur la limitation des flux de l'information et de la liberté de parole peut demeurer puissant ? Et si cela est possible, alors, quelle sorte de monstre va-t-il devenir ?»
© 2011 SA Libération. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire