jeudi 30 avril 2015

La Chine et le tabac, une flamme durable

Dans la province du Yunnan, grande productrice de tabac, on fume au restaurant, au bureau, dans les taxis ou même les hôpitaux : la cigarette constitue un énorme défi pour la Chine, premier pays producteur et consommateur du monde.


Ouvrier sur un chantier de construction, Yao Xinggang profite d'une pause pour aspirer de grosses bouffées de son "bong", imposante pipe à eau traditionnelle de cette région du sud-ouest, où elle est souvent fabriquée en bambou.

"C'est moins nocif pour la santé car la fumée est filtrée par l'eau à l'intérieur du tube", croit savoir le travailleur, qui consomme l'équivalent de deux paquets de cigarettes par jour.

Si les bongs et les pipes en bois, prisés chez les nombreuses minorités ethniques locales, tiennent un peu de la carte postale, les cigarettes bon marché font partie du paysage quotidien au Yunnan.

"Ici beaucoup de gens fument. Cela a à voir avec l'économie : de nombreuses compagnies du secteur du tabac sont établies dans le coin", explique Zhang Jie, qui en grille une sur le seuil de son bureau.

Ce commercial qui habite la ville de Baoshan achète 10 yuans (1,5 euro) son paquet de cigarettes. Le tabac, assure-t-il, "c'est bon pour l'économie, cela augmente les revenus des paysans".

Plus d'un tiers des cigarettes fabriquées dans le monde sont fumées en Chine. Le pays compte plus de 300 millions de fumeurs, essentiellement masculins, et en 2010, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait que plus d'un homme sur deux y était tabaco-dépendant.

- Deux morts par minute -

En Chine, le tabagisme cause la mort d'une personne toutes les 30 secondes et son coût à l'échelon national atteint des milliards d'euros.

Pour autant, l'Etat tire 7% de ses revenus de l'industrie du tabac : celle-ci lui a reversé l'an dernier 911 milliards de yuans (135 milliards d'euros), un montant colossal, en augmentation de 12% sur un an.

La compagnie étatique China National Tobacco Corporation (CNTC) est de loin le premier cigarettier mondial, avec une production trois fois supérieure à celle de son premier concurrent, Philip Morris.

La très influente et opaque CNTC a un quasi-monopole sur le marché chinois. En 2012, son chiffre d'affaire d'environ 170 milliards de dollars dépassait celui d'Apple.

Pas étonnant que l'inventeur de la cigarette électronique, le Chinois Hon Lik, ait rencontré les pires difficultés pour commercialiser son invention dans son propre pays. Les e-cigarettes sont rares en Chine.

L'OMS a fixé un objectif international de réduction de 30% de la prévalence du tabagisme d'ici à 2025. Si la tendance actuelle en Chine se confirme, cet objectif ne pourra être tenu.

Dans un pays où certaines publicités dans des écoles assurent que fumer "aide à réfléchir", combattre les idées reçues prendra du temps.

Un exemple. Zhou Fuzhong, un procureur de Baoshan à la retraite, se dit conscient de la nocivité du tabac, qu'il interdit à ses enfants. Mais, les dents noircies par la nicotine, il ajoute : "Parmi tous les gens que je connais et dans ma famille, personne n'est jamais tombé malade à cause du tabac. J'en connais en revanche qui ont vécu très longtemps. Mon troisième oncle fumait beaucoup et cela ne l'a pas empêché de vivre jusqu'à 95 ans".

L'expérience montre qu'augmenter le prix des cigarettes est la mesure la plus fiable pour faire baisser la consommation. La Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac en 2005 en a d'ailleurs fait sa pierre angulaire : elle recommande qu'au moins 70% du prix d'une cigarette au détail corresponde à des taxes indirectes.

La Chine a ratifié cette convention. Mais de nombreux responsables s'inquiètent des répercussions sociales que pourrait avoir une forte hausse du prix des cigarettes. Selon eux, les pauvres, qui consacrent déjà une part importante de leurs finances au tabac, subiraient cette augmentation de manière disproportionnée.

- Une loi à Pékin en juin -

Cette thèse est battue en brèche par des spécialistes, qui mettent dans la balance les avantages financiers et sanitaires qu'induirait un fort recul de la consommation de tabac.

Selon une étude internationale publiée en mars par The Lancet, une augmentation de 50% du prix du tabac en Chine, par l'introduction de taxes indirectes, ferait gagner 231 millions d'années de vie sur 50 ans.

Une telle augmentation "peut être un outil favorable aux pauvres, en générant des bénéfices importants pour la santé et les finances des ménages, en particulier ceux qui font partie des catégories socio-économiques les plus défavorisées", assure à l'AFP le Dr. Stéphane Verguet, responsable de l'équipe de chercheurs ayant réalisé l'étude.

Une ambitieuse loi antitabac entre en vigueur le 1er juin à Pékin - et uniquement dans la capitale chinoise. Elle prévoit notamment une restriction radicale de la publicité, une interdiction de vente en ligne de tabac aux mineurs et une interdiction de fumer dans les cours d'école, les centres sportifs ou l'enceinte d'hôpitaux pour femmes et enfants.

L'application de cette loi permettra de jauger la détermination des autorités, après de précédents engagements non tenus.

En 2011, sous pression de l'OMS, la Chine avait adopté une loi interdisant partout de fumer dans les espaces publics, inspirée de règles en vigueur dans les pays développés. Mais aucune campagne de sensibilisation digne de ce nom n'avait été prévue et le texte est demeuré largement inappliqué.

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