A quoi sert le sexe ? Cette question trotte dans la tête de Jean-Didier Vincent depuis qu'à l'âge de 7 ans il a vu, dans la grotte de Lascaux où il accompagnait son grand-père, une peinture rupestre vieille de 17 000 ans : un homme couché sur le dos, en érection... Soixante-treize ans plus tard, celui qui est devenu l'un de nos plus célèbres neurobiologistes nous livre « Biologie du couple », un étonnant essai de 400 pages (1). Ses réponses, Jean-Didier Vincent est allé les chercher dans l'ensemble du monde vivant, chez tout ce qui rampe, vole, saute... Un bestiaire qui, de la tique au crocodile, dévoile la fabuleuse diversité des comportements sexuels. Pourquoi ? Parce que, comme l'écrit ce grand spécialiste de la chimie amoureuse, « sur le plan de l'acte sexuel, rien ne différencie l'humain du campagnol ». Mais l'homme, qui « ne fait pas seulement l'amour, mais qui en parle », aura tout de même inventé l'« intellectualisation du rut ». Au passage, on découvre ce qui a poussé le descendant du Sapiens Sapiens adepte de « liberté sexuelle » à opter pour la monogamie. Avec cette réjouissante conclusion : et si l'incroyable succès de l'espèce humaine reposait sur la quête du plaisir ?
Le Point : Pourquoi la quasi-totalité des espèces animales ont-elles choisi la reproduction à deux, alors qu'il existe des méthodes plus performantes ?
Jean-Didier Vincent : Chez les êtres unicellulaires très primitifs, on se reproduit en se scindant en deux, c'est simple et efficace. Avec un on en fait deux, au lieu de se mettre à deux pour en faire un. A première vue, rien ne permet de dire que la sexualité est un modèle plus efficace. Pourtant, l'animal et l'homme se sont lancés à corps perdu dans la sexualité. En fait, si la reproduction sexuée s'est imposée dans l'évolution, c'est parce qu'elle permet le mélange des gènes. Elle introduit une diversité propice à la persistance d'une espèce. En augmentant la variété génétique, on élargit le champ des possibilités d'adaptation et on multiplie les capacités de réparation de l'ADN. De plus, être deux apporte beaucoup de bénéfices secondaires. Ce n'est pas un hasard si même les espèces hermaphrodites se reproduisent à deux. Chez les escargots, on s'accouple et l'un fait le mâle, l'autre la femelle. Le lézard fouette-queue, dont l'espèce ne comporte que des femelles, simule pourtant un coït, comme mû par un réflexe fondamental. Cet instinct sexuel qui attire l'un vers l'autre est plus fort que tout. Une attraction comparable à la gravitation universelle. Inexplicable comme elle. Cette force apparaît comme l'une des propriétés essentielles de la vie.
Jean-Didier Vincent :Vous dites que le premier organe sexuel est le cerveau !
Oui, car le cerveau pilote à la fois le désir et le plaisir. C'est le campagnol des prairies qui m'a ouvert les yeux. En étudiant le cerveau de ce rongeur, monogame accompli, nous avons compris le rôle des hormones dans le lien entre les partenaires sexuels. Chez la femelle campagnol, la stimulation vaginale au cours des coïts entraîne une libération d'ocytocine. Une molécule dont les effets la rendent dépendante de son compagnon, comme le ferait une puissante drogue. Quant au mâle, la libération d'ocytocine et de vasopressine dans son cerveau pendant la copulation crée un attachement à la femelle. Quand il s'agit de désir, le cerveau de l'homme, malgré ses 1 500 grammes, ses 100 milliards de neurones et ses 500 000 milliards de connexions, se comporte comme celui du campagnol des prairies ! L'attirance sexuelle est une pure histoire de chimie, tout comme l'instinct maternel. C'est encore l'ocytocine qui sert d'« agent de relation » pour maintenir le lien chez les primates. Des signaux sensoriels, visuels, tactiles, olfactifs et une libération d'hormones à l'intérieur du cerveau génèrent les fameuses « affinités électives » dont parlait Goethe : cela se passe entre hormones et récepteurs qui se reconnaissent et s'attachent.
D'où votre formule : « L'amour n'est qu'un surplus sémantique de l'instinct sexuel » ?
Le cerveau humain a tenté de se libérer des hormones en fabriquant le sentiment amoureux. L'homme n'a inventé ni le désir ni le plaisir, qui existent chez les animaux, mais il a intellectualisé le rut. La sexualité, c'est avant tout de la chimie, mais, comme le dit Michelet, « le sublime n'est point hors nature ». D'un point de vue comportemental, l'acte sexuel est bestial, il devient sublime avec l'amour.
Sait-on à quelle époque les humains ont inventé l'amour ?
Une des premières représentations du désir, vieille de 17 000 ans, on la trouve dans le puits de Lascaux. Sur une des parois est dessiné un homme couché sur le dos, en érection, avec un bâton surmonté d'un oiseau. La première fois que je l'ai vue, j'avais 7 ans, j'étais descendu dans la grotte avec mon grand-père. L'image m'a profondément marqué. C'est peut-être pourquoi, devenu neurobiologiste, je me suis évertué à comprendre la mécanique du désir. Les premiers objets érotiques connus, eux, remontent à 30 000 avant notre ère, au paléolithique supérieur. Ce sont 200 statuettes représentant des femmes nues. L'apparition de la pornographie en pleine période glaciaire !
Jusqu'où le choix du partenaire est-il dicté par le cerveau ?
Pour garantir la survie de l'espèce, l'évolution a implanté dans le cerveau un mécanisme qui dicte les préférences sexuelles. Il s'agit à la fois de conserver les caractéristiques essentielles de l'espèce tout en se protégeant d'une trop grande similarité, car si les deux parents sont trop proches à cause de leur consanguinité, on augmente la probabilité de tares génétiques et on affaisse la fertilité du couple. C'est la règle du semblable, mais pas trop. Comment repérer le partenaire qui présente la combinaison de gènes la plus avantageuse ? C'est ici qu'intervient le sens olfactif. Le « bon » candidat va émettre une odeur attirante. A l'inverse, celui dont les gènes sont trop identiques ou trop dissemblables va diffuser un message chimique repoussant. Ce garde-fou garantit la barrière des espèces.
Comment expliquer que, sur plus de 2 millions d'espèces, 2 % seulement soient monogames ?
S'accoupler, ce n'est pas former un couple, c'est seulement deux êtres qui se conjuguent pour féconder leurs gamètes. La mante religieuse est une parfaite célibataire. Une croqueuse de mâles qui dévore son partenaire une fois qu'il a donné son sperme, mais parce que c'est bénéfique pour sa progéniture : cet afflux de protéines va en effet nourrir les embryons, augmentant leur viabilité. Les mâles se sacrifient pour la survie de l'espèce, poussés par leur instinct sexuel. Chez les insectes sociaux comme les termites, il n'existe qu'un seul couple. La société se construit autour de ce duo qui peut passer vingt ans enfermé dans une chambre nuptiale à se reproduire. Des exceptions qui confirment la règle. Le modèle dominant dans le monde animal reste le couple mais volage. Il existe ainsi une seule souris monogame parmi les cinquante espèces existantes. C'est particulièrement vrai chez les voyageurs, comme les criquets pèlerins, les longs déplacements n'incitant pas à la fidélité. Si la monogamie a peu de succès, c'est peut-être parce qu'elle ralentit le brassage des gènes qui garantit la vitalité de l'espèce.
Pourquoi dites-vous que la nature profonde de l'homme est la « monogamie intermittente » ?
Les premiers hominidés, apparus il y a sept millions d'années, pratiquaient probablement la promiscuité sexuelle avec la formation temporaire de groupes de mâles et femelles selon un système de « fusion-séparation ». L'homme n'est pas « naturellement » monogame. La monogamie s'est imposée par la culture. Les espèces animales monogames, où les primates sont les plus représentés, présentent des points communs qui font penser à un « syndrome monogamique ». D'abord, les femelles ressemblent aux mâles, avec peu de différences de taille, de poids et d'expression comportementale; l'agressivité entre individus du même sexe est intense; les rapports sexuels sont peu fréquents et les mâles ignorent le moment où l'ovulation se produit. L'intérêt de la monogamie s'apparente à une forme de gardiennage. Celui du partenaire pour limiter l'infidélité, la défense d'un territoire, et la protection des petits, la monogamie limitant le risque d'infanticide par le père. Quand le caractère monogame apparaît dans une espèce, il se transmet à la descendance, comme une assurance de survie inscrite dans le génome. L'homme est un individu social extrême, la présence de l'autre lui est indispensable dès la naissance, car il ne devient autonome qu'après une longue période.
Quel est le couple « modèle » dans le monde animal ?
Soyons clairs : le monogame parfait est celui qui ne fait l'amour qu'une fois dans sa vie. C'est le cas du poulpe, qui ne connaît qu'une seule saison des amours, ou de l'éphémère, qui ne vit pas assez longtemps pour assurer plus d'une reproduction. Leur fidélité est un peu usurpée, car leur survie est brève. Le vrai fidèle, c'est le cloporte de Réaumur. Il habite les zones semi-arides du Maghreb et de l'Asie Mineure, l'habitat est dispersé, les vivres rares et il a besoin d'un terrier profond pour se protéger de la chaleur, mais ce lieu « climatisé », il doit le défendre de la convoitise. La solution est donc de vivre à deux : l'un garde, l'autre va chercher la pitance. Une fois unis, les deux cloportes restent ensemble jusqu'à la mort de l'un des conjoints. Les femelles ne pondent qu'une seule fois dans leur vie, et les petits sont élevés par leurs deux parents. L'humain, lui, se distingue par son désir permanent d'accouplement. Son désir sexuel n'est pas inféodé aux périodes d'ovulation de la femelle. Il est aussi l'être vivant qui se masturbe le plus. La raison tient peut-être au fait que notre espèce est particulièrement narcissique...
Extraits
Une question de flair
Les gènes produisent toutes sortes de protéines qui ont une influence sur l'odeur du corps. (...) L'homme possède une mémoire olfactive surdéveloppée qui lui permet, grâce au développement de son cerveau, de discriminer plusieurs milliers d'odeurs, notamment grâce à l'apprentissage. (...) Scientifiquement, donc, il semble bien qu'entre deux personnes les choses se passent un peu comme entre nos amis les chiens : on se renifle, mais sans s'en rendre compte, et notre cerveau est en attente de certaines molécules odorantes qui servent de code de reconnaissance pour une éventuelle similarité générique et d'éventuelles similitudes en termes d'habitudes de vie.
Sexe et réseaux sociaux
La sexualité joue un rôle fondamental dans le développement des relations sociales. Une expérience a réuni des mâles intacts [primates] et des femelles castrées. En deux ans et demi, il n'y a eu aucun signe d'interaction entre mâles et femelles. La veille d'un week-end, les expérimentateurs ont commencé à injecter aux femelles de l'oestradiol; le lundi suivant, toutes les femelles épouillaient certains mâles et s'accouplaient avec eux : trois jours de traitement à l'oestradiol avaient réussi à produire ce que neuf cents jours de vie sociale n'avaient pu réaliser. Le traitement hormonal fut interrompu au bout de trois semaines, mais les femelles continuèrent à rester à proximité des mâles avec lesquels elles s'étaient accouplées, et exclusivement avec eux, et à les épouiller. Les auteurs ont conclu que le sexe était bien le fondement de l'organisation sociale des primates. Chez les macaques, l'attraction sexuelle conduit au développement de comportements amicaux comme la proximité et l'épouillage, contribuant ainsi à la cohésion sociale. Il y a donc du sexe à l'origine de l'amitié, mais celle-ci résiste à l'effacement du sexe. Alors, l'amitié est-elle plus forte que l'amour ?
QUELQUES CHIFFRES
95 % des espèces ont choisi la reproduction sexuée.
96 % des grands singes partagent avec l'homme d'étonnantes similitudes de moeurs et de comportement sexuel.
60 % des hommes exigent l'exclusivité sexuelle de leur conjoint, contre17 % des femmes.
10 % environ des enfants auraient été conçus par un autre que leur père putatif.
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