lundi 29 août 2011

Le mauvais état des barrages chinois inquiète les experts


Le Monde - Environnement & Sciences, lundi 29 août 2011, p. 9

Des dizaines de milliers de digues et de barrages chinois, destinés pour la plupart à l'irrigation, sont en mauvais état et présentent une menace pour les récoltes, mais aussi pour les populations, a révélé, jeudi 25 août, l'hebdomadaire China Economic Weekly, qui dépend du très officiel Quotidien du peuple.

L'article fait état d'une accélération, depuis cet été, des efforts de rénovation en cours, programmés depuis 2008 dans le cadre d'un plan destiné à mieux protéger les ressources en eau.

Les 40 000 digues et barrages concernés, sur les 87 000 que compte la Chine, ont presque tous été construits dans les années 1950 et 1970. Dans 60 % des cas, la rénovation doit être financée par les gouvernements locaux. Or le manque de fonds ou le fait que les autorités locales considèrent qu'elles ont d'autres priorités, sans compter la corruption, sont un frein à ces opérations. Un quart des villes chinoises est situé en aval de ces " barrages fragiles ", alerte l'article.

Ce cri d'alarme, lissé par la censure, cache une réalité encore plus inquiétante. Début juillet, l'hebdomadaire Nanfang Zhoumo, qui parvient souvent à publier ses enquêtes avant les instructions de la propagande, avait révélé les préoccupations de certains experts chinois au sujet de l'état de plusieurs ouvrages, dont nombre de grands barrages hydrauliques construits ces dernières années.

Ces experts ont exposé leurs inquiétudes lors de la conférence annuelle du Comité national chinois sur les grands barrages, le 18 juin à Yichang, la ville où est situé le barrage des Trois-Gorges. Divers dysfonctionnements et incidents y ont été détaillés, à l'aide notamment de photos qui ont " choqué l'audience et les médias présents ", rapporte le Nanfang.

Ainsi, certains tunnels ou " bras de décharge " de plusieurs grands barrages ont été endommagés, ou complètement détruits, lors d'inondations ou dans d'autres circonstances, les rendant extrêmement vulnérables. C'est le cas du déversoir du barrage Sanbanxi, dans la province du Guizhou, qui s'est effondré treize heures seulement après sa mise en service, ce qui aurait pu conduire à une catastrophe en cas de crue.

Matériaux défectueux

Le barrage Jinghong, sur une section chinoise du Mékong, dans le Yunan, a vu un bras de décharge d'urgence (qui permet d'évacuer une crue) céder à deux reprises lors d'inondations. Selon Zhou Jianpiing, ingénieur en chef d'un bureau d'études, ces incidents sont le fruit de normes insuffisantes, de défauts grossiers de conception et de construction, de l'absence de supervision et de contrôle de qualité, et même de matériaux de construction défectueux.

D'autres experts indépendants tirent depuis des années la sonnette d'alarme, notamment au sujet des barrages géants du Haut-Yangzi. Non seulement plusieurs de ces ouvrages sont situés à proximité de failles sismiques, mais la complexité de l'environnement des contreforts du Tibet exige des études bien plus poussées que celles qui ont été effectuées, estiment-ils.

L'enquête du Nanfang Zhoumo critique la mentalité du " grand bond en avant " qui préside, entre autres, à la construction des grands barrages. Parallèlement, l'éditorialiste Hu Shuli, sur le site Caixin, dénonce " ce système malade qui a enfanté un tel modèle de développement du grand bond en avant ". Elle critique la fièvre qui a saisi le pays et s'est manifestée à travers l'exemple de l'accident du TGV chinois du 23 juillet. Il est temps, écrit-elle, de l'éradiquer, avant qu'elle ne frappe à nouveau.

Brice Pedroletti

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