Le Monde - International, mardi 9 août 2011, p. 6
Distillées par la presse officielle chinoise dès samedi 6, puis dimanche 7 août, les diatribes contre " l'addiction " des Etats-Unis à l'emprunt et " l'irresponsabilité " des politiques sont davantage un réflexe de défense nationaliste qu'une ligne : aucun dirigeant chinois n'a pour l'instant fait de déclaration. Il faut dire que la crise de la dette américaine est au coeur de la bataille feutrée que se livrent les cercles du pouvoir chinois autour de la politique économique à suivre. Elle oppose, schématiquement, les tenants d'une libéralisation plus profonde du système monétaire et financier aux partisans d'un statu quo plus autarcique en matière de changes.
La dégradation de la note souveraine de la dette américaine n'est pas un cadeau pour Pékin. Certes, elle alimente auprès de l'opinion publique le mythe des avoirs chinois - 1 200 milliards de dollars de bons du Trésor américain détenus par la Chine - " dilapidés " par une Amérique imprévoyante; mais elle intervient aussi dans une période critique pour la santé de la seconde économie mondiale. L'inflation rampante, les restrictions imposées au crédit bancaire et la possible rechute de la demande américaine et européenne menacent de mettre de nouveau à genoux une partie du secteur exportateur privé chinois.
Alors que les effets secondaires du remède de cheval infligé à l'économie chinoise au moment de la crise financière globale - une surdose d'investissement - ont poussé le modèle de développement à ses limites, les créances douteuses virtuelles détenues par les banques (elles ne sont pas encore comptabilisées comme telles) et la cavalerie à laquelle se livrent collectivités locales et groupes industriels annoncent des lendemains difficiles.
L'abyme de la dette américaine a pour pendant la montagne des surplus commerciaux chinois. C'est l'arrangement de " Chimerica " - ce couple Chine-Amérique intenable car chimérique - décrit par l'historien Niall Ferguson dans The Ascent of Money : A Financial History of the World (Penguin Press, 2008). L'explosion des surplus commerciaux chinois à partir de 2003, puis, dès 2007, des réserves de change chinoises - qui atteignent le montant astronomique de 3 200 milliards de dollars (2 200 milliards d'euros) - ont fait changer d'échelle les distorsions exercées sur chacune des économies par ce pas de deux endiablé qui a déjà mené à la débâcle de 2008 en finançant les excès américains.
En interne, le splendide isolement monétaire chinois - le renminbi n'est pas librement convertible - et la masse d'argent mise en circulation en contrepartie des sommes remboursées aux exportateurs ont eu pour conséquence ce que les économistes décrivent comme une " répression " monétaire des épargnants locaux (rendements négatifs), afin de financer à bon compte une fuite en avant dans l'investissement à travers le crédit bancaire. Fuite dont toutes les dérives semblent s'incarner, depuis la catastrophe ferroviaire du 23 juillet, dans un ministère des chemins de fer opaque, dispensé de tout contrôle et... criblé de dettes.
Alors que la crise de 2008 avait eu raison des efforts des réformateurs les plus audacieux - représentés notamment par le " camp " de la banque centrale - pour ouvrir la forteresse monétaire chinoise, la crise de la dette américaine pourrait les remettre en selle. " La crise américaine fournit à la Chine une bonne raison pour changer ", lit-on, lundi 8 août, dans un éditorial du pourtant très nationaliste Global Times, qui invite le pays " à se préparer aux douleurs et aux risques inhérents à la réforme économique ". Le système économique chinois, ajoute le quotidien, a deux avantages pour le faire : " Il excelle à résister aux pressions de l'extérieur et il a la capacité de mettre en oeuvre des changements ", à la différence de ses homologues occidentaux.
La situation actuelle fait ressortir l'urgence du rééquilibrage de l'économie chinoise vers la consommation intérieure - annoncé par le régime mais ralenti par l'inertie du modèle actuel -, estime He Liping, le directeur du département des finances à l'université de Pékin. " Il faut davantage de politique d'aide à la consommation, notamment en ce qui concerne la sécurité alimentaire, les prix des logements et l'achat de voitures ", explique-t-il au Monde.
Pour l'économiste Yu Yongding, ancien membre du comité de politique monétaire de la banque centrale chinoise, celle-ci doit " cesser d'acheter des dollars américains et permettre aussi vite que possible au taux de change du renminbi d'être décidé par les forces du marché ". " La Chine aurait dû s'y résoudre depuis longtemps. Il ne doit plus y avoir d'hésitation ni de temporisation ", écrivait, le 4 août, dans une tribune publiée par le Financial Times, cet économiste influent et l'un des architectes de l'internationalisation de la devise chinoise.
Brice Pedroletti
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