mercredi 28 septembre 2011

Pékin resserre l'étau sur son protégé - Sébastien Falletti


Le Figaro, no. 20887 - Le Figaro, mercredi 28 septembre 2011, p. 8

Exaspérée par les tests nucléaires auxquels s'est livré Pyongyang, la Chine a réduit drastiquement son aide économique et réduit au minimum ses nouveaux investissements.

En surface, l'axe Pékin-Pyongyang est plus solide que jamais. Fin août, Kim Jong-il a conclu en grande pompe son troisième périple ferroviaire en Chine en moins de 15 mois, défiant les Cassandre qui le disaient mourant. D'usines en zones franches, le dictateur a salué la réussite du modèle économique à la chinoise en sillonnant l'empire du Milieu à bord de son train blindé. « À chaque fois que je reviens ici, il y a du nouveau », s'est enthousiasmé le « Soleil du XXIe siècle » après un crochet jusqu'en Mongolie-Intérieure.

Une partition parfaitement orchestrée pour flatter les dirigeants de Pékin qui tentent en vain depuis trois décennies de convaincre leur turbulent protégé de suivre le modèle d'ouverture économique tracé par Deng Xiaoping. Car en privé, Kim déclame une autre chanson, comme le révèle un câble diplomatique américain récemment dévoilé par WikiLeaks. « Je ne fais pas confiance à la Chine », a confié en 2009 le dictateur, lors d'une entrevue avec la présidente du groupe sud-coréen Hyundai Hyun Jung-Eun.

Une méfiance historique qui plonge dans des siècles de résistance coréenne à la domination chinoise, mais s'appuie également sur un facteur nouveau : Pékin resserre l'étau sur son protégé. Depuis les deux tests nucléaires nord-coréens en 2006 et 2009, l'exaspération chinoise grandit à l'égard du petit frère communiste, dont les incartades ont conduit à un retour en force de l'US Navy en Asie du Nord-Est. Pour remettre Kim dans le droit chemin, le parrain chinois a réduit drastiquement son aide économique. Ainsi, la dégradation récente de la situation alimentaire dans certaines régions du royaume ermite est due à l'amoindrissement de la manne en provenance de Pékin indique un rapport confidentiel des experts humanitaires de l'UE, vu par Le Figaro.

Service minimum également face aux demandes d'investissements dans les deux nouvelles zones économiques spéciales (ZES), transfrontalières à Rajin et près de Dandong, sur le fleuve Yalu. « Kim voulait monnayer l'accès au port de Rajin contre du cash, mais il est revenu les mains vides », résume une source diplomatique occidentale à Séoul. Un refus camouflé dans la langue de bois qui a pourri l'atmosphère des dernières visites du dirigeant nord-coréen. Car l'empire du Milieu pose désormais ses conditions à un nouvel appui financier : un retour aux pourparlers à six sur le nucléaire, comme l'a exhorté une nouvelle fois le premier ministre Wen Jiabao à son homologue du Nord, lundi. Puis une véritable libéralisation économique.

Flirt russe

« Kim est allé en Chine pour obtenir de la technologie et des investissements. Mais il ne veut pas réformer son économie », résume Larry Wortzel, membre de la US-China Economic and Security Review Commission. Face à l'obstination du Nord, la Chine avance ses pions économiques en jouant la carte de Rajin, qui lui offre un accès au Pacifique tout en snobant la ZES sur le Yalu. Une approche pragmatique qui fait craindre à Pyongyang une satellisation de son économie. Cette crainte a poussé Kim à relancer sa coopération avec Moscou en tenant avec Dmitri Medvedev, le 24 août, son premier sommet depuis neuf ans. Cette année, pour la première fois depuis la guerre froide, les flottes militaires russe et nord-coréenne feront un exercice conjoint en haute mer.

Mais ce flirt russe ne remet pas en cause la centralité de l'alliance Pékin-Pyongyang. La survie du régime des Kim reste une priorité géostratégique pour les stratèges chinois qui veulent à tout prix éviter le chaos ou une révolution sur leur frontière nord-est. Et nul doute que le nouveau leadership qui sera adoubé à Tienanmen en 2012 réaffirmera l'alliance forgée dans le sang de la guerre de Corée (1950-1953). Tout en maintenant, en coulisses, la pression sur la maison des Kim.

PHOTO - North Korea's Premier Choe Yong-rim (L) meets Shanghai's Mayor Han Zheng in Shanghai September 28, 2011.




Kim Jong-il tente le pari de l'ouverture
Sébastien Falletti

Avant de passer la main, le dictateur nord-coréen veut assurer la survie du régime et relancer une économie exsangue.

La Corée du Nord entrouvre ses portes. Après 70 ans de splendide isolement, Kim Jong-il lance les grandes manoeuvres en vue de replacer son pays au coeur des échanges de l'Asie du Nord-Est. Le chantre de la « Juché », idéologie de l'autarcie, se résout à jouer la carte de l'internationalisation pour assurer la survie de son régime, menacé par son décrochage économique. Depuis quelques mois, le « cher leader » mène une offensive de charme en direction de la Chine et de Russie, en quête de cash et d'infrastructures. Dans sa manche, trois projets économiques transfrontaliers qui pourraient changer la donne régionale. Avec pour enjeu, assurer la succession dynastique au profit de son troisième fils Kim Jong-un, à l'heure où l'écart croissant de niveau de vie avec son voisin chinois menace l'emprise totalitaire sur la population.

Premier coup de poker, la réalisation d'un serpent de mer vieux de deux décennies. Un gazoduc de 1 700 km reliant les gisements de l'Orient russe à la Corée du Sud, l'ennemi de toujours, via le territoire nord-coréen. Le 24 août, Kim Jong-il, âgé de 70 ans, a roulé jusqu'au lac Baïkal, à bord de son train blindé pour donner son feu vert au président russe Dmitri Medvedev. Une première, après deux décennies de résistance de la part d'un régime qui voit toute présence étrangère sur son sol comme une menace pour sa mainmise totalitaire. « La nouveauté, c'est que la Corée du Nord est désormais intéressée. Cela démontre qu'ils sont vraiment aux abois », estime un haut diplomate sud-coréen. Le projet Gazprom vise à écouler 10 milliards de mètres cubes par an à destination de Kogas, le géant de l'énergie sud-coréen, plus gros acheteur de gaz de la planète. À Séoul, le président conservateur Lee Myung-bak s'est immédiatement engouffré dans la brèche. « Les choses vont probablement aller plus vite que prévu », s'est enthousiasmé ce faucon qui impose une ligne dure au Nord depuis 2008, mais rêve de finir son mandat sur un rapprochement historique avec son frère ennemi, en 2012.

Le jeu en vaut la chandelle. Le gazoduc réduirait de 30 % la facture gazière de la Corée du Sud, ainsi que sa dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient. Un bol d'oxygène pour un pays qui doit importer 97 % de ses besoins énergétiques. Le pipeline serait aussi une percée pour Moscou qui peine à développer ses exportations de gaz vers l'Asie-Pacifique.

Seul écueil, le risque géostratégique : le projet place l'approvisionnement de la Corée du Sud à la merci de Pyongyang, qui pourrait couper le robinet du gaz par un coup de force. Séoul pose donc ses conditions : « La Russie doit assurer la sécurité du pipeline », explique le haut diplomate.

Mais pour l'heure, Pyongyang refuse d'abdiquer sa souveraineté à Gazprom. Le régime plaide toujours pour une économie planifiée socialiste et se méfie comme de la peste de toute influence étrangère qui souillerait le paradis de « la race des purs », selon la formule de Brian Myers, professeur à l'université Dangseo à Busan et auteur d'un nouvel ouvrage du même nom. D'autant que les bribes d'information sur l'enrichissement des voisins chinois et sud-coréens transpirent grâce aux marchands transfrontaliers, mettant à bas le mythe du paradis socialiste.

Un dilemme pour les Kim, car le projet Gazprom rapporterait 100 millions de dollars par an aux caisses du régime, en droit de péage. Une manne irrésistible à l'heure où les sanctions internationales perturbent ses trafics d'armes et de drogues, habituelles sources de cash. « Il ne veut pas réformer son économie, mais il a besoin d'une vache à lait ! », résume John Delury, professeur à l'université Yonsei, à Séoul. La distribution de grosses cylindrées et autres produits de luxe aux cadres dirigeants fait partie de la panoplie visant à s'assurer de leur fidélité à l'heure de la transmission du pouvoir au jeune héritier de 28 ans.

Cet impératif financier guide l'autre volet du Meccano régional des Kim, la création récente de deux zones économiques spéciales (ZES) frontalières à Rajin-Sonbong, à l'extrémité nord-est avec la Chine et la Russie, et dans l'embouchure du fleuve Yalu, en mer Jaune. La propagande affirme avoir attiré sur ces zones franches des investisseurs en suivant le modèle des ZES chinoises. Sur le port de Rajin, le commerce en devises étrangères est désormais autorisé. La Russie et la Chine ont respectivement décroché un droit d'usage du port pour cinquante ans et dix ans.

Une percée stratégique pour Pékin qui décroche après des siècles une « fenêtre sur le Pacifique » afin de désenclaver ses provinces arriérées du Nord-Est. En juin, un premier cargo a transformé du fret en provenance de la province chinoise de Jilin jusqu'à Shanghaï, via le port de Rajin. Une nouvelle ligne de cabotage moins onéreuse que la voie ferroviaire à travers l'empire du Milieu. En retour, Pékin a construit une nouvelle route reliant Rajin à la frontière et Moscou modernise la voie ferrée. Néanmoins, le rêve de transformer Rajin en hub régional demeure lointain car les entrepreneurs chinois et russes restent sur leur garde. « Leurs prédécesseurs ont souvent été expropriés après avoir construit à leurs frais les infrastructures. Ils savent que Kim ne veut pas réformer son économie », rappelle Delury.

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