La crise des crédits immobiliers américains - les subprimes - ne menace pas seulement de récession la première économie mondiale. Elle redessine aussi en profondeur le paysage bancaire des Etats-Unis, avec l'arrivée massive de capitaux en provenance d'Asie ou du Moyen-Orient volant au secours des établissements les plus prestigieux du pays, en pleine déroute.
Mercredi 19 décembre, la China Investment Corp (CIC), le fonds d'investissement de l'Etat chinois, doté de 200 milliards de dollars (149 milliards d'euros), a annoncé une prise de participation de 5 milliards dans la banque Morgan Stanley. Il y a deux semaines, c'est le fonds souverain de l'émirat d'Abu Dhabi qui est entré dans le capital de la première banque américaine, Citigroup, confrontée à des pertes colossales sur le marché des crédits hypothécaires. Ce déferlement de capitaux venus des pays émergents pour sauver Wall Street survient, paradoxalement, au moment même où les tentations protectionnistes se font plus vives aux Etats-Unis. En particulier, l'angoisse monte vis-à-vis d'une Chine de plus en plus puissante et agressive. Dans le dernier numéro de la revue Foreign Affairs, le secrétaire adjoint au Trésor, Robert Kimmitt, pointe les risques liés aux investissements des fonds souverains pour la sécurité nationale. La CIC achètera des obligations convertibles qui lui permettront à terme de devenir propriétaire de 9,9 % de Morgan Stanley. Dans l'intervalle, ces titres lui offriront " un rendement incroyable de 9 % par an ", précise un analyste. " Ces conditions très favorables trahissent une réelle détresse des banques ", estime toutefois l'économiste Paul Jorion. De fait, l'arrivée de CIC vise à recapitaliser Morgan Stanley, dévastée comme la plupart de ses homologues par la crise financière qui sévit depuis cet été. L'effondrement du marché des subprimes aux Etats-Unis a obligé la banque à passer par pertes et profits 9,4 milliards de dollars d'actifs fin 2007. Un montant impressionnant qui a fait plonger ses comptes dans le rouge au quatrième trimestre et contribué à réduire de moitié ses bénéfices annuels, à 3,2 milliards cette année. Cette contre-performance alimentait mercredi d'insistantes rumeurs de départ de son PDG, John Mack. L'arrivée du fonds d'Etat chinois a été saluée par le marché. A Wall Street, l'action Morgan Stanley, en chute libre depuis le mois d'août, a fini mercredi en hausse de 4,18 %. Jusqu'où pourra aller l'intrusion des fonds souverains, et chinois en particulier, dans le capitalisme américain ? Déjà, en mai, la CIC avait fait sensation en s'invitant dans le capital du fonds d'investissement Blackstone, un acteur majeur et stratégique de la finance aux Etats-Unis. INOFFENSIF POUR LE MOMENT Selon les analystes de la Deutsche Bank, la fortune des fonds souverains, alimentée par les pétrodollars et les revenus générés par une croissance économique explosive, pourrait atteindre 10 000 milliards de dollars d'ici dix ans. Presque assez pour racheter les 500 plus grandes sociétés américaines, dont la capitalisation avoisine 12 000 milliards. Une puissance qui a de quoi faire peur. Aujourd'hui, toutefois, l'arrivée de ces fonds est difficile à critiquer dans la mesure où ils apparaissent comme des sauveurs. A terme, elle pourrait aussi permettre aux banques américaines de s'implanter plus facilement dans les pays émergents et de profiter de la modernisation attendue de leurs systèmes financiers. En outre, les intentions des fonds semblent pour le moment inoffensives et purement pécuniaires. Morgan Stanley a d'ailleurs précisé que le fonds chinois jouerait le rôle d'investisseur passif. " Jusqu'ici il s'agit de participations sous les 10 %, sans réel pouvoir ", indique M. Jorion. " Mais la même situation se répétera en 2008, voire en 2009, présage-t-il. Quelle sera alors la participation maximale admissible de la Chine et des autres fonds d'Etat ? La question sera douloureuse car l'argent frais sera indispensable pour maintenir la solvabilité de certaines banques américaines. " Claire Gatinois © 2007 SA Le Monde. Tous droits réservés.