lundi 25 mai 2015

Le Japon et la Corée s'affrontent à l'OMC - Philippe Mesmer

Tokyo reproche à Séoul de restreindre les achats de produits issus de la région de Fukushima.


Les produits alimentaires originaires du Tohoku (le nord-est du Japon), notamment du département de Fukushima, empoisonnent les relations de l'Archipel avec ses voisins. Le 21 mai, Tokyo a protesté contre la Corée du Sud auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Pour les autorités japonaises, certaines restrictions aux importations de ces produits d'une région qui avait été ravagée, en mars 2011, par un tsunami et surtout la pire catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl, enfreignent les règles sanitaires de l'OMC.

En septembre 2013, la Corée du Sud, avec laquelle le Japon entretient des relations tendues, a renforcé les restrictions sur l'importation de ces produits, imposées en 2011. En cas de détection d'un niveau de césium supérieur aux normes, elle exige désormais un contrôle de la présence éventuelle de plutonium et de strontium. Cette mesure concerne tous les produits de la mer japonais.

Le Japon se défend en affirmant que les niveaux de contamination ont beaucoup baissé dans les produits alimentaires depuis Fukushima. Il rappelle également que certains pays, comme Singapour ou également l'Australie, ont supprimé ou allégé les restrictions aux importations de ces produits.

Séoul a regretté la plainte déposée par Tokyo. " Nous allons montrer à l'OMC que la sécurité de la population coréenne est aussi importante que la liberté du commerce ", a fait savoir le ministère de l'industrie et du commerce.

Les deux pays ont soixante jours pour trouver un terrain d'entente. Sinon, le Japon pourra demander un arbitrage de l'OMC. A Séoul, on craint de voir Tokyo prendre des mesures de rétorsion, en augmentant par exemple des taxes sur les produits coréens.

FraudeLe Japon fait également pression sur Taïwan, qui a renforcé le 15 mai les contrôles sur les importations de produits alimentaires nippons.

Depuis mars 2011, Taipei interdit les produits de Fukushima et de cinq départements voisins. En mars 2015, les autorités sanitaires du pays ont découvert que 294 produits avaient fait l'objet de falsification d'étiquetage.

Ainsi une sauce soja importée avec la mention " produit de Tokyo " venait en réalité d'un département " interdit ". Dans le même temps, 101 des 294 produits présentaient des traces de contamination radioactive, a fait savoir le conseil taïwanais de l'énergie atomique.

L'ampleur de la fraude a incité Taïwan à imposer la fourniture d'un certificat d'origine pour l'ensemble des produits de l'Archipel. Certains, comme les produits de la mer ou le thé des départements proches de Fukushima, devront également avoir un certificat de contrôle des radiations. " Ces mesures sont nécessaires pour protéger les consommateurs ", a précisé le ministère de la santé et des affaires sociales.

En 2014, Taïwan a acheté pour 83,7 milliards de yens (624 millions d'euros) de produits alimentaires japonais. Il en est le troisième importateur, derrière Hongkong et les Etats-Unis.

Le président taïwanais, Ma Ying-jeou, a souligné que ces restrictions étaient temporaires. Mais Tokyo a vivement réagi. " Il s'agit de mesures unilatérales, sans fondement scientifique ", a jugé le ministre de l'agriculture Yoshimasa Hayashi, avant d'évoquer la possibilité d'une plainte auprès de l'OMC.

La Chine, qui interdit totalement les importations de produits issus de dix départements japonais, dont ceux de Fukushima et Tokyo, n'est pour l'instant pas ciblée par une éventuelle plainte japonaise.

Une cinquantaine de pays ont imposé des restrictions aux importations de produits alimentaires nippons dès le début de la catastrophe nucléaire. Quatorze les ont levées et le gouvernement nippon fait tout pour que d'autres suivent.

L'Archipel veut doubler d'ici à 2020 les exportations agricoles, qui ont crû de 11,1 % en 2014. Il fait tout pour relancer l'activité économique du Tohoku et de Fukushima, très dépendante de l'agriculture et de la pêche.

Au Japon même, le gouvernement multiplie les campagnes censées prouver l'innocuité des produits de Fukushima, avec l'appui d'entreprises. La compagnie aérienne ANA utilise, par exemple, des aliments de Fukushima pour ses plateaux-repas.

Philippe Mesmer
Le Monde - Économie et Entreprise, lundi 25 mai 2015, p. SCQ4

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