jeudi 3 novembre 2011

Un accord à 100 milliards - Victoroff David

Valeurs Actuelles, no. 3910 - Jeudi 3 novembre 2011, p. 16

Crise de l'euro. L'accord de Bruxelles a évité une catastrophe financière mais laisse un sentiment d'inachevé. La prochaine étape sera politique.

En revenant de Bruxelles jeudi dernier "à l'heure du biberon", Nicolas Sarkozy pouvait se satisfaire d'avoir évité le pire. Un accord avait été conclu qui, le plébiscite de la Bourse allait en témoigner, permettait d'éloigner la menace d'une crise systémique.

Une réponse crédible est enfin apportée à la question de la dette publique grecque. Après un bras de fer entre les banques et le duo Angela Merkel-Nicolas Sarkozy, celles-ci acceptaient une perte de 50 % sur les titres émis par Athènes qu'elles détiennent encore en portefeuille, soit 210 milliards d'euros sur un total de 350 milliards. Ce sont donc un peu plus de 100 milliards d'euros que la Grèce n'aura pas à rembourser et qui resteront à la charge des banques. L'Allemagne aurait souhaité une décote de 60 %. Elle obtient pourtant largement gain de cause : l'effort principal du sauvetage de la Grèce ne sera pas, en principe, à la charge des contribuables allemands. Comme cet effort des créanciers privés est "volontaire", la Grèce n'est pas mise en faillite.

Soit. Mais faire payer les banques revenait d'abord à faire payer les banques grecques, premières détentrices de dette hellénique, avec des créances de 30 milliards sur leur État. Pour éviter la faillite d'Athènes, on risquait la faillite des banques et l'effondrement total de l'économie grecque, ce qui aurait reposé le problème de la solvabilité de la Grèce. Sans compter la quasi-certitude d'une contagion à tout le système financier européen. D'où la recapitalisation prévue de 106 milliards d'euros pour l'ensemble des banques européennes avec une aide éventuelle du Fonds européen de stabilité financière (FESF).

Les premières concernées sont les banques grecques, qui ne pourront pas trouver cet argent sur le marché étant donné la notation de la Grèce. Elles seront donc vraisemblablement nationalisées temporairement avec l'aide du FESF. Les autres grandes banques concernées par cette recapitalisation sont les établissements espagnols (26 milliards d'euros) et italiens (15 milliards), en raison de la décote subie par la dette souveraine de leur pays.

Les banques françaises, avec 8,8 milliards d'euros, sont relativement épargnées. Le Crédit agricole est indemne. La Société générale, BNP Paribas et BPCE devraient pouvoir renforcer leurs fonds propres en incorporant leurs bénéfices de l'année sans appel massif à l'épargne et sans recourir à aucune aide publique. D'où l'envol en Bourse de Paris, jeudi, des valeurs bancaires françaises, dont certaines gagnaient plus de 20 % au cours de la séance, alors même qu'une décote de 50 % venait de leur être infligée sur leurs titres grecs.

Une fois la dette grecque consolidée et les banques recapitalisées, encore fallait-il renforcer les capacités du FESF pour lui permettre de faire face à ses nouvelles missions. Doté par l'accord du 21 juillet de 440 milliards d'euros, ne disposant plus, déduction faite de l'aide à la Grèce et de diverses retenues pour garanties, que de 250 milliards d'euros, il paraissait bien maigre pour faire face à une nouvelle crise de confiance qui pourrait affecter l'Italie ou l'Espagne.

Ne rien faire pour le renforcer aurait relancé la spéculation. Le souhait initial de la France de transformer le FESF en banque qui aurait eu guichet ouvert au près de la Banque centrale européenne (BCE) aurait permis de décupler ses possibilités d'intervention. Ni la BCE ni surtout l'Allemagne ne voulaient d'une telle solution, qui aurait affaibli l'indépendance de la Banque centrale et au rait comporté un risque inflationniste. La solution adoptée consiste à transformer le FESF en "rehausseur de crédit", c'est-à-dire à lui permettre de garantir partiellement les émissions des pays en difficulté en leur apportant la caution de sa notation triple A. Ses possibilités d'intervention s'en trouveront ainsi démultipliées jusqu'à cinq fois. Sa "force de frappe" dépasserait ainsi les 1 000 milliards d'euros.

Le FESF pourra aussi créer un "véhicule spécial d'investissement" ouvert à des pays tiers comme la Chine ou la Russie, qui pourraient, pour diversifier leurs réserves de changes, racheter des titres de dette souveraine en euros.

L'accord bouclé sur le plan financier, restait le volet institutionnel du fonctionnement de la zone euro. Une monnaie unique sans gouvernement économique ne peut fonctionner que si chacun respecte scrupuleusement les engagements du pacte de stabilité et de croissance. Ce qu'aucun État membre n'a fait jusqu'à maintenant, pas même l'Allemagne. D'où l'engagement de principe des États membres, qui, selon le communiqué final, en appellent « à la mise au point rapide du paquet législatif sur le renforcement du pacte de stabilité et de croissance, et sur la nouvelle surveillance macroéconomique ». Les États s'engagent par ailleurs à mettre en place d'ici à la fin 2012 des « cadres budgétaires nationaux », autrement dit des règles d'or visant à rétablir l'équilibre de leurs finances publiques.

Tous les commentateurs, à l'instar des acteurs du sommet de Bruxelles, s'accordent à dire qu'un échec eût été catastrophique et que nous sommes passés au bord du gouffre. Sans d'ailleurs jamais préciser quelle aurait été la nature de cette catastrophe. Aurait-on dû fermer les banques ? Aurions-nous vu en une nuit toutes nos économies s'évaporer ? L'Union européenne accouchée dans la douleur en soixante ans se serait-elle irrémédiablement brisée ? À aucun moment n'a été évoqué un plan B, en dehors de la tenue d'un énième sommet supplémentaire si celui du 27 octobre avait capoté. Les États, faute de solution alternative, étaient au pied du mur. La forte majorité obtenue par Angela Merkel au Bundestag à la veille du sommet témoigne de la gravité de la crise telle qu'elle était ressentie en Allemagne, pays que l'on disait pourtant moins attaché à la construction européenne qu'il ne le fut.

La réaction de soulagement des Bourses mondiales au lendemain du sommet a été à la hauteur des craintes qui l'ont précédé. Au saut vers l'inconnu, l'enfer absolu pour les marchés, les dirigeants européens ont préféré un plan comportant des étapes précises, des chiffres, des échéances, des engagements. La France et l'Allemagne, en dépit du climat tendu qui a prévalu tout au long des négociations, sont restées solidaires. C'est ce qu'attendaient les investisseurs du monde en tier : une direction, une impression de reprise en main par les responsables politiques d'un continent qui se veut la première puissance économique du monde. La monnaie européenne, que d'aucuns voyaient condamnée début octobre, bondissait à un niveau proche de 1,42 dollar pour 1 euro, près de 10 centimes de plus par rapport à son plus bas du mois, le 3 octobre.

Néanmoins, l'enthousiasme immédiat des marchés ne doit pas faire oublier que de nombreuses questions restent à régler. Le seul résultat à peu près acquis est la participation massive des banques au sauvetage de la Grèce, même si les détails de l'opération d'échange de titres doivent encore être précisés. Le nouveau rôle du FESF en temps que rehausseur de crédit doit lui aussi être clarifié pour que l'on sache précisément quel sera l'effet de levier, c'est-à-dire quel sera le montant possible de ses interventions à partir des 440 milliards de sa dotation originelle et dont près de la moitié est déjà engagée sur la Grèce. Montant que l'Allemagne s'est refusée à relever. Enfin, le renforcement du gou vernement économique de la zone euro se borne pour l'instant à deux réu nions par an et à la nomination de Herman Van Rompuy à sa présidence. Le "paquet législatif " promis pour renforcer le pacte de stabilité et la surveillance macroéconomique nécessitera probablement une révision des traités avec toutes les difficultés de ratification que cela implique entre les 17 États membres de la zone.

Comme un gigantesque jeu de bonneteau...Peut-on pour autant en conclure, comme Jean-Pierre Chevènement lors des questions d'actualités au Sénat jeudi dernier, que « cet accord n'est qu'un trompe-l'oeil. Cela restera le cas tant que le FESF ne sera pas adossé à la Banque centrale européenne ». Il est vrai qu'il s'apparente à un gigantesque jeu de bonneteau, où il faut faire disparaître au bas mot 1 000 milliards de dettes pour restaurer la confiance. Pour le moment, ces 1 000 milliards sont, on ne sait pas encore comment, passés au FESF avec la participation, on ne sait pas vraiment de combien, du Fonds monétaire international et de quelques pays émergents. Même si ces 1000 milliards étaient assurés, ils paraissent un peu faibles pour faire face à une nouvelle crise de confiance qui, cette fois, affecterait l'Italie ou l'Espagne, qui à elles deux cumulent 3 000 milliards de dettes.

François Fillon, qui, au côté de Philippe Séguin, s'était opposé au traité de Maastricht, a répondu à Jean-Pierre Chevènement qu'une catastrophe avait été évitée et que, avec les nouvelles mesures d'aide à la Grèce, « l'idée de lâcher un pays de la zone euro est enterrée ». Avant de conclure : « Nous allons vers une union intergouvernementale très forte des pays de la zone euro, au coeur de laquelle le rapprochement franco-allemand ne peut être seulement symbolique. » Si tel est le message de l'accord de Bruxelles, il est vraiment historique. Mais il existe encore de longues étapes à franchir.

Encadré(s) :

Paris-Berlin La martingale de Sarkozy
David Victoroff

Contraint de se rallier à la position allemande sur le Fonds européen de stabilité financière au sommet de Bruxelles, Nicolas Sarkozy a déclaré, lors de son intervention à la télévision, le 27 octobre, qu'il veut maintenant s'inspirer du modèle économique qui marche : « Moins d'assistanat et plus d'investissement, voilà la martingale gagnante. » Ce modèle qui marche, c'est le modèle allemand. « Nous allons faire converger les économies allemande et française pour créer au coeur de l'Europe le poids lourd d'une économie solide qui pourra partir ensemble à la conquête des marchés du monde entier. » Parmi les points de rapprochement évoqués par le chef de l'État, la fiscalité des sociétés, la fiscalité sur le patrimoine et la TVA. Cet engagement de principe implique une gestion plus rigoureuse, que Nicolas Sarkozy distingue de la rigueur, et davantage d'intégration politique entre les deux pays. Sur le plan économique, le rétablissement de l'équilibre des finances publiques devient impératif si le rapprochement entre les deux pays doit se faire d'égal à égal. D'où le nouveau tour de vis budgétaire, qui doit faire économiser entre 6 et 8 milliards d'euros pour permettre à la France de respecter son plan de marche vers le rétablissement des équilibres financiers et de conserver sa note triple A. Avec un risque : la généralisation de gestions rigoureuses en Europe peut faire plonger le continent dans la récession. Sur le plan institutionnel, une révision des traités avec un nouveau référendum s'avérera indispensable en cas d'abandon de souveraineté. Un rapprochement entre l'Allemagne et la France doit être accepté par les Français, mais aussi par les Allemands. Rudes débats en perspective pour le prochain quinquennat.

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