mercredi 24 août 2011

Banques : Le retour de la peur - Benjamin Masse-Stamberger


L'Express, no. 3138 - économie crise, mercredi 24 août 2011, p. 82-83

Les grands établissements hexagonaux, Société générale en tête, sont malmenés. Mais, en réalité, tout le système bancaire mondial se trouve à nouveau dans la tourmente.

Jusqu'ici, tout va bien. Du moins officiellement. Au siège des grandes banques hexagonales, le ton se veut rassurant. Certes, concède-t-on, les marchés sont volatils, la conjoncture est moins bonne que prévu et la situation politique, dans la zone euro, notamment, compliquée. Mais il ne s'agirait là que d'une période de turbulences passagères. Pas de quoi s'alarmer. En coulisses, pourtant, la réalité est bien différente. Politiques et financiers s'agitent fébrilement. Des réunions informelles s'organisent dans l'urgence. Et, même pour ceux qui sont toujours en vacances, les conference calls se succèdent. "Les banques sont soumises par les marchés à un stress extrême", confiait même, off the record, en fin de semaine dernière, un grand banquier français.

Depuis quinze jours, les établissements tricolores sont dans le collimateur des marchés, agités de rumeurs multiples et variées. La décision de la Banque centrale européenne (BCE), le lundi 8 août, de racheter des titres de dette italiens et espagnols, oblige en effet les spéculateurs à changer leur fusil d'épaule. C'est désormais la France qui constitue leur cible privilégiée. Et la Société générale, qui a publié, le 3 août, des résultats médiocres, fait vite figure de maillon faible.

Comme souvent, les attaques se propagent par le biais de la presse anglo-saxonne. C'est d'abord le Mail on Sunday, version dominicale du Daily Mail, qui fait état, le 7 août, d'un risque de faillite de la banque basée à la Défense. Lors de la séance du 11 août, le cours de la "SocGén" dévisse de plus de 20 %, avant de redresser un peu la barre pour clôturer sur une chute de près de 15 %. Certains font même le lien avec la réunion impromptue organisée par Nicolas Sarkozy, à Paris, la veille : le chef de l'Etat ne serait-il pas revenu du cap Nègre pour assurer le sauvetage de l'établissement en péril ?

Un prêt de 500 millions de dollars alimente les rumeurs

Le long week-end du 15 août calme un peu les esprits. Mais le répit est de courte durée. Le 18 août, c'est le Wall Street Journal qui lance une seconde salve : selon lui, la Fed, la Banque centrale américaine, aurait mis la pression sur les filiales américaines des banques européennes pour qu'elles renforcent leur coussin de liquidités en dollars. L'objectif est d'éviter que la catastrophe du 15 septembre 2008, lorsque Lehman Brothers fit faillite, puisse se reproduire. Seul problème : selon le journal financier américain, l'accès aux ressources en dollars pourrait être difficile pour un certain nombre de banques européennes. Parmi les établissements cités, on retrouve l'italienne Unicredit, l'allemande Deutsche Bank, ou encore... la Société générale, qui, du coup, rechute de plus de 12 % en Bourse. Au total, depuis le 1er juillet, la banque aura vu s'envoler près de la moitié de sa capitalisation. Mais ses consoeurs ne sont guère mieux loties : sur la même période, BNP Paribas a perdu 37 % de sa valeur et le Crédit agricole, 42 %.

Quelles que soient les attaques spéculatives, un constat s'impose : la crise de la dette n'est pas réglée, de nombreuses banques européennes y sont exposées et leur risque augmente avec les perspectives de ralentissement économique. Conséquence : elles pourraient avoir plus de mal à se refinancer sur les marchés. La BCE a ainsi reconnu, le 17 août, avoir accordé un prêt en dollars de 500 millions à une banque européenne. De quoi alimenter la thèse du Wall Street Journal. "En réalité, tous les établissements européens ayant une grosse activité de banque d'investissement sont potentiellement touchés par le problème posé par la Fed", estime un financier.

Il n'en fallait pas plus pour que le spectre de Lehman Brothers revienne hanter les esprits. A l'époque, du fait de la crise de confiance, le système financier s'était effondré comme un château de cartes. Certaines banques asiatiques, échaudées par la crise en Europe, ont aujourd'hui commencé à couper leurs lignes de crédits à des établissements du Vieux Continent.

Pour certains, la situation serait cependant différente de celle de 2008. "Les établissements financiers ont fait beaucoup d'efforts en matière de liquidités, observe un expert. Et les banques centrales surveillent tout cela comme le lait sur le feu." De nouveaux outils existent pour tenter d'encadrer les marchés et parer à d'éventuelles défaillances.

En fait, la plus grande confusion règne. Confusion financière : nul, ou presque, ne peut dire de quoi demain sera fait. Une situation aggravée par le recours massif à des technologies de pointe - high frequency trading, flash trading - qui accélèrent les mouvements et les rendent plus erratiques encore, si cela est possible. Confusion politique, aussi : des deux côtés de l'Atlantique, l'incapacité à parler d'une seule voix et à proposer des pistes crédibles pour sortir de la crise de la dette est patente.

Une seule certitude domine dans ce trouble général : la croissance, en Europe comme aux Etats-Unis, sera bien plus faible que prévu. Et les marchés parient déjà sur le retour de la récession. Pour le commun des mortels, soigneusement tenu à l'écart des conciliabules téléphoniques et des échanges climatisés, cette conséquence-là sera bel et bien visible.



Un été meurtrier

3 août : la Société générale publie des résultats semestriels décevants et revoit à la baisse ses objectifs 2012.

4 août : la BCE décide de procéder à des rachats d'obligations d'Etat.

8 août : les banques européennes mettent à l'abri 145 milliards d'euros à la BCE,un record.

10 août : les banques françaises sont attaquées en Bourse. La Société générale perd 14,7 %, BNP Paribas 9,47 % et le Crédit agricole 11,8 %.

12 août : l'Autorité des marchés financiers ouvre une enquête sur les rumeurs qui ont touché la Société générale.

16 août : Paris et Berlin proposent une taxe sur les transactions financières, mais rejettent l'idée de créer des euro-obligations ou d'augmenter le Fonds européen de stabilité financière.

18 août : les banques européennes de nouveau attaquées en Bourse. Dexia perd 13,8 %, Societé générale 12,3 %, Barclays Bank 11,5 % et Commerzbank 10,4 %.



Société générale : la série noire
B. M.-S.

Décidément, la crise n'aura guère épargné la banque de la Défense. Après l'affaire Kerviel, le scandale des stock-options attribuées à ses dirigeants, le départ de son PDG Daniel Bouton, la voici à nouveau dans la tempête, boursière cette fois. Sans doute la dégradation de son image n'aura-t-elle pas été pour rien dans le fait que les spéculateurs l'ont prise pour cible. Mais les causes sont en réalité multiples. Tout d'abord, une exposition - pourtant bien moindre que celle de ses principaux concurrents - de près de 5,9 milliards d'euros à la dette des pays européens en difficulté. Ensuite, des résultats semestriels très moyens, annoncés le 3 août, qui font pâle figure à côté de ceux de sa rivale, BNP Paribas. Le tout assorti d'une déclaration de Frédéric Oudéa, le patron, admettant que son plan stratégique 2015 serait "désormais difficilement réalisable dans les délais prévus". Certains analystes jugent aussi que le groupe ne dispose pas de suffisamment de fonds propres. L'esprit d'équipe vanté par la banque ne sera pas de trop pour sortir de cette nouvelle tourmente.

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