jeudi 29 septembre 2011

Ces bonzes qui s'imolent par le feu - Céline Zünd

Le Temps - International, mercredi 28 septembre 2011

Deux moines ont tenté de s'immoler par le feu lundi pour protester contre Pékin. Les Tibétains en exil s'inquiète d'une intensification de la répression chinoise dans le monastère de Kirti, dans le Sichuan.

C'est un geste rare. Lundi, deux moines tibétains ont tenté de s'immoler par le feu dans la province du Sichuan, en Chine. La communauté tibétaine en exil est en alerte.

Selon la version officielle chinoise, relayée par l'agence de presse Xinhua, les deux bonzes ont été «secourus» par la police juste après s'être transformés en torches humaines. Ils seraient à présent dans un état stable, à l'Hôpital du peuple du comté d'Aba. D'après plusieurs organisations pro-tibétaines contactée par Le Temps, les moines, Lobsang Kalsang et Lobsang Konchok, ont entre 18 et 19 ans. Lundi matin, ils se sont mêlés à la foule du marché pour protester contre la répression chinoise. Avant de commettre l'irréparable, ils ont brandi un drapeau tibétain, criant «longue vie au dalaï-lama», appelant à la liberté religieuse et au retour de leur leader spirituel, qui a fui son pays en 1959. Les Tibétains en exil restent sans nouvelles des moines.

«Dans le bouddhisme, la vie est sacrée. Se donner la mort est un acte interdit», explique Dukthen Kyi, du Centre tibétain pour les droits humains et la démocratie, à Dharamsala, en Inde. Mais, depuis mars, quatre immolations ont été rapportées. «C'est un phénomène sans précédent, un signe de profond désespoir, estime Stephanie Brigden, de l'organisation Free Tibet, à Londres. Les Tibétains protestent de manière pacifique depuis longtemps, mais Pékin a les moyens de les faire taire très rapidement. C'est leur dernier recours pour attirer l'attention internationale.»

Le monastère de Kirti, dans la région d'Aba, ou Ngaba en tibétain, est connu pour son militantisme. Lors des émeutes qui ont secoué la région en 2008, une dizaine de manifestants indépendantistes sont morts sous les balles des forces armées. Parmi eux, plusieurs moines. Le 16?mars dernier, pour commémorer cet événement, Rigzin Phuntsog, un jeune lama de Kirti, s'est immolé par le feu devant le siège du gouvernement local en appelant à la liberté pour le Tibet. Il n'a pas survécu. Deux versions s'opposent. Les Tibétains racontent que des policiers chinois l'ont roué de coups après avoir éteint les flammes. Ses amis ont pu s'interposer pour l'emmener à l'hôpital, mais il était déjà trop tard. Selon la presse officielle, le moine est mort car ses proches l'ont retiré de force de l'hôpital pour le cacher dans le monastère. Trois moines ont été condamnés pour homicide.

Pékin a immédiatement déployé ses forces armées autour du monastère. Plus de 300 lamas ont été emmenés dans des bus militaires vers des centres d'«éducation légale». Certains ont été relâchés. Ils disent avoir été torturés et battus par la police. «Kirti comptait plus de 2000?moines. Il n'en reste plus qu'un millier aujourd'hui», note Stephanie Brigden. Des centaines de représentants du pouvoir chinois ont pris leurs quartiers dans le monastère.

«La répression s'intensifie», s'alarme Tenzin Kayta. Le représentant du bureau Tibet à Genève explique que, depuis l'embrasement de 2008, la contestation s'est déplacée du Tibet vers les zones tibétaines des provinces du Sichuan, du Qinghai et du Gansu, moins contrôlées que Lhassa. Dès lors, Pékin n'a fait qu'accroître la surveillance de ces régions et mène de vastes opérations d'endoctrinement dans les monastères. Dukthen Kyi détaille la procédure: «Les moines doivent dénoncer le dalaï-lama. Ils doivent promettre ensuite d'être loyal au Parti communiste chinois et de ne pas s'engager dans des activités séparatistes. Enfin, ils doivent renoncer à posséder des portraits du dalaï-lama».

Le monastère de Kirti est à présent muré dans un silence presque complet. Pékin fait tout pour qu'aucun témoignage ne filtre. Les journalistes et les touristes sont interdits. Internet et les communications téléphoniques sont coupés. «La Chine est un Etat de droit et les citoyens jouissent d'une liberté de culte», affirmait en avril encore un porte-parole de la diplomatie chinoise.

Le dalaï-lama, 76 ans, a déclaré samedi qu'il déciderait «autour de ses 90 ans» de sa réincarnation, après consultation des «grands lamas» et des adeptes du bouddhisme tibétain. Le futur choix par le chef spirituel de son successeur sera «illégal», a réagi Pékin lundi.

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