INTERVIEW - Le président du Conseil constitutionnel est l'un des rares à rencontrer régulièrement l'ex-chef de l'État.
Son affection pour l'ancien président semble aujourd'hui encore plus profonde que son admiration. Dans Le monde selon Chirac
(Éditions Tallandier, mars 2015), Jean-Louis Debré évoque les combats, les bons mots et les vacheries de «l'animal politique» dont il a partagé les heures de gloire et les moments d'adversité.
LE FIGARO. - Votre livre parcourt cinquante ans de vie politique. Pour quelle période Jacques Chirac a-t-il le plus d'affection?
Jean-Louis DEBRÉ. - Sans doute la campagne de 1994-1995, pourtant extrêmement dure et humainement difficile. Que de trahisons, de déceptions! Voir Édouard Balladur, qu'il avait fait venir à Matignon, se comporter ainsi…
Son flair politique lui avait-il fait défaut?
Je crois qu'il a mis du temps à se rendre compte qu'il s'était trompé. Pourtant, il y avait des signes. Nous, ses proches, voyions bien que, du côté du premier ministre, on recrutait…
En décembre 1994, lors d'un déplacement à Saint-Denis de la Réunion, il envisage l'échec et vous dit: «Nous pourrions ouvrir une agence de voyages, tu la tiendrais, je voyagerais!»…
Nous étions au fond du trou. Je ne voyais pas comment remonter la pente. Tous mes camarades députés, ou presque, nous avaient quittés. Il faut attendre mars 1995 pour que les courbes de popularité s'inversent en sa faveur. J'arrive au QG de l'avenue d'Iéna. Il me confie: «Un sondage va sortir. Mais il ne faut rien dire.» Plus tard, très content, il ajoute: «Balladur, c'est comme la poterie ancienne. Il supporte les décorations, mais pas le feu.»
Quelle défection l'a le plus atteint?
Celle de Nicolas Sarkozy pour qui il avait beaucoup de sympathie. «C'est l'un des plus doués de sa génération», me disait-il alors souvent. Non seulement il s'en allait mais, en plus, il emmenait du monde! C'est un sujet encore difficile à aborder avec lui.
De Nicolas Sarkozy, il dira plus tard: «Nous ne partageons probablement pas la même vision de la France.»
Et aussi: «C'est un atlantiste, pas moi.» Il existe une différence de fond entre les deux hommes.
L'une des marques de fabrique de Jacques Chirac, c'est son inoxydable optimiste?
Oui, pas l'optimisme béat des gens satisfaits d'eux-mêmes mais celui du combattant politique. Un exemple: en juin 1997, tout va mal, tout le monde lui reproche la dissolution ratée. J'arrive à l'Élysée, un peu défait: «J'ai beaucoup de mal à tenir le groupe. Comment va-t-on faire?» Lui me répond: «On repart à zéro! On va y arriver!»
Qui peut, aujourd'hui, se réclamer de Jacques Chirac? Revendiquer son héritage politique?
Jacques Chirac est inclassable politiquement. Ce n'est pas un dogmatique. Dans une espèce de tradition gaulliste, ce n'est ni la droite ni la gauche. Mais «et» la droite «et» la gauche. Il a commencé très à gauche en vendant L'Humanité, a assisté, entraîné par son ami Rocard, aux réunions d'une section socialiste qu'il a vite jugées trop sectaires, mais il n'a pas pour autant rejoint les gaullistes. Il défend la place de la France dans le monde - on l'a vu lors de la guerre en Irak -, il est très réservé sur le libéralisme et à l'opposé de tout conservatisme. C'est un Corrézien, provincial, laïc, pragmatique, qui croit en l'État, garant de la justice et de la liberté.
Qui serait son fils spirituel, comme il fut celui de Pompidou?
Je ne veux pas parler à sa place mais il ne voit, je crois, en personne son fils spirituel.
Alain Juppé?
Il a dit à deux reprises que son destin politique rencontrait l'aspiration des Français. Peut-être prendra-t-il position lors des élections…
Comment a-t-il vécu les attentats de janvier?
Il a eu, me semble-t-il, François Hollande au téléphone. Il est fatigué. Il interroge plus qu'il ne parle. «Comment vois-tu les choses?», m'accueille-t-il. Lorsque j'ai essayé de lui raconter les événements, de lui décrire les manifestations, j'ai senti une angoisse. Je la lisais dans ses yeux. Mais, en même temps, ce n'est plus tout à fait son monde…
Quel jugement portait votre père, Michel Debré, sur Jacques Chirac?
Il avait une grande admiration pour l'animal politique et une sympathie pour les idées qu'il portait. Il avait pris position pour lui en 1995. En même temps, il regardait ce monde politique qui n'était plus le sien, cette médiatisation, cette tyrannie de l'instantané, avec une certaine distance. Quand Jacques Chirac m'a nommé ministre de l'Intérieur, il a tenu à l'annoncer lui-même à mon père qui m'a appelé tout de suite après pour me dire: «Souviens-toi d'une chose: tu seras plus longtemps ancien ministre que ministre…»
Comment avez-vous rencontré Jacques Chirac?
C'était en 1967, à Orly. Mon père m'avait dit: «Viens avec moi. Je vais accueillir le président qui rentre du Québec.» L'avion avait du retard. Jacques Chirac et moi avons commencé à fumer devant le pavillon d'honneur. «Ça me ferait plaisir de bavarder avec vous», lui ai-je dit. «Appelle-moi», répondit-il. Deux jours après, c'est lui qui m'a proposé de déjeuner ensemble. Plus tard, devenu ministre de l'Agriculture, il m'appellera à son cabinet.
Vous citez de nombreuses expressions chères à Jacques Chirac. Quelle est votre préférée?
«Les emmerdes, c'est comme les cons, ça vole toujours en escadrille.» Ainsi que: «Il faut mépriser les hauts et repriser les bas», qui lui venait de sa grand-mère. J'ai tout vérifié avec lui. Il y a aussi, à propos de Guy Mollet: «Le molletisme est un mouvement alternatif du mollet droit et du mollet gauche qui permet d'affirmer que le socialisme est en marche…» Il sortait ces phrases comme ça, sans les avoir travaillées, parfois pour éluder les questions. Elles le font toujours beaucoup rire.
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