jeudi 4 août 2011

La zone euro sous la menace d'une nouvelle crise


La Croix, no. 39038 - Evénement, jeudi 4 août 2011

Alors que les marchés s'inquiètent de la situation financière de l'Italie et de l'Espagne, les responsables politiques européens ont multiplié hier les déclarations rassurantes. Les investisseurs continuent de redouter un ralentissement de la croissance mondiale.

Quelle est aujourd'hui l'ampleur de la crise ?

Moins de quinze jours après la signature d'un second plan de sauvetage de l'économie grecque, l'Europe plonge de nouveau dans la tourmente. Cette fois, sont pointées du doigt l'Espagne et l'Italie. Or, ces deux économies sont autrement plus importantes que celles des pays déjà aidés (Grèce, Irlande et Portugal). Un défaut de paiement de l'un d'eux et la zone euro serait menacée.

La situation est jugée suffisamment grave pour que les responsables politiques multiplient les déclarations rassurantes. Les tensions sont « injustifiées », pour José Manuel Barroso. Il n'y a « aucune raison de s'énerver », affirmait Berlin. Signe révélateur du malaise, la Commission européenne a néanmoins tenu à préciser qu'elle n'envisageait pas de plan d'aide pour l'Italie, qui doit désormais faire face, comme l'Espagne, à des taux d'intérêt élevés, dépassant les 6 %. Une déclaration survenue à l'issue d'une rencontre de plus de deux heures, organisée à Luxembourg dans l'urgence, entre Giulio Tremonti, le ministre transalpin des finances et son homologue luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, chef de file des ministres des finances de la zone euro.

Lors du sommet de la zone euro, le 21 juillet, les Européens avaient pourtant pris les mesures nécessaires pour limiter la contagion, notamment en autorisant le Fonds européen de stabilité financière à racheter des obligations souveraines sur le marché. « C'est vrai, cette mesure serait de nature à rassurer les marchés, mais elle ne pourra être appliquée avant d'avoir été ratifiée par les États, explique Clemente de Lucia, économiste chez BNP Paribas. Tant que ce n'est pas fait, la situation restera inconfortable et les investisseurs continueront de douter. »

Pourquoi les marchés

s'affolent-ils ?

De Londres à Francfort, de Milan à Hong Kong, la quasi-totalité des Bourses mondiales ne cesse d'aligner les séances de baisse depuis dix jours et accuse de sévères reculs depuis le début de l'année. La crise de la zone euro, l'inflation en Chine mais aussi la déprime de l'économie américaine pèsent indéniablement sur les marchés. La plupart des analystes estiment toutefois ces mouvements excessifs. « Les marchés se sont laissé piéger par les bons chiffres de croissance au premier trimestre, reconnaît Cédric Thellier, économiste chez Natixis. En réalité, la reprise n'est pas aussi solide qu'espéré et comme les investisseurs n'aiment pas être surpris, ils passent d'un certain optimisme à un excès de pessimisme. » Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, va plus loin, estimant que l'Italie est victime « d'une attaque spéculative irrationnelle. Il faut tenir le choc, mais je ne crois pas un instant à l'effondrement de ce pays ni de la zone euro. Malgré ses difficultés, l'économie réelle italienne demeure solide. »

Quelles sont les menaces

de faillite bancaire ?

L'agitation des marchés, inquiets de la solvabilité de la dette italienne et espagnole, fait de nouveau peser la menace de faillite sur les établissements bancaires européens. D'autant qu'ils sont déjà fragilisés par leur participation au deuxième plan d'aide à la Grèce à hauteur de 15 millards d'euros. La Société générale en a fait les frais hier : son titre a perdu 7 % hier après l'annonce de ses résultats du 2e trimestre, plombés par une dépréciation de 395 millions d'euros liée à ses engagements en Grèce. Pour Philippe Dessertine, directeur de l'Institut de la haute finance, la perspective d'une contagion à l'Espagne et l'Italie serait « catastrophique » pour les banques européennes. « Une crise espagnole ou italienne serait difficilement absorbable », explique-t-il. Les banques françaises y sont particulièrement exposées. Elles sont engagées à hauteur de 9,3 milliards à la dette souveraine espagnole et à 41,1 milliards à la dette italienne, selon une étude de Natixis publiée hier. Les banques allemandes sont également largement exposées, détenant 17,1 milliards de dette espagnole et 32,9 milliards de dette italienne.

Quelles sont les perspectives économiques mondiales ?

L'économie réelle montre les premiers signes d'essoufflement. L'indice composite des directeurs d'achat, qui regroupe services et industrie manufacturière de la zone euro, publié hier par Markit, a atteint son plus faible niveau depuis deux ans. Aux États-Unis, l'indice ISM, qui mesure l'activité dans les services, a encore ralenti en juillet. « Ce n'est pas lié au problème de la dette, puisque ce recul s'observe partout », analyse Benjamin Carton, économiste au Cepi. « En 2010, nous avons assisté à un rebond après l'année noire de 2009. Aujourd'hui, un autre régime de croissance s'installe, sauf que l'on ne sait toujours pas sur quoi cette croissance va reposer. » L'économie mondiale est entrée selon lui dans une phase de « croissance molle », surtout dans les pays en proie à une crise de la dette qui ont dû et vont devoir s'imposer des coupes budgétaires drastiques.

L'Europe du Sud est particulièrement exposée. « Il faut s'attendre à deux ou trois ans d'austérité en Espagne », analyse Thibault Mercier, spécialiste de la zone chez BNP Paribas. Selon lui, la croissance espagnole ne retrouvera jamais son rythme d'avant-crise et stagnera autour de 2 %. Pour Benjamin Carton, les mauvaises perspectives d'emplois en Italie, en Espagne et au Portugal seront très pénalisantes à long terme : « On observe une fuite des cerveaux dans ces pays. À terme c'est catastrophique pour la croissance et l'innovation. »

AGLAÉ DE CHALUS et SÉVERIN HUSSON

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