samedi 25 avril 2015

COUVERTURE - Mitterrand, l'éternel retour

Plans com, opérations séduction, petites phrases... A trente ans de distance, il n'y a pas que François Hollande, à s'efforcer de mettre ses pas dans ceux de Mitterrand. Toute la classe politique frémit de tontonmania.


Dimanche 28 avril 1985, 19 h 30. Yves Mourousi ouvre d'un «bonsoir» sonore une spéciale de TF1 : «Ça nous intéresse, monsieur le Président !» Sous l'énorme logo de la chaîne, François Mitterrand apparaît, sagement assis derrière un bureau gris, comme un étudiant avant son grand oral. Costume bleu, pochette blanche, le journaliste star de l'époque s'avance vers le chef de l'Etat et pose un bout de fesse sur le coin de la table... «Vous savez ce que c'est qu'être chébran ? attaque-t-il tout de go. - Je ne vais pas faire le malin, mais c'est déjà un peu dépassé, vous auriez dû dire câblé», rétorque Mitterrand. En quelques secondes, une image et une réplique, les deux hommes ont explosé les codes de la communication politique, enterré Giscard et son piano à bretelles. Et même s'il n'est rien resté du propos présidentiel, l'écume de cette soirée fait partie de l'histoire puisque c'est à partir de cette entreprise de communication que partit la reconquête mitterrandienne.

Dimanche 19 avril 2015, Maïtena Biraben reçoit François Hollande dans son talk-show branchouille «Le supplément», prompt à tourner les politiques en dérision. Pour l'occasion, l'animatrice a troqué son sourire «ravi» pour la mine confite qui sied à l'interview présidentielle. Le choix de ce média «cool» fait partie d'une même stratégie de reprendre la main chez les jeunes, ces oubliés du quinquennat, abreuvés de promesses durant la campagne présidentielle. Début janvier déjà, le chef de l'Etat avait accordé à la revue trimestrielle Charles, dont le rédacteur en chef est Arnaud Viviant, ancien des Inrocks, un entretien sur Jacques Chirac, sujet éminemment consensuel et hautement «mitterrando-compatible». Puis ce fut, peu de temps avant le premier tour des départementales, un échange dans le magazine Society, pâle reprise d'Actuel, où l'on apprend que «la mort habite la fonction présidentielle», là encore des propos sculptés dans la roche de Solutré.

Dans un article, «Jeunes et bobos : les nouvelles cibles du président», David Revault d'Allonnes rapporte une phrase assez mufle du chef de l'Etat qui balaie tout doute sur ses intentions et sa stratégie : «S'il y avait une annonce particulièrement forte, je ne serais pas allé sur Canal.» De fait, on retiendra un président bonhomme écoutant avec empathie les jeunes, bourré de compréhension comme une couette de duvet d'oie. Malheureusement, la nature (politique) a horreur du bide. A trente années de distance, le parallélisme des formes entre les deux présidents socialistes se brouille devant les caméras de télévision. Sur le plateau de Canal +, Hollande est à Mitterrand ce que Ribéry est à Platini. Quant au fond, n'est-il pas périlleux dans ces périodes de crise profonde de ne parler qu'à un segment de la population ? Ne risque-t-on pas d'avoir la France contre les bobos ?

AUTRES TEMPS...

La convocation par le chef de l'Etat de son prédécesseur n'est pas un hasard. Au printemps 2011, avant que DSK ne brûle ses ambitions dans un hôtel new-yorkais, quand les sondages ne lui donnaient qu'un espoir dérisoire dans la course à la primaire, Hollande se comparait déjà à Mitterrand : «Ce que je retiens de lui, c'est la volonté, la capacité de pouvoir traverser les épreuves. Moi aussi, j'ai fait un long chemin et je souhaite que 2012 ait des airs de 1981.» Aujourd'hui, il rêve que 2017 soit une réplique de 1988... Il rêve qu'une tontonmania à la sauce hollandaise se lève. Qu'un chanteur ou un acteur écrive un couplet pour sa réélection, comme Renaud avait lancé dans le Matin de Paris son fameux «tonton, laisse pas béton», pour implorer Mitterrand de se représenter. A l'époque, l'opération était orchestrée par Jacques Pilhan à l'Elysée, avec la participation active de Globe, le mensuel de Georges-Marc Benamou, journal que Jean-François Kahn qualifiait alors d'«organe central de la tendance germanopratine de la gauche branchée». Elle consistait à gommer l'effet de majesté présidentielle renforcée par la cohabitation, cette communauté réduite aux aguets, à écarter le rival ambitieux, Michel Rocard, et à ringardiser Jacques Chirac, Premier ministre usé par de permanentes tensions avec le président.

Mais si «le vieux» s'amusait alors avec la jeunesse, presque trente ans plus tard, elle s'est détournée de son successeur... Gaspard Gantzer, énarque de 35 ans bombardé l'année dernière patron de la communication présidentielle, n'est pas Pilhan qui réussit autrefois à redonner des lettres de noblesse à un fromage, Le Vieux Pané, tout en connaissant des passages entiers d'auteurs du XVIIe siècle. Autres temps... Et puis Pilhan avait appris la gestion du temps et était un apôtre de la rareté de la parole présidentielle. Or, ces derniers temps, la fréquence des apparitions du chef de l'Etat dans les médias tourne à l'omniprésence, Hollande inspirerait davantage une rengaine sur l'air de «pépère brasse de l'air» plutôt que la fredaine devenue culte de Renaud... A moins que Jamel Debbouze, après avoir soufflé à Manuel Valls l'idée d'organiser des cours de stand-up à l'école (lire l'édito de Joseph Macé-Scaron, p. 3) se fasse le chantre du hollandisme. L'humoriste a d'ailleurs commencé à entonner son ode présidentiel en déclarant récemment au JDD : «Je suis fidèle à François Hollande, il fait ce qu'il peut, ce n'est pas le commandant de bord qui compte en ce moment. Il est dans les remous du bateau d'avant. c'est chaud pour lui, le pauvre.» Jamel sera-t-il le Renaud de Hollande ?

Il n'y a pourtant pas que la stratégie à l'égard des jeunes urbains, bobos dernière génération, que Hollande a empruntée à Mitterrand, histoire d'entretenir son désir de reconquête. Pour contrecarrer ou seulement contenir les ambitions de son premier rival, issu de son propre camp et bien plus populaire dans l'opinion, la méthode est la même.

STRATÉGIE DE RECADRAGE

Ainsi, lorsque François Mitterrand expliquait : «Je suis président, Michel Rocard est Premier ministre, ce qui est déjà fort bien et conforme à ses qualités», François Hollande dit (le 6 novembre dernier, sur TF1) : «Manuel Valls est un bon Premier ministre. [...] Il applique la politique que j'ai moi-même fixée pour la nation.» Bref, il recadre, comme le fit d'ailleurs en son temps Jacques Chirac, lui aussi largement inspiré de Mitterrand, pour remettre Sarkozy à sa place avec son fameux : «Je décide, il exécute.» Nul doute que l'annonce dimanche dernier par le président de la République de la saisine du Conseil constitutionnel afin de vérifier la conformité de la loi sur le renseignement ardemment défendue par Manuel Valls participait de cette stratégie de recadrage.

La virulence du chef de l'Etat contre le FN rappelle celle de François Mitterrand, lorsque ce dernier avait fait de Jean-Marie Le Pen son allié objectif pour empêcher le retour de la droite au pouvoir. Certes, l'actuel président n'est pas encore décidé à instiller une forte dose de proportionnelle comme Mitterrand l'avait fait pour les législatives de 1986, mais le FN est désormais en mesure d'avoir des élus sans ce subterfuge et la méthode demeure la même : tout faire pour que le FN affaiblisse au maximum la droite parlementaire. Avec cet objectif singulier que n'imaginait pas Mitterrand : terminer deuxième derrière l'héritière des Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle, devançant ainsi le candidat UMP... Un projet d'un cynisme total et mitterrandien. Il est probable que François Hollande, ce président à propos duquel François Bazin, dans les Ombres d'un président, écrit qu'«il ne voudrait pas l'être mais qui aspire à le demeurer», invoquera durant les deux prochaines années les forces de l'esprit mitterrandien dont Paul Thibaud, directeur d'Esprit, a dit qu'«il a tenté de sauver sa personne de l'échec de son oeuvre». En espérant que leurs destins se croisent à nouveau dans l'histoire.

UNE FIGURE ASSUMÉE

Mais le plus singulier est peut-être que cet esprit de l'homme de Latche soit entretenu bien au-delà de François Hollande et du PS. D'ailleurs, ses plus sincères admirateurs se trouvent souvent en dehors d'un Parti socialiste devenu aussi plat qu'une plaine du Jutland. Jean-Luc Mélenchon en est la fracassante illustration et pas seulement lorsqu'il se vêt du chapeau et de l'écharpe rouge du «vieux». A droite, la figure de Mitterrand, si elle n'a pas dépassé l'ombre tutélaire de De Gaulle, n'est plus taboue. Elle est même assumée depuis longtemps par un François Bayrou célébrant les noces de la littérature et de l'enracinement. On trouve cette présence mitterrandienne permanente même auprès de... Nicolas Sarkozy, qui reprend aujourd'hui à son compte l'affiche de campagne de François Mitterrand, en 1965, «Candidat des républicains», pour rebaptiser l'UMP... Rappelons aussi qu'en 2012 Nicolas Sarkozy avait choisi d'adresser une «Lettre au peuple français». François Mitterrand avait usé du même stratagème quelques semaines avant sa réélection en 1988.

Pour Nicolas Sarkozy comme pour François Hollande, et beaucoup d'autres, cet éternel retour de Mitterrand n'est pourtant pas l'assurance du succès. Bien au contraire. Parce que les temps ont changé, bien sûr, et réclament plus des de Gaulle et des Churchill que des Machiavel de sous-préfecture. Parce que la situation économique, sociale, internationale n'est pas la même. Parce que, quand on cherche à reproduire les stratégies de communication, on bégaie. Parce que l'époque exige de s'adresser à l'ensemble des Français sans s'embarrasser des catégories, des groupes, des identités agressives et régressives. Parce que, enfin, il faut entendre cette demande de changement qui se manifeste à chaque élection. C'est la fin des vieux partis, le renouvellement des hommes et des idées, qui est souhaité. Le rejet populaire et brutal qui frappe François Hollande et Nicolas Sarkozy ne se résoudra pas par la convocation d'un président qui fut davantage préoccupé par l'éternité que par les Français.

Marianne, no. 940 - Événement, vendredi 24 avril 2015, p. 12,13,14,15,16,17
PAR ÉRIC DECOUTY, SOAZIG QUÉMÉNER ET GUY KONOPNICKI





IL A OSÉ LE DIRE

François Mitterrand, président de la République, du 21 mai 1981 au 17 mai 1995.

"Je crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas."

"A 56 ans, après un quart de siècle de mandat parlementaire, l'ambition de ma vie n'est pas d'aller à l'Elysée."

"La démocratie, c'est aussi le droit institutionnel de dire des bêtises."

IL A OSÉ LE DIRE

François Mitterrand

"La pire erreur n'est pas dans l'échec mais dans l'incapacité de dominer l'échec."

"On crée pour l'éternité même si elle se charge de démentir."

IL A OSÉ LE DIRE

François Mitterrand

"Poser une question qui ne se pose pas est la plus sûre façon qu'elle se pose."

"L'action politique, à certaines heures, est comme le scalpel du chirurgien, elle ne laisse pas de place à l'incertitude."



JACQUES ATTALI, ENCORE ET TOUJOURS LUI
A.B.

Il y a ceux qui l'ont choisi comme conseiller. Et ceux qui l'ont ensuite écouté. Aux yeux de Jacques Attali, François Mitterrand eut l'intelligence de faire les deux. Mention spéciale, donc, au grand homme. Comme Nicolas Sarkozy avant lui, François Hollande, «le meilleur président... depuis François Mitterrand», a aussi ouvert son bureau à ce visiteur du soir. Mais sans mener toutes les réformes sociales-libérales qu'il préconisait. Les monarques élyséens passent, l'éminence grisonnante reste. Dans le petit théâtre de Hollande, il y a le labrador, côté cour, la maîtresse, côté jardin, et caché sous la scène, dans ce rôle de souffleur qu'il affectionne tant, l'infatigable Jacques. Trente ans plus tard, le décor mitterrandien est de nouveau en place.

LE MAIRE, EN TOUTES LETTRES
SOAZIG QUÉMÉNER

Il est le plus mitterrandien des espoirs de la droite, si ce n'est le seul. Dans son camp, tout homme qui caresse des rêves élyséens finit par commettre un essai sur Napoléon ou un récit sur la Grande Guerre. Mais Bruno Le Maire échappe à ce parcours obligé. Comme l'auteur de la Rose au poing, il se veut écrivain tout autant que politique. N'est-il pas le seul parmi ses semblables à être publié dans «La blanche», la prestigieuse collection de Gallimard ? Installé dans un appartement un peu bohème, rive gauche, au coeur de Saint-Germain-des-Prés, il est aussi capable de se frotter «au fond de cuve», comme nomme aimablement un secrétaire général adjoint de l'UMP les plus radicalisés des militants du parti de la rue de Vaugirard. C'est auprès de Dominique de Villepin, homme de coulisses et d'intrigues, de verbe haut et de coups bas, d'excès et de culture, dont il a été le directeur de cabinet, que le député de l'Eure a fait ses premiers pas en politique. Comme Villepin qu'il a croqué dans deux ouvrages, le Ministre et Des hommes d'Etat,

Le Maire est un fin lettré qui goûte les envolées lyriques sur la grandeur de la France. Il ne s'est d'ailleurs pas fait prier pour jouer, en 2012, son propre rôle, celui d'un conseiller admiratif, dans l'adaptation cinématographique par Bertrand Tavernier de la bande dessinée Quai d'Orsay, consacrée à son mentor. L'ancien ministre de l'Agriculture s'est libéré de ce patronage encombrant à l'automne dernier, en se présentant à la présidence de l'UMP. Accomplissant enfin, au prix de quelques embardées bien à droite, le dessein manqué de l'éphémère patron de République solidaire qui n'a jamais été élu nulle part : en découdre avec Nicolas Sarkozy dans les urnes. Voilà le maître dépassé ! La délicatesse de la plume de l'ancien ministre a été souvent raillée dans son propre camp. Ainsi Nicolas Sarkozy se gaussait de son ancien ministre, «qui écrit des livres en allemand que personne ne lit», aiguillonné il est vrai par Edouard Balladur qui aime rire du postulant et surtout d'un passage érotique de l'un de ses ouvrages, une scène de masturbation dans une baignoire à Venise. L'ancien Premier ministre se souvient-il que François Mitterrand avait, oeuvre de jeunesse, écrit, lui, toute une nouvelle érotique ? Bruno Le Maire n'est pas, loin s'en faut, mitterrandolâtre. Dans son livre Musique absolue consacré au chef d'orchestre autrichien Carlos Kleiber, il critique d'ailleurs la vision européenne du premier président socialiste de la Ve République : «Il faut sortir de ce mythe de la construction européenne à l'image de la France. C'est François Mitterrand qui nous a conduits à voir l'Europe comme la France en plus grand. Construire l'Europe à notre image... C'est une idée mensongère !»

Mais conscient de la force, sinon d'une certaine supériorité, que lui confère ce compagnonnage des lettres, il multiplie les références à l'homme de Latche, utilisant son «coup d'Etat permanent» afin de critiquer le «mensonge permanent» de François Hollande. Car le député de l'Eure en est persuadé : on ne peut pas espérer conduire la France sans maîtriser les forces de l'esprit.

BAYROU, LE TERROIR POUR HÉRITAGE
THIBAUT PÉZERAT

Il y a quelques semaines, nous appelions François Bayrou pour savoir s'il comptait toujours être président de la République. Après trois échecs à la présidentielle, n'est-il pas temps de raccrocher les gants ? «François Mitterrand s'est présenté quatre fois...» nous objecte-t-il alors. C'est vrai. Les deux hommes partagent cette foi inextinguible en leur destin. Comme l'ancien président, Bayrou croit davantage aux forces de l'esprit qu'aux églises. Ses portraits passent souvent un peu vite sur son engagement de jeunesse dans la communauté de Lanza del Vasto. D'où l'ironie ou l'incompréhension de ses contemporains. «Il est convaincu qu'il a été touché par le doigt de Dieu pour devenir président», dit de lui Simone Veil, qui ne le porte guère dans son coeur. C'est en 2007, avec 18,57 % des suffrages, que Bayrou s'approche au plus près de son objectif : cette année-là, il se dresse contre les «puissances médiatiques» déterminées à organiser un affrontement Sarkozy-Royal. Le discours est radical et fait de l'ancien ministre le troisième homme de l'élection. Avec ses «puissances médiatiques», il n'est pas loin des «puissances de l'argent» dénoncées par François Mitterrand lors du congrès d'Epinay, en 1971. Justement, le congrès d'Epinay du centre, Bayrou en rêve depuis sa nomination par Giscard au secrétariat général de l'UDF, en 1991. La plume est acerbe chez les deux hommes lorsqu'il s'agit de contrer le pouvoir en place. «Il y a en France des ministres. On murmure même qu'il y a encore un Premier ministre. Mais il n'y a plus de gouvernement. Seul le président de la République ordonne et décide.»

Du Bayrou pendant le quinquennat Sarkozy ? Non, du Mitterrand sous de Gaulle, en 1964, dans le Coup d'Etat permanent.

Président tout-puissant, Parlement bâillonné, Etat policier, tout y passe : Mitterrand incarne alors la seule opposition fracassante à l'homme de la Ve. Comment ne pas percevoir un écho à l'essai mitterrandien lorsque Bayrou publie, en 2009, son brûlot antisarkoziste, Abus de pouvoir ? Jusque dans ses slogans de campagne, l'inspiration est là. L'actuel maire de Pau faisait inscrire «La France de toutes nos forces» sur ses affiches en 2007. A peine quelques mots de différence avec le slogan de campagne de Mitterrand en 1981 : «De toutes les forces de la France». Nul besoin de reprendre l'affiche «La force tranquille», Bayrou campe dans son terroir béarnais. Qui ne l'a vu au volant de son tracteur dans son exploitation agricole ? L'enracinement ici n'est pas une pose mais une nécessité. Les lettres et le terroir n'ont pas suffi à rapprocher les deux hommes. Peu rancunier, Bayrou a pour habitude de se raccrocher à cette confidence de l'ancien président faite à Michel Charasse : «Suivez François Bayrou. Il sera président de la République.»

La même que pour Michel Noir, François Léotard et Nicolas Sarkozy.

JEAN-LUC MÉLENCHON, L'ÉTAT DE SÉDUCTION PERMANENT
Marc Endeweld

Au panthéon de Mélenchon, François Mitterrand figure en bonne place aux côtés de Jaurès, Blum ou Chavez. Tous deux hommes de l'écrit et tribuns exemplaires, l'ex-président et l'ancien responsable socialiste ont en commun de regarder vers l'horizon lointain. L'avenir comme terre promise de la gauche pour l'ancien député de la Nièvre comme pour le natif de Tanger. Mais l'histoire comme pilier, cette «appartenance à une longue chaîne du temps», comme le rappelait Mélenchon, invité à discourir sur l'ex-président à l'Assemblée nationale, en 2001. Pour lui, Mitterrand n'est pas qu'un héritage, un personnage du roman national. Mieux, selon Mélenchon, ce François-là est avant tout une exigence : «Tâchons de faire aussi bien que François Mitterrand et même mieux !» s'exclamait le leader du Front de gauche, trente ans après la victoire de 1981. «Il faut suivre son conseil. Il faut faire autre chose autrement. "Nous voici à pied d'oeuvre"», disait-il. Fidèle Mélenchon. «Il s'agit d'être à la hauteur», confiait-il déjà à des journalistes, quelques jours après la mort de Mitterrand, en 1996. Mélenchon-Mitterrand, un modèle donc, presque une mission, mais aussi une proximité. Car, à la fin de son règne, Mitterrand s'était entiché du fougueux sénateur de l'Essonne, l'invitant à Latche, parmi ses plus proches. «François Mitterrand, c'était plutôt mon grand-père que mon père, lâchait Mélenchon pendant l'émission «Le divan», de Marc-Olivier Fogiel. D'abord, un peu d'humilité. Qui j'étais, moi ? Je viens d'en bas, moi ! Je rencontre le président de mon pays qui me fait l'honneur, l'amitié de me recevoir, de me parler, de m'associer à quelques-uns de ses complots.»

Pour l'affectif Mélenchon, Mitterrand constitue donc une figure familiale. Mais il faut entendre cette famille comme la métaphore de cette gauche que «le vieux», comme il le surnommait, avait réussi à rassembler pour accéder au pouvoir. De Mitterrand, Mélenchon, qui refuse de le peindre en social-traître, retient ainsi le coup d'Etat permanent (avec sa proposition de VIe République), le programme commun (avec l'écosocialisme) et l'union de la gauche. «Il a uni la gauche : les communistes, les socialistes, les écologistes. C'est ce que l'on fait au Front de gauche, non ?» se réjouissait Mélenchon, avant la présidentielle de 2012. Avant de pousser un soupir ? Car l'actuel leader du Front de gauche, comme ses anciens camarades Dray et Lienemann, sont nostalgiques d'une époque où les forces sociales étaient encore en mouvement, vers le progrès... et le pouvoir. Nostalgique car son dessein de «l'autre gauche» qui devait se substituer à un PS moribond ne s'est pas concrétisé. «Je me suis modestement faufilé dans le récit», soufflait-il à propos de son panthéon. Depuis 2012, Mélenchon n'a eu de cesse de montrer son ambition d'homme d'Etat. C'est en cela qu'il est l'un des plus mitterrandiens de sa génération, et de sa nouvelle famille de la gauche de la gauche, se proposant un temps de devenir un Premier ministre de recours pour un François Hollande obligé de «prendre une autre direction», ou assurant être en capacité de «gouverner le pays».

«Nous sommes disponibles», aime-t-il répéter. Ce qui fascine Mélenchon dans Mitterrand, c'est son destin national. Sa grandeur présidentielle. Mais aussi sa capacité à transcender la politique à travers une mystique personnelle, un état de séduction permanent, et un attachement à l'universalisme, seul outil permettant de s'arracher à sa condition. Trente ans après 1981, Mélenchon continuait à louer, chez Mitterrand, «une magie séductrice étrange : cette délicatesse combinée à l'attirance vibrante pour son savoir-faire politique».


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