mardi 21 juin 2011

"Air Sarko One" : L'autre bureau du président

L'Express, no. 3128 - france pouvoir, mercredi 15 juin 2011, p. 58,60

Eric Mandonnet, avec Benjamin Sportouch

Nicolas Sarkozy passe des heures et des heures dans son avion. Bienvenue à bord.

C'est là que je vis", confie-t-il à ses invités. Quand Nicolas Sarkozy n'est pas à l'Elysée, il est souvent dans son avion. Du coup, c'est là qu'il préside. "Son agenda continue pendant les déplacements", précise un conseiller. La présence de collaborateurs s'impose parfois, non en raison du thème du voyage, mais parce qu'ils doivent participer à une réunion de travail programmée dans les cieux. A bord, tout a changé. La "salle du transmetteur" du nouvel appareil est dotée des moyens de communication les plus modernes. Le 11 septembre 2001, Jacques Chirac, de retour de Rennes, n'avait pu être tenu informé des attentats. En janvier 2011, Nicolas Sarkozy est en visite aux Antilles. Dans la salle de réunion, autour de la grande table ovale en bois beige épais, il lance l'opération militaire - qui échouera - pour tenter de libérer les deux otages français enlevés à Niamey, au Niger.

Deux mois plus tôt, c'est dans son bureau volant que le chef de l'Etat travaille au remaniement, qui sera annoncé à son arrivée à Paris. Ce jour-là, à l'occasion d'un sommet du G 20 à Séoul, il utilise pour la première fois l'Airbus A 330 d'une soixantaine de places. Selon un rapport présenté à l'Assemblée nationale, son coût s'est élevé à 176 millions d'euros.

Chaque président a ses habitudes. Mitterrand aimait la solitude. Quand il demandait à ses invités de le rejoindre, le moment choisi pouvait les surprendre : le Charentais restait réglé sur l'heure française. Et ne donnait jamais l'impression d'avoir pleinement pris possession des lieux.

Le fauteuil du président a des accoudoirs, pas les autres

Tout l'inverse de Nicolas Sarkozy. Dans la salle de réunion, décorée de deux tableaux représentant les couleurs du drapeau français et dotée d'un écran plat ainsi que d'un lecteur DVD, il s'assoit toujours à la même place parmi les onze fauteuils : le sien dispose d'accoudoirs, pas les autres. Quand il emprunte le petit Falcon pour un déplacement hexagonal, il exige que le rideau du hublot soit descendu au décollage comme à l'atterrissage. Et malheur à celui qui le relève. Le garde des Sceaux, Michel Mercier, s'est déjà fait rabrouer : "Si j'ai demandé le hublot fermé, il y a une raison !" Lorsque le président emprunte l'A 330, la technologie fait bien les choses : avec un même bouton, on ferme simultanément les hublots de la chambre, du bureau et de la salle de réunion. Une machine Nespresso (Nicolas Sarkozy ne peut plus s'en passer) est installée. L'entourage veille à la présence de chocolats et de macarons - mais le chef de l'Etat en mange de moins en moins. De la musique avant toute chose ! C'est en remarquant qu'il passait en boucle les chansons de Carla Bruni, à la fin de 2007, que quelques élus eurent le pressentiment qu'une idylle était en train de naître.

Pour les ministres, l'invitation vaut convocation

"Monsieur le président de la République vous invite à l'accompagner lors de sa visite à..." : pour toutes les personnalités (par exemple, lors du voyage en Côte d'Ivoire, en mai, l'ancien footballeur Basile Boli et Khadija Doukkali, candidate UMP dans la 9e circonscription des Français de l'étranger, alors que les patrons ont été priés de venir par leurs propres moyens - lire "Choses vues dans les coulisses des virées élyséennes", de Vincent Hugeux, sur Lexpress.fr), l'appel du chef du protocole de l'Elysée vaut sésame. Le jour J, elles monteront dans l'appareil par l'arrière et ne passeront pas par le couloir longeant la chambre du chef de l'Etat. Celui-ci est le seul à disposer d'un lit (160 x 200, avec ceinture de sécurité), même si chacun peut se reposer dans un fauteuil inclinable aux trois quarts. Pour les ministres, l'invitation vaut convocation. Il est de toute façon généralement inutile d'insister pour qu'ils viennent, quelles que soient leurs obligations par ailleurs. Sauf le 9 juin ! Le président décale exceptionnellement de deux jours sa visite en Charente, consacrée à la sécheresse, pour emmener avec lui Bruno Le Maire (qui préparait à Londres, le 7, un G 20 des ministres de l'Agriculture). Il prend également soin de convier à bord le dirigeant de la FNSEA, Xavier Beulin.

En être ou pas... Seule la maquilleuse personnelle du chef de l'Etat est certaine de son sort, qui l'accompagne aussi bien en province qu'à l'étranger, de même que la coiffeuse de Madame : afin de faciliter son travail, une chaise pliante a été posée dans la chambre. Pour tous les autres, la loi des airs se révèle impitoyable. La cour à 30 000 pieds d'altitude n'a rien à envier à celle du sol. Car une chose est de monter à bord, une autre de recevoir le signe magique, celui qui vous demande de rejoindre le président, mieux, de partager un repas avec lui : la table ovale facilite la conversation alors que, avec les deux carrés de quatre places de l'ancien appareil, des propos du chef de l'Etat se perdaient dans le bruit. Certains ministres présents dans l'avion aperçoivent à peine le président, quand Alain Juppé a souvent droit à un tête-à-tête. Il arrive que des collaborateurs soient humiliés devant des ministres - l'inverse est vrai, quoique plus rare. Si des membres du gouvernement manquent le retour vers Paris, ils ont hâte de savoir ce que Nicolas Sarkozy a dit. En mars, la ministre de l'Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, retenue au Japon, oublia toute considération de décalage horaire et appela, au milieu de la nuit parisienne, l'un des présents pour être informée des paroles présidentielles. Car le chef de l'Etat profite des longs trajets pour s'épancher : un jour, il concède ainsi son grand regret de ne pas avoir convaincu l'historien Max Gallo d'accepter un portefeuille ministériel. Il traite également les élus. En janvier, il profite d'un aller-retour à Addis-Abeba pour s'isoler avec Jean-Pierre Raffarin ; une autre fois, il emmène le président d'honneur du Parti radical, André Rossinot, juste pour discuter avec lui d'un remaniement.

Seule une douzaine de pistes peuvent l'accueillir en France

"Le spécialiste de la "câlinothérapie" en avion, c'était Jacques Chirac", remarque un ancien ministre. Sarkozy, lui, passe l'essentiel de son temps à travailler et à se reposer." En tenue décontractée (jeans, polo, chaussons), il regarde parfois un DVD, lit (Barbey d'Aurevilly en ce moment) ou parle littérature : il s'est récemment montré intarissable sur Le Nom de la rose, d'Umberto Eco, et sur Hammerstein ou l'intransigeance, d'Hans Magnus Enzensberger. Le 7 juin, plutôt que de disserter sur Ségolène Royal, qu'il venait de croiser, il a raconté sa conversation avec le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, et sa rencontre avec Denis Podalydès, qui joue Sarkozy dans La Conquête : en face de lui, Bruno Le Maire avait vu le film.

Rebaptisé Air Sarko One, par analogie avec Air Force One américain, l'A330 est un "AUG" : avion à utilisation gouvernementale. François Fillon l'a utilisé pour se rendre à Rome, à la béatification de Jean-Paul II. En France, seule une douzaine d'aéroports sont capables de l'accueillir, d'où le recours au Falcon. Le 28 juin, on prévoit un embouteillage dans les airs : Nicolas Sarkozy ira dans la Sarthe, chez son Premier ministre. Par mesure de sécurité, le président et le chef du gouvernement ne sont jamais dans le même avion.

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1 commentaires:

Anonyme a dit…

Et les accoudoirs que Hollande fait changer dans les Falcon pour pouvoir loger "sa" marque de chapagne ?
Président "normal" ? 450'000€ !
Les 40 % de Français très cons qui ont élu de président plus a droite et plus bling-bling que Sarko ont vite regretter !!