mardi 3 mars 2015

En Chine, la disparition embarrassante d'un évêque de l'Eglise « clandestine »

L'évêque chinois Shi Enxiang, connu également sous le nom de Monseigneur Côme et âgé de 94 ans, est-il mort ? Après avoir été informée indirectement de son décès le 31 janvier, sa famille se pose la question, mais elle n'a toujours reçu aucune réponse de la part des autorités. Ce prélat de l'Eglise dite « clandestine », car non reconnue par Pékin, est détenu depuis quatorze ans et les incertitudes sur son sort font resurgir la question lancinante des ordinations épiscopales, principale pierre d'achoppement dans une normalisation entre la Chine communiste et le Vatican.


Pékin n'entretient pas de relations diplomatiques avec le Saint-Siège et ne reconnaît qu'une Eglise « patriotique » chinoise, dont le clergé doit être approuvé par le Parti communiste chinois (PCC). Si certains des évêques sont reconnus par les deux parties, lors de périodes de détente, l'ordination de prélats non approuvés par le Saint-Siège - trois d'entre eux ont même été excommuniés en 2010 par le Vatican - entraîne souvent des frictions. La persécution des évêques non agréés par l'Eglise patriotique, tel Mgr Côme, n'a cessé d'indigner Rome.

« Enlevé » à Pékin

Ce dernier était l'évêque « clandestin » de Yixian, une ville du Hebei, la province autour de Pékin. « Enlevé » à Pékin alors qu'il rendait visite à une nièce en 2001, sa détention n'a jamais été confirmée par les autorités chinoises. Mais sa famille à Shizhuang, le « village des Shi », non loin de Yixian, a été informée le 31 janvier, par un officiel local, que la dépouille du prélat leur serait rendue le 1er février. Or, il n'en a rien été - sans doute par crainte que les funérailles du prélat n'attirent les foules.

« Comprenez bien que les autorités chinoises ont toujours démenti que Mgr Shi était emprisonné. Elles ont toujours prétendu que sa "disparition" n'avait rien à voir avec elles », explique, dans un courriel, Joseph Kung, qui dirige la Fondation du cardinal Kung aux Etats-Unis et est le neveu de l'ancien évêque de Shanghaï, décédé en 2000 et emprisonné pendant trente ans dans les geôles communistes. « S'il est donc bien mort et que les autorités restituent sa dépouille ou bien ses cendres, cela contredit les démentis passés et revient à admettre qu'elles ont menti », poursuit-il. Tous les évêques non reconnus par Pékin ne sont pas emprisonnés, mais « tous ont subi de nombreuses périodes, plus ou moins longues, de détention », ajoute M. Kung.

« Avec une Eglise indépendante et l'ordination d'évêques sans mandat papal, nous avons de facto en Chine une Eglise schismatique », affirme Joseph Zen, cardinal émérite de Hongkong

Shi Enxiang en est un parfait exemple : ordonné prêtre en 1947, à 24 ans, avant l'avènement de la République populaire de Chine, il effectuera plus de 20 ans de travaux forcés sous Mao, à partir de 1957. Il ne cesse ensuite de faire des séjours en prison à mesure qu'il monte en grade dans le clergé fidèle au Vatican. Sa participation en 1989 à la première - et unique - Conférence épiscopale « clandestine » en Chine conduit à son arrestation et sa condamnation à la prison, selon Eglises d'Asie , l'agence d'informations des Missions étrangères de Paris. Il sera libéré en 1993 après une intense campagne de mobilisation internationale. Selon la Fondation du cardinal Kung, Mgr Shi vivait caché depuis 1996, date à laquelle les autorités avaient de nouveau tenté de l'arrêter. Un autre évêque du Hebei, Mgr James Su Zhimin, âgé de 84 ans et évêque de Baoding, est détenu au secret depuis 1997. Tandis que l'évêque auxiliaire de Baoding est, lui, mort en détention en 1991. La province a une longue histoire de martyrs : c'est du Hebei que proviennent 40 des martyrs chinois canonisés par le pape Jean Paul II en 2000, sur un total de 87 Chinois sanctifiés.

Pékin inflexible sur les ordinations

L'affaire de Mgr Côme intervient alors que la reprise d'un dialogue formel, un temps pressentie, entre Pékin et le Vatican au sujet de la normalisation de leurs relations, tarde à se concrétiser. La Chine est un « réservoir » de fidèles pour le Vatican : l'Eglise patriotique comptabilise 5,3 millions de catholiques, mais il en existerait de 5 à 7 millions d'autres qui pratiquent leur culte de manière clandestine, et plus ou moins tolérée. En mars 2013, le pape François et le président chinois Xi Jinping s'étaient mutuellement félicités, lors de leur accession respective à la tête du Saint-Siège et de la Chine. En août 2014, le pape avait pour la première fois été autorisé à survoler la Chine lors de son voyage en Asie - et avait adressé à Pékin un télégramme appelant « les bénédictions divines de la paix et du bien-être sur le pays ». Il a réitéré ce geste à son retour de Manille en décembre.

Mais le durcissement idéologique en Chine sous Xi Jinping, avec une reprise en main de la Conférence épiscopale officielle de l'Eglise patriotique, semble signaler que Pékin n'est pas prêt à céder sur la question des ordinations. Le test en sera les nominations à venir, les premières sous l'ère Xi, dont celle du diocèse de Chengdu, pour lequel le candidat de Pékin n'a pas reçu à ce stade l'assentiment de Rome. Pour le cardinal Joseph Zen, évêque émérite de Hongkong et opposant au long cours du régime communiste, l'optimisme actuel sur un réchauffement entre Pékin et le Vatican est « sans fondement » : « Avec une Eglise indépendante et l'ordination d'évêques sans mandat papal, nous avons de facto en Chine une Eglise schismatique, même si on n'aime pas employer ce mot », écrit le cardinal dans une tribune publiée le 17 février par le site d'informations catholique Asianews dans laquelle il demande une clarification du sort de Mgr Shi Enxiang. Ajoutant : « L'Eglise en Chine est dans une situation extrêmement anormale. C'est le gouvernement qui y dirige l'Eglise. Pour que cela se "normalise", il faudrait un miracle. »


Le Monde.fr - Lundi 2 mars 2015

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