mardi 24 mars 2015

ANALYSE - La Chine sauvera-t-elle le communisme ? - Patrick Saint-Paul

Xi Jinping veut s'inscrire dans la longue histoire de l'Empire du milieu comme l'homme « providentiel » , qui aura sauvegardé le communisme au pays de Mao Tsé-toung.


Nouvel empereur rouge, Xi Jinping s'est embarqué dans un ambitieux projet visant à revitaliser l'idéologie au sein de la République populaire et à rénover un Parti communiste chinois (PCC) grippé, espérant ainsi pérenniser son règne.

Sa vision de l'avenir a été forgée par deux traumatismes provoqués par Mao Tsé-toung et Mikhaïl Gorbatchev, dernier secrétaire général du Parti communiste d'Union soviétique. Durant la Révolution culturelle (1966-1976), Mao utilisa le peuple pour faire imploser le Parti afin d'en reprendre le contrôle. Et il faillit détruire la République populaire en la plongeant dans une quasi-guerre civile, qui fit 500 000 morts pour la seule année 1967. Son père fut purgé et le jeune Xi Jinping, envoyé à la campagne pour y être « rééduqué » .

Dès son arrivée au pouvoir, Xi a appelé le Parti à tirer les « leçons profondes » de l'effondrement de l'Union soviétique. « Pourquoi l'Union soviétique s'est-elle désintégrée ? Pourquoi le Parti communiste soviétique s'est-il effondré ? Une raison importante est que leurs idéaux et leurs convictions se sont affaiblis » , a-t-il dit dans un discours devant des cadres du PCC en décembre 2012. Finalement, il aura suffi d'un mot à voix basse de Gorbatchev pour déclarer la dissolution du Parti communiste soviétique. Au final, pas un seul homme n'a eu le courage de se lever pour résister. » Lui a décidé de reprendre en main, avec une poigne de fer, le PCC et le pays... au risque d'accélérer la fin du régime communiste.

La disparition du Parti-État est-elle programmée ?

C'est la thèse, avancée par le célèbre sinologue américain David Shambaugh, et qui a fait l'effet d'une bombe à Pékin. Jusqu'alors réputé pour sa bienveillance à l'égard du régime communiste, ce professeur à l'université George Washington avait été désigné en janvier dernier comme le second expert le plus influent de la Chine aux États-Unis par l'université des Affaires étrangères, très proche du pouvoir.

« En dépit des apparences, le système politique de la Chine est sévèrement endommagé et personne ne le sait mieux que le Parti communiste lui-même. L'homme fort de la Chine, Xi Jinping, espère que la répression des dissidents et contre la corruption renforcera le règne du Parti. Il est déterminé à ne pas devenir le Mikhaïl Gorbatchev de la Chine. Mais au lieu d'être l'antithèse de Gorbatchev, Xi pourrait arriver au même résultat. Son despotisme stresse sévèrement le système chinois comme la société, les rapprochant du point de rupture » , a prévenu Shambaugh dans une tribune du Wall Street Journal, ajoutant que « la fin de partie est entamée pour le règne du communisme chinois » . Qu'il choisisse la voix de la réforme politique en douceur ou celle de la répression, le Parti serait condamné à perdre le pouvoir, de façon plus ou moins brutale, estime-t-il. Pour Shambaugh, la corruption endémique, la fuite des élites à l'étranger, l'inéluctable ralentissement de l'économie seraient annonciateurs d'une fin du système.

Après l'avoir encensé, les médias officiels chinois dénoncent « l'incompétence » et les « conclusions sans fondements » de l'universitaire américain. Ils l'accusent d'avoir ignoré les « aspects positifs » . Ils saluent la « courageuse » campagne anticorruption de Xi, qui attaque le mal « par la racine » et considèrent les investissements massifs des Chinois à l'étranger comme une preuve de leur influence. « Comme toujours en Chine, il y a des discours très réactionnaires, qui cachent des gens compétents capables de tenir la maison, tempère le sinologue français Jean-Pierre Cabestan, directeur du département de sciences politiques de l'université baptiste de Hongkong. Le pays est gouverné par un despotisme éclairé. Le pouvoir s'entoure d'experts, notamment en matière économique, qui modernisent l'économie avec prudence. La réforme de la fiscalité, du système bancaire et l'ouverture se font avec précaution, ce qui permet d'éviter les chocs. Et ils ont les instruments pour faire face aux contraintes de l'économie. »

En l'absence d'élections démocratiques, le Parti communiste est lié au peuple par un pacte tacite lui garantissant une prospérité grandissante. Malgré certains discours alarmistes, les défenseurs de la thèse d'un atterrissage brutal de l'économie chinoise sont peu nombreux. « Si les prix augmentent de façon massive et que les Chinois perdent leur emploi, il existe un risque d'agitation sociale et de révolte politique, confirme Hu Xingdu, professeur d'économie à l'Institut de technologie de Pékin. Mais je ne vois pas de crise économique s'abattre sur la Chine. Plutôt un ralentissement progressif de la croissance. » Cependant, les inégalités sociales criantes, l'absence de filets sociaux efficaces, le ras-le-bol de la pollution et de la corruption généralisée ainsi que le sentiment général d'insécurité sont de sérieux défis pour le pouvoir.

La lutte anticorruption et les réformes renforcent-elles le régime ?

Mois après mois, les annonces d'enquêtes et de limogeages se multiplient, depuis les consortiums d'État jusqu'à l'ex-chef de la sécurité Zhou Yongkang, en passant par les gradés de l'armée, dont l'ex-vice-président de la puissante commission militaire centrale du PCC. Personne ne semble à l'abri. La campagne de Xi contre les cadres corrompus suscite beaucoup de nervosité et d'embarras dans les rangs du Parti.

Xi, pour lequel la corruption a rongé de l'intérieur le système soviétique, la considère comme le danger majeur auquel est confronté le PCC. De fait, son opération « mains propres » est très populaire. Cependant, nombreux sont ceux à douter de son efficacité réelle et de l'impact positif pour les citoyens : il est de plus en plus évident qu'elle est aussi une arme redoutable pour éliminer ses adversaires. « Mais ses adversaires au sein du Parti sont plus forts que ce qu'il avait imaginé, juge le politologue Zhang Lifan. Sa lutte anticorruption a provoqué une stagnation de la machine d'État et des divisions au sein du Parti. »

Hors de la sphère économique, les Chinois doutent aussi de l'efficacité des réformes. Notamment celle visant à améliorer le « gouvernement selon la loi » , censée rapprocher la justice du citoyen ordinaire et qui reste une promesse creuse. En renforçant la répression contre les dissidents, les avocats, les blogueurs, les journalistes, les ONG, les Ouïgours, les Tibétains, Xi indique qu'il ne laissera ni le contrôle étroit de la campagne anticorruption ni celui des réformes lui échapper.

Le culte de la personnalité est-il un outil de pouvoir essentiel pour Xi ?

À son accession à la présidence, il y a deux ans, Xi, par ailleurs secrétaire général du PCC, était perçu comme un candidat de compromis entre des factions rivales, approuvé à la fois par Jiang Zemin et Hu Jintao, ses deux prédécesseurs. Il a fait voler en éclats son image de dirigeant consensuel. Il a rompu avec le principe tacite que les dirigeants doivent prendre des décisions par consensus, ne pas menacer l'intégrité physique des hauts cadres.

Sa « rééducation » à la campagne lui a appris à se faire apprécier du peuple. Mais aussi à s'en méfier. Il a acquis une forte confiance en lui. Surmonter les épreuves de la jeunesse lui a donné la conviction que sa force de caractère lui suffira pour en affronter d'autres. Premier dirigeant du Parti à être désigné par ses pairs, il se sent investi d'un pouvoir qu'aucun autre n'a égalé depuis Mao. Xi, qui a réussi à concentrer entre ses mains tous les pouvoirs, est considéré comme le dirigeant chinois le plus puissant depuis le Grand Timonier.

Son visage débonnaire est devenu omniprésent dans les médias et même dans la rue, où des restaurants affichent son portrait. En passant par des hymnes à sa gloire sur Internet... Les analystes soulignent que le culte de sa personnalité est un cache-misère censé faire oublier le vide idéologique du Parti.

La Chine est-elle en guerre contre l'Occident ?

La Chine a déclaré la guerre aux valeurs occidentales, aux droits de l'homme, aux libertés ou à la démocratie, qu'elle considère comme des dangers pour le règne du Parti. La survie du Parti passe par le repli sur soi, comme lorsqu'elle veut interdire tous les manuels occidentaux dans l'enseignement. « Le décalage entre la bêtise de cette campagne et la réalité chinoise, qui est de plain-pied dans la mondialisation, est risible. Le Parti prend un risque, car les Chinois sont très curieux des idées et expériences de l'Occident » , estime Cabestan.

Le socialisme avec des caractéristiques chinoises existe-t-il ?

Xi Jinping tente de rénover l'idéologie du Parti en cherchant à faire la synthèse entre Mao et Deng Xiaoping, père des réformes, et en corrigeant leurs excès. Sa théorie des « quatre globaux » vise à construire une société « modérément prospère » , à renforcer la réforme, le gouvernement selon la loi et la discipline au sein du Parti. Le vernis marxiste est teinté d'un nationalisme que certains jugent dangereux car pouvant potentiellement échapper à son contrôle, et de valeurs confucéennes. « Certains éléments jouent en sa faveur, juge Cabestan. La Chine a besoin de protection sociale et de redistribution. Xi veut montrer qu'il est le garant du bien-être et de la justice, qu'il mène une politique inclusive pourvoyeuse d'harmonie dans la société. En réalité, il est du côté de l'entreprise. Son problème, c'est que personne ne croit plus vraiment à son idéologie. »

Xi répète inlassablement aux cadres du PCC qu'ils doivent être fiers du Parti et confiants dans son « droit historique » à gouverner le pays. « Xi propose une version moderne du socialisme. Il tente de se placer au-dessus de la gauche et de la droite. Jusqu'à maintenant, les effets des quatre globaux sont plutôt positifs, affirme Xu Yaotong, professeur à l'Académie chinoise de gouvernance, proche du gouvernement. Les sociétés occidentales ont connu d'immenses problèmes ces dernières années. La Chine cherche à trouver son chemin en apprenant de leurs échecs. »

Aux côtés de la République populaire, reste Cuba, dont le régime a survécu grâce à l'opposition aux États-Unis. La Chine tient la Corée du Nord à bout de bras, parce qu'elle ne veut pas voir un autre domino communiste tomber. Mais personne ne se risquerait à parier sur la durée de vie du Parti, qui pourrait encore jouer les prolongations pendant plusieurs décennies... ou trébucher brutalement sous l'effet d'une erreur de calcul.


Le Figaro, no. 21965 - Le Figaro, lundi 23 mars 2015, p. 17

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