Le Monde - Environnement & Sciences, mercredi 7 septembre 2011, p. 9
Trois mois après le début d'une fuite sur un champ pétrolifère en mer de Bohai, la Chine s'en prend à la compagnie américaine chargée de son exploitation : ConocoPhillips. L'administration des affaires océaniques avait donné jusqu'à la fin août au groupe pétrolier pour achever les opérations de nettoyage et colmater une fuite qui continuait de dégager du pétrole depuis un incident survenu le 4 juin sur Penglai 19-3, l'un des principaux champs au large du pays.
Après le déversement de 3 200 barils de pétrole dans ce golfe du nord-est de la Chine - selon les estimations de l'entreprise -, celle-ci annonçait, le 31 août, avoir rempli sa mission. Or, deux jours plus tard, les officiels chinois affirmaient avoir constaté, notamment par satellite et robots sous-marins, que " le fond marin - n'était - pas complètement nettoyé " et que " la nappe - continuait - de se déverser ".
En concluant que ConocoPhillips " n'a pas agi de manière responsable comme le doit un opérateur prudent et raisonnable ", l'Etat chinois a exigé l'arrêt immédiat de l'exploitation du champ.
Un porte-parole du groupe américain confirme que les opérations ont bien cessé, dimanche 4 septembre, suite à cet ordre, tout en estimant que l'entreprise avait fait preuve de transparence en informant au plus vite les autorités, ainsi que son partenaire, l'entreprise publique China National Offshore Oil Corporation (CNOOC). Cette dernière, actionnaire majoritaire de l'entreprise d'exploitation, estime la perte occasionnée à 62 000 barils par jour.
De moins en moins docile
Sous la pression de l'opinion publique, des organisations environnementales ainsi que de pêcheurs, qui commencent à établir la facture, l'Etat tient à montrer que la compagnie pétrolière a abusé de sa patience. L'administration aurait déjà choisi quatre cabinets d'avocats pour lancer une action en responsabilité civile et exiger une indemnisation supérieure à 11 millions d'euros.
Les journaux chinois s'en prennent, eux aussi, au géant américain. Parmi les plus virulents, Le Quotidien du peuple, lequel, dans son édition de lundi, accusait ConocoPhillips d'avoir dissimulé l'incident aussi longtemps que possible - le grand public a d'abord été informé grâce à un internaute anonyme -, puis d'avoir menti en annonçant que les nappes étaient " quasiment nettoyées ". " Le contraste est net entre la sensibilité de l'entreprise lorsqu'il s'agit de son image et sa légèreté concernant l'environnement maritime de la Chine ", estime l'organe du comité central du Parti communiste.
" L'attitude de ConocoPhillips a causé de gigantesques pertes aux pêcheurs, s'inquiète Liu Jinmei, du Centre d'assistance juridique aux victimes de la pollution. Mais certaines organisations non gouvernementales considèrent que, en tant qu'actionnaire à 51 %, CNOOC doit également, dans une certaine mesure, être tenu responsable. "
Or la virulente campagne médiatique lancée contre son partenaire américain épargne cet empire pétrolier chinois, propriété du gouvernement central. Pour Lin Boqiang, directeur du Centre de recherche en économie de l'énergie de l'université de Xiamen, la responsabilité principale incombe naturellement à ConocoPhillips, chargé des opérations d'exploitation de Penglai 19-3, mais CNOOC " est également engagé juridiquement et financièrement ".
Selon le professeur Lin, la fuite a mis en avant certaines failles au sein de l'Etat, qui n'a pas informé les citoyens avant la fin juin : " L'administration des affaires océaniques a aussi des torts, par exemple en termes d'information du public. Disons qu'elle manque d'expérience de la gestion de crise. " Pour l'avenir, l'universitaire suggère, non sans audace, de créer une agence de supervision indépendante de l'Etat.
Harold Thibault
PHOTO - This photo taken on July 26, 2011 shows Chinese officials inspecting a polluted beach in Leting, in northern China's Hebei province, after an oil sludge washed ashore. The US oil giant ConocoPhillips behind the huge spill off China said on September 5, 2011 it had halted production at the oilfield in line with a government order, as an influential Chinese newspaper accused it of a cover-up.
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