lundi 13 avril 2015

En Chine, des vétérans parias ou héros selon la propagande

Tassé dans son fauteuil roulant, ses décorations militaires épinglées sur la poitrine, Zeng Hui est loué en Chine communiste pour avoir combattu les Japonais. Mais avant de devenir un "héros" dans le contexte d'un nouveau ressentiment anti-nippon, il a été un paria, car issu du camp des nationalistes.


Dans un filet de voix, ce vieux soldat de 101 ans énumère les batailles auxquelles il a participé dans les années 1940 contre l'armée impériale envoyée par Tokyo.

Lui faisait partie des troupes du Kuomintang, vaincues ensuite par les communistes qui ont pris le pouvoir en 1949. Mais M. Zeng ne s'est pas réfugié à Taïwan avec Chiang Kai-shek: il a été persécuté sous Mao.

Les temps ont changé et désormais tout semble pardonné aux anciens combattants comme lui: le régime de Pékin les met en avant, au nom de l'union sacrée qu'il voudrait refonder contre les nouveaux "réactionnaires" nippons.

Zeng Hui arbore une médaille de "héros de la Guerre de résistance contre l'occupation japonaise". Son logement est orné d'une bannière aux franges dorées le louant comme "pilier de la nation".

Le centenaire est choyé par une association patriotique locale, qui lui offre des briques de lait et des petits gâteaux faciles à mâcher. Il est respecté à Mangshi, sa ville dans la province du Yunnan.

Pourtant, la guerre a longtemps été taboue pour ce militaire retraité et sa famille. "Mon père était membre du Kuomintang", rappelle Zeng Longxiang, son fils de 63 ans. "A cause de la (répression sous la) Révolution culturelle, il n'ose pas trop parler de ses batailles. Et nous, les enfants, on n'osait pas aborder le sujet".

Pendant la Deuxième guerre mondiale, le Japon contrôlait une partie du Nord et du Centre de la Chine, ainsi que la façade maritime, de la Mandchourie à l'Indochine. La République de Chine s'était elle retirée à l'intérieur des terres, Chiang Kai-shek et les nationalistes installant leur capitale à Chongqing.

Une configuration qui rendit stratégique la province du Yunnan, située sur l'unique ligne de ravitaillement possible des forces de Chiang, une fois qu'elles eurent intégré le camp des Alliés en 1941.

Cette assistance cruciale emprunta des voies terrestres, ou aériennes par-dessus la "bosse" de l'Himalaya, au départ de la Birmanie et de l'Assam (nord-est de l'Inde). Quand l'armée impériale japonaise envahit ces régions, les combats y firent des milliers de morts.

- Vraie guerre ou guérilla -

Côté chinois, ce sont surtout les forces nationalistes de Chiang Kai-shek qui s'illustrèrent sur ce théâtre d'opérations baptisé CBI (Chine-Birmanie-Inde).

"Le Kuomintang faisait la vraie guerre, tandis que les communistes menaient une guérilla", juge Xiang Xueyun, autre ancien combattant rencontré à Mangshi.

"L'armée du Kuomintang m'a enrôlé de force en 1942 et ils m'ont envoyé d'abord à Kunming (capitale du Yunnan, NDLR), puis en Inde par avion militaire", relate cet homme de 90 ans. "L'Inde était occupée par les Japonais et on luttait pied à pied dans la jungle".

Plus tard, le régime communiste, maître en réécriture de l'histoire, a occulté le rôle joué par l'armée nationaliste et Chiang Kai-shek, mort le 5 avril 1975, il y a juste 40 ans.

Dans le tome IV de ses Oeuvres choisies, Mao Tsé-toung soutient que les combattants communistes faisaient "face aux lignes ennemies", tandis que Chiang était réfugié sur les plateaux du Sichuan. Chiang ne serait "descendu de sa montagne" qu'à la fin de la guerre "pour récolter les fruits de la victoire", selon Mao.

Mais ces dernières années, la propagande a viré de cap. "Aujourd'hui le PC chinois donne la priorité à la politique de front uni à l'égard du Kuomintang et de Taïwan; donc il omet par une nouvelle amnésie de faire référence à la lutte féroce qu'il a menée contre Chiang Kai-shek entre 1927 et 1937, puis surtout entre 1946 et 1949 pour établir sa dictature sur le pays", explique à l'AFP le sinologue Jean-Pierre Cabestan.

C'est ainsi que, la semaine dernière, la télévision publique chinoise CCTV a consacré un reportage au général nationaliste Dai Anlan.

Le climat favorable entourant désormais le Kuomintang se vérifie au Mémorial national des "martyrs" de la ville de Tengchong. Les petites pierres tombales de milliers de soldats du Kuomintang y sont soigneusement entretenues.

- Mao trinque avec Chiang -

"La ville de Tengchong a été libérée par les troupes du Kuomintang. Les communistes y ont aussi contribué, mais dans une moindre mesure", dit Yang Shuangjiao, une guide travaillant sur place.

Dans le musée adjacent sont exposées de grandes photos de Chiang Kai-shek, notamment un célèbre cliché où on voit le "Généralissime" trinquer avec Mao, peu avant que leurs armées respectives reprennent leurs affrontements.

Comme souvent en Chine, ce musée sert aussi à marteler une propagande antijaponaise, alors que Pékin accuse Tokyo de refuser d'admettre les atrocités commises par son armée.

C'est notamment pour "impressionner le Japon", souligne un éditorialiste du Quotidien du peuple, que la Chine populaire organisera cette année son premier grand défilé militaire depuis 2009, dans la plus pure tradition socialiste.

Le régime communiste tente de "réactiver et renforcer les sentiments antijaponais en Asie et parmi les Chinois", analyse le sinologue Jean-Pierre Cabestan.

Mais "cela a peu de chances de réussir à Taïwan", dit-il. Car "la majorité des Taïwanais ont des sentiments d'amitié et de proximité à l'égard de la société japonaise contemporaine" et parce qu'aux yeux des Taïwanais, "les vieux combattants nationalistes appartiennent à une période révolue".

Par Sébastien BLANC

Illustration(s) : Greg Baker
Le vétéran de la Seconde Guerre mondiale Zeng Hui à son domicile de Mangshi, dans la province du Yunnan, le 20 mars 2015

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