mercredi 13 mai 2015

Faut-il avoir peur de la Banque asiatique d'investissement?

Malgré l'opposition officielle de l'Amérique et du Japon, 57 pays ont choisi de participer à la fondation de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (BAII), créée à l'initiative de la Chine. Selon l'ancien secrétaire d'Etat au Trésor américain Larry Summers, on se souviendra peut-être de ce moment comme celui où les Etats-Unis ont perdu leur rôle de garant du système économique mondial. En fait, l'avenir dépendra essentiellement du mode de fonction-nement de la BAII, dont décideront ses principaux actionnaires.

A l'image des Etats-Unis au sein de la Banque mondiale ou de l'Europe au sein du Fonds monétaire international (FMI), la Chine aura une voix prépondérante au sein de la BAII. Elle aura donc un rôle plus important sur la scène internationale - une évolution que le reste de la planète, notamment les grandes puissances, devrait accueillir favorablement. Car le leadership mondial n'est pas seulement affaire de puissance, il traduit aussi la répartition des biens communs à l'échelle de la planète.

A l'issue de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis furent non seulement la première puissance militaire et économique mondiale, mais aussi le principal créateur de biens communs à travers le plan Marshall et leur participation financière à l'ONU et aux institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale). Aujourd'hui, en raison de leur endettement massif, ils sont contraints de limiter ce financement. Par chance, la Chine a la volonté et la capacité de combler ce manque. Elle aurait pu le faire dans le cadre des institutions de Bretton Woods si la répartition des droits de vote n'y était pas si inéquitable - au profit de l'Europe et des Etats-Unis, qui disposent toujours du droit de veto.

" La nouvelle Route de la soie "La Chine ne dispose que de 3,8 % des droits de vote au sein du FMI et de la Banque mondiale, alors qu'elle représente plus de 12 % du PIB mondial. La France et le Royaume-Uni, dont la taille est trois fois inférieure à celle de la Chine, bénéficient chacun de 4,3 % des droits de vote. Les pays majoritaires refusant d'accorder à la Chine un pourcentage correspondant à sa puissance économique, elle n'a guère eu d'autre choix que de créer sa propre institution.

La BAII a ses propres objectifs, qui ne sont pas exactement ceux de la Banque mondiale. Plus précisément, elle joue un rôle crucial dans le projet chinois de " nouvelle route de la Soie " qui relie la Chine à l'Europe par voie terrestre, et par voie maritime via l'Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient.

Alors que l'Amérique " pivote " vers l'Asie, la Chine " pivote " vers l'Occident. En plus de sa contribution initiale de 50 milliards de dollars en faveur de la BAII, la Chine s'apprête à investir 40 milliards de dollars dans la route de la Soie, 32 milliards de dollars dans la Banque de développement de Chine et 30 milliards de dollars dans la Banque d'export-import de Chine.

Selon les estimations de HSBC, le projet de route de la Soie coûterait 232 milliards de dollars - presque les deux tiers du bilan de la Banque mondiale en 2014. Le capital de 100 milliards de dollars de la BAII aura donc un rôle central dans ce projet.

La demande mondiale de financement des infrastructures est énorme. Rien que pour l'Asie, elle devrait s'élever à 8 000 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, selon la Banque asiatique de développement. Il n'y a aucune raison de considérer que la BAII représente une menace pour les autres organismes prêteurs multilatéraux.

Néanmoins, en raison de sa stratégie de prêt originale et probablement plus efficace que la leur, la BAII sera en concurrence avec eux. Le fonctionnement de la BAII ressemblera probablement à celui de la Banque mondiale dans les années 1960, lorsque des spécialistes du développement ayant une expérience de terrain formaient l'ossature de son personnel et fixaient des conditions de prêts acceptables pour les bénéficiaires.

A la fin des années 1980, la Banque mondiale a commencé à mettre en oeuvre le consensus de Washington en encourageant la libéralisation économique et politique, sans prendre suffisamment en compte les réalités locales. Il en a résulté des prêts sous conditions - décidées essentiellement par des bureaucrates - que beaucoup de pays emprunteurs ne pouvaient remplir.

Le véritable critère de réussite de la BAII sera son efficacité. Les conseils d'administration à plein temps du FMI et de la Banque mondiale nuisent à leur efficacité, car ils s'enlisent dans des détails de gestion et accordent des prêts sous des conditions souvent contradictoires.

Si les dirigeants occidentaux croient réellement à la concurrence, à l'innovation et à la méritocratie, ils doivent soutenir la BAII.

par Andrew Sheng et Xiao Geng
Le Monde - Économie et Entreprise, jeudi 14 mai 2015, p. SCQ7

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