Les Echos, no. 20934 - Services, mardi 17 mai 2011, p. 30
2.000 ouvriers chinois devraient arriver prochainement pour construire une autoroute en Pologne et des accords pour plus d'une dizaine de milliards d'euros se profilent, pour la rénovation par la Chine des infrastructures de plusieurs pays d'Europe de l'Est.
C'est un coup de tonnerre dans le secteur du BTP. En Pologne, le constructeur China Overseas Engineering Group Co. (Covec) a annoncé son intention de faire venir 2.000 ouvriers chinois. Il s'agit d'accélérer la construction de l'autoroute Varsovie-Berlin dont il a remporté le contrat et qu'il doit livrer à temps pour l'Euro 2012 de football. Il y a trois ans, l'attribution de ce contrat à un groupe chinois -une première en Europe -avait fait enrager les constructeurs locaux et européens implantés de longue date dans le pays, comme Colas et Eurovia, respectivement filiales de Bouygues et de Vinci. Mais normalement, un attributaire de contrat étranger ne possédant pas de main-d'oeuvre et de matériel sur place fait appel à la sous-traitance locale. Avec cette importation massive, Covec, qui fait déjà travailler 320 salariés chinois sur le chantier (dont les cadres, moins chers que leurs alter egos occidentaux), créerait un précédent européen dont le secteur du BTP craint qu'il ne fasse école, pour baisser davantage encore les coûts.
Une crainte renforcée par l'offensive menée par les autorités chinoises en Europe de l'est. Depuis un mois, elle a entraîné une série d'annonces spectaculaires, comme, en Hongrie, le projet de rénover l'ensemble du réseau ferroviaire. En Serbie, China Road and Bridge Corporation a remporté en 2009 le contrat de construction d'un pont sur le Danube et « la Chine est prête à participer à la mise en oeuvre de grands projets d'infrastructures dans notre pays », s'est félicité début mai le ministre serbe des affaires étrangères Vuk Jeremic après une visite de son homologue chinois. « Nous pouvons nous attendre dans les prochains mois à des accords sur de nouveaux projets », a-t-il ajouté.
En Pologne, Covec a proposé d'investir cinq milliards d'euros dans l'extension du réseau routier et ferroviaire. Ce genre d'offre ne se refuse pas, écrivait fin mars le journal conservateur polonais Rzeczpospolita en reconnaissant joyeusement : « Les Chinois se moquent éperdument de ce qu'ils construiront chez nous. Ils ont même envoyé une demande au ministère de l'Infrastructure pour savoir quels investissements pourraient leur être adressés »... Les banques chinoises, étatiques donc appliquant la politique de Pékin, financent à des conditions imbattables faisant la force des constructeurs chinois, eux aussi publics, dans des pays sinistrés par la crise et à court de financements.
Une implantation pas facile
Mais l'implantation chinoise n'est pas si facile. La construction du pont sur le Danube n'a pas commencé, celle de l'autoroute Berlin-Varsovie a pris du retard. Les sous-traitants polonais ont bruyamment fait savoir qu'ils boycottaient Covec. Or ce dernier n'a pas de moyens locaux propres. Pour emporter le contrat autoroutier, il avait cassé les prix en offrant 188 millions d'euros pour la section A, contre 706 millions estimés par le client et 248 millions pour le second mieux-disant (Hermann Kirchner) ! Covec cherche visiblement à répercuter ses prix bas sur les sous-traitants, qui refusent. Le constructeur chinois d'engins de chantier LiuGong va racheter une usine polonaise de bulldozers, mais cela et l'importation massive d'ouvriers ne résoudront pas tout et Covec devra probablement remonter ses prix de sous traitance, donc encaisser des pertes. Il préparerait néanmoins d'autres projets dans le pays et lorgne déjà à côté. Il a fait s'étrangler de fureur la filiale tchèque de Colas en lui offrant, dans un courrier, de devenir son sous-traitant ! Peu au fait des marchés locaux, il ne s'était pas rendu compte qu'il s'adressait à un de ses principaux concurrents... « Hors parapétrolier et ingénierie, le chiffre d'affaires à l'international des Chinois est le troisième mondial, note la FNTP. Il ressortait en 2009 à 22 milliards d'euros dont 41 % en Afrique et moins d'un milliard en Europe mais avec les contrats récemment annoncés cela va grimper très vite ». La France, première mondiale à l'international avec 29 milliards, et l'Allemagne (25 milliards) perdraient alors leur suprématie mondiale.
MYRIAM CHAUVOT
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