Depuis quelques mois, une fébrilité toute particulière a électrisé le Parti communiste chinois : ses 73 millions de membres se préparaient au 17e Congrès du parti, qui commençait lundi. Pour le commun des mortels, ce congrès, qui a lieu tous les cinq ans, n'a rien de spectaculaire. Plus de 2200 délégués en provenance de tous les échelons du parti, assis bien droit sur leur chaise, tourneront imperturbablement les pages de cahiers qui contiennent tous les discours qu'on prononcera devant eux, des jours durant. Le visage placide, ils entérineront sans débat, avec de fortes majorités, des décisions qui ont été prises depuis des mois.
Les apparences sont toutefois trompeuses. En surface, les annonces pourront paraître évidentes, alambiquées ou propagandistes. En profondeur, les décisions de ce congrès façonneront les politiques de la Chine au cours des prochaines années. Elles auront un grand impact sur le reste du monde, ne serait-ce qu'en raison des orientations économiques des nouveaux dirigeants, qui devraient être nommés.
En surface, Hu Jintao devrait être reconduit comme secrétaire général du PCC. Il fera probablement modifier la constitution du parti pour y inscrire sa théorie «du développement scientifique». Sans grande conséquence réelle, le principal intérêt de cette théorie est de placer symboliquement Hu parmi les «grands théoriciens» du parti: Mao, Deng et Jiang. Quelques réformes seront proposées pour accroître la compétence des cadres, lutter contre la corruption, protéger l'environnement ou améliorer la présence internationale de la Chine. On discutera aussi de démocratisation. Mais sous ce dernier vocable, il faut surtout comprendre la volonté de conférer une certaine indépendance aux tribunaux et le désir d'encourager les citoyens à dénoncer les abus des fonctionnaires.
En profondeur, le véritable enjeu est celui de la lutte pour conquérir le pouvoir à l'intérieur du parti. Deux factions principales s'affrontent. La première faction, réformiste, dont plusieurs leaders proviennent de la Ligue des jeunesses communistes, est menée par des hommes comme le président Hu Jintao et son premier ministre, Wen Jiabao. La seconde faction est conservatrice. Plusieurs de ses dirigeants sont issus du sérail politique de Shanghaï. On compte parmi eux l'ex-président de la Chine, Jiang Zemin, ainsi que la majorité des membres du Comité permanent du Bureau politique du PCC, l'organisme le plus puissant de la Chine.
La faction réformiste semble préoccupée par les problèmes sociaux et environnementaux provoqués par la croissance économique effrénée. Elle serait en faveur d'une consolidation de l'économie, quitte à la ralentir, et prônerait aussi quelques timides avancées démocratiques. La faction conservatrice voudrait plutôt poursuivre l'expansion économique tous azimuts. On chuchote que la faction réformiste serait même prête à réviser le verdict condamnant les événements de Tiananmen en 1989, ce qui horripile plusieurs leaders de la faction conservatrice qui ont été impliqués de près dans les massacres.
Or le Comité permanent du Bureau politique du parti est en pleine ébullition. Les conservateurs seraient en train d'y perdre leur majorité. Sur les neuf membres que comportait le comité jusqu'à récemment, seuls le président, son premier ministre et deux conservateurs y garderaient une place. Les autres, tous associés à la faction conservatrice parce qu'ils seraient trop âgés ou trop malades, seraient remplacés par des membres... de la faction réformiste.
Il faudra aussi surveiller la montée de nouveaux dirigeants potentiels. Nés autour des années 60, ces nouveaux dirigeants, dits «de la cinquième génération», ont bénéficié des politiques de réforme du début des années 80. Beaucoup ont étudié dans les meilleures universités, parlent couramment des langues étrangères et ont travaillé dans les plus grandes entreprises internationales. Ils connaissent intimement la politique, la culture et l'économie des grandes puissances. Bref, ils sont de véritables citoyens du monde.
Le XVIIe Congrès sera l'occasion de placer des dirigeants de la cinquième génération à divers postes importants où ils seront sous observation et en concurrence les uns contre les autres. Les plus talentueux ou, pour parler plus justement, ceux qui auront établi les meilleurs réseaux de contacts au sein du parti seront par la suite promus aux plus hautes fonctions lors du XVIIIe Congrès du parti, en 2012.
L'opacité du PCC et ses querelles byzantines rendent très difficiles les prédictions sur l'issue du congrès, mais si la montée des réformistes se confirme, elle mettra fin à près de 15 années de domination conservatrice. Plus important encore, la faction réformiste pourra plus facilement soutenir les dirigeants réformistes de la cinquième génération et ainsi s'assurer d'une influence durable sur les destinées du pays.
Loïc Tassé : Politologue et spécialiste de la Chine, l'auteur enseigne au département de science politique de l'Université de Montréal.
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