Le Monde - Analyses, samedi 14 mai 2011, p. 19
La récente visite à Pyongyang de l'ex-président américain Jimmy Carter n'a guère porté de fruits : sa rencontre avec Kim Yong-nam, président du comité permanent de l'Assemblée populaire suprême, qui fait office de chef d'Etat, a même pris un caractère de « confrontation » verbale, a-t-il déclaré. Accompagné d'autres « anciens » - l'ex-président finlandais Martti Ahtisaari ainsi que son homologue irlandaise, Mary Robinson, et l'ex-premier ministre norvégien Gro Harlem Brundtland -, M. Carter cherchait à apaiser la tension dans la péninsule et à évaluer la gravité de la situation alimentaire au Nord.
C'est avec scepticisme sinon irritation que Séoul a accueilli cette démarche : le président Lee Myung-bak n'a pas reçu la délégation et considère que le message du dirigeant Kim Jong-il, dont elle était porteuse, dans lequel celui-ci se déclare « prêt à des pourparlers », est vide de signification. La visite de M. Carter aura au moins eu un mérite : mettre en évidence la double impasse, sécuritaire et humanitaire, de la politique intransigeante vis-à-vis de Pyongyang adoptée par M. Lee Myung-bak depuis 2008 et épaulée par l'administration Obama.
La rupture du dialogue intercoréen et la suspension de l'aide du Sud au Nord ont conduit à un regain de tension qui n'est pas étranger aux incidents meurtriers de 2010 : naufrage de la corvette Cheonan en mars (46 morts) et le bombardement de l'île Yongpyong en novembre (4 morts). Fort des conclusions d'une enquête internationale - non endossées par la Chine et la Russie - retenant l'hypothèse d'une attaque à la torpille du Cheonan par la République populaire démocratique de Corée (RPDC), Séoul exige des excuses comme préalable à tout dialogue. Pour Pyongyang, qui nie toute implication dans ce naufrage, le bombardement de Yongpyong était une riposte à une provocation.
La tension dans la péninsule et l'enlisement des pourparlers sur le nucléaire sont des questions de longue haleine. Une autre se pose de manière urgente : l'alarmante détérioration de la situation alimentaire au Nord. Or, l'assistance internationale est bloquée pour des motifs politiques. « Que l'Amérique et la Corée du Sud retiennent l'aide alimentaire destinée à la Corée du Nord pour des raisons politiques est une violation des droits de l'homme », a déclaré M. Carter. Ces propos ont provoqué un tollé des organisations qui dénoncent la violation de ces droits par la RPDC. Amnesty International fait état de 200 000 détenus (chiffre qui n'est pas nouveau) et d'une extension des camps de travail.
Le problème soulevé par M. Carter n'en est pas moins réel : sans être aussi dramatique qu'elle le fut dans les années 1990 (la famine fit 1 million de morts), la pénurie alimentaire est alarmante, estime le Programme alimentaire mondial (PAM) dans un rapport publié, en mars, à la suite d'une mission en RPDC. L'hiver le plus froid en soixante ans, des inondations et une épidémie de fièvre aphteuse sont à l'origine de ce nouveau déficit alimentaire.
Six millions de personnes (soit un quart de la population) souffrent déjà de malnutrition chronique. Quatre organisations humanitaires (Concern Worldwide, Handicap International, Save the Children et Triangle Génération Humanitaire), ainsi que l'Agence suisse pour le développement et la coopération, ont lancé un appel soulignant les risques d'une prise de conscience tardive d'une telle dégradation.
Ce fut le cas lors de la famine de 1994-1997 : les tergiversations sur l'ampleur de la pénurie conjuguées aux arrière-pensées politiques - Séoul misait sur cette aggravation pour provoquer la chute du régime - ont contribué à dramatiser encore la situation. Sans nier la responsabilité du régime nord-coréen dans cette famine, des auteurs comme Andrew. S. Natsios (The Great North Korean Famine), Hazel Smith (Hungry for Peace) ou Stephan Haggard et Marcus Noland (Famine in North Korea) dénoncent un attentisme coupable.
Si Séoul a tout lieu d'être « remonté » contre la RPDC et refuse de l'aider, écrit le New York Times dans un éditorial, « il n'y a aucune raison pour que le président Obama commette la même erreur (...). Se tenir à l'écart ne peut être une option ». Rappelant la famine des années 1990, le quotidien estime que « quel que soit le dégoût qu'inspire le régime, on ne peut permettre que cela se reproduise ».
« Attendre pour qu'il y ait davantage de preuves de pénurie signifie qu'il sera trop tard », écrivent Stephan Haggard et Marcus Noland, qui réfutent les arguments avancés pour refuser l'aide : la non-gravité de la situation ou l'impossibilité de vérifier si l'assistance arrive bien aux destinataires. Selon les organisations humanitaires sur place, des procédures permettent de telles vérifications. Certes, elles ne sont pas parfaites, mais « faire valoir cet argument signifie simplement que l'on refuse de fournir une aide à la RPDC », écrivent-ils (www.38north.or). Le PAM a annoncé une opération d'urgence destinée à subvenir aux besoins alimentaires de 3,5 millions de personnes d'un coût de 200 millions de dollars, et l'Unicef a lancé un appel pour une assistance de 20 millions de dollars.
Philippe Pons
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