lundi 12 novembre 2007

Le défi de Hu Jintao - Jean-Luc Domenach

l'Humanité - l'Humanité hebdo, samedi, 27 octobre 2007, p. 8

La Chine actuelle ne peut prétendre réaliser le véritable capitalisme, d'abord car elle n'en a pas les moyens humains, culturels et juridiques et ensuite parce que son parti dirigeant ne le veut pas. En lieu et place, ce qu'elle peut et veut réaliser, c'est une forme bricolée de capitalisme, encadrée par le pouvoir central et contrôlée par les autorités locales, elles-mêmes souvent appuyées sur de véritables mafias.

De la même façon, elle ne peut ni désirer, ni réaliser la « société harmonieuse » que ses dirigeants mettent en avant, car ses cadres et son peuple sont en réalité prêts à payer le prix social dont la majorité d'entre eux profitent : l'inégalité et les luttes d'intérêts, voire de classes - contrairement à ce que l'on dit en Occident, les protestations sont très minoritaires.

Ce que le concept de « société harmonieuse » signifie plutôt, c'est quelque chose de plus modeste et d'ailleurs conforme à la grammaire chinoise : une société « plus harmonieuse ». En clair, il s'agit seulement, mais c'est déjà beaucoup, de rendre les inégalités et autres violences sociales compatibles avec l'équilibre nécessaire au maintien d'une croissance non seulement forte mais solide.

Deuxième précision, donc : quand monsieur Hu Jintao parle de « société harmonieuse », il parle en fait autant d'économie que de société, et il a bien raison ! Ce qu'il veut dire, c'est qu'il faut rétablir un minimum d'harmonie dans la Chine d'aujourd'hui pour éviter que la surchauffe chinoise conduise à l'effondrement. Mais quelle harmonie ? L'harmonie sociale, certes, mais dans le sens de politiques sociales qui permettent une deuxième harmonie - la naissance d'un marché de consommation contrebalançant les exportations - et même une troisième : l'harmonie entre quantité et qualité de la croissance, et enfin une quatrième : l'harmonie avec la nature, c'est-à-dire la fin des gaspillages de matières premières et le début de la protection de l'environnement. En dernière analyse, il ne s'agit de rien de moins pour le dirigeant chinois que de rétablir une harmonie complètement oubliée : celle du présent et du futur. Et peut-être une autre à tonalité plus idéologique et nationale : celle du productivisme avec la morale confucéenne...

Ce programme est totalement révolutionnaire dans une Chine jusqu'à présent prisonnière des mafias de l'exportation auxquelles, après tout, elle doit son triomphe. Mais c'est probablement le seul qui puisse repousser la catastrophe financière et faire progresser le pays vers une modernité plus réelle, plus maîtrisée et plus durable. Toute la question est de savoir si ce programme est vraiment admissible pour un appareil devenu ploutocratique. De ce point de vue, le dix-septième congrès n'a pas donné de réponse définitive : en effet, le pouvoir de Hu Jintao a progressé sans être assuré d'une majorité solide. Et la véritable question est celle de savoir si les pouvoirs locaux et la population citadine accepteront que l'économie chinoise progresse plus durablement, mais moins vite. Là est le pari lucide et courageux d'un dirigeant qui n'est guère démocrate, mais combine lucidement la défense de son régime et de sa patrie.


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