Derrière l’image de la paisible grand-mère se cache une redoutable activiste. Actionnaire minoritaire de Mattel, la juriste demande au géant américain du jouet d’améliorer les conditions de travail des ouvriers chinois ou mexicains. "A chaque assemblée générale, en mai à Los Angeles, Marie-Claude Hessler prend la parole. Pendant ses trois minutes réglementaires, elle évoque, devant les dirigeants, les dérives des sous-traitants chinois, demande des comptes sur l'application du code de bonne conduite dont s'est dotée la société."
Ce n'est qu'une mamie de 66 ans, fragile et vulnérable. Le numéro un mondial du jouet ne devrait pas la craindre. Que pèse Marie-Claude Hessler face à Mattel ? Pas grand-chose. Ses 250 actions (pour une valeur de 2 000 dollars) ne devraient pas intimider la multinationale qui a réalisé 592,9 millions de dollars (environ 400 millions d'euros) de profits en 2006 pour un chiffre d'affaires de 5,6 milliards de dollars.
Et pourtant. Depuis dix ans, la petite actionnaire harcèle sans relâche la compagnie américaine. Un travail au corps qui irrite l'entreprise. A chaque assemblée générale, en mai à Los Angeles, Marie-Claude Hessler prend la parole. Pendant ses trois minutes réglementaires, elle évoque, devant les dirigeants, les dérives des sous-traitants chinois, demande des comptes sur l'application du code de bonne conduite dont s'est dotée la société. Et même si Mattel ne veut rien entendre, ses résolutions sont soumises au vote de l'ensemble des actionnaires. Marie-Claude Hessler obtient entre 4 % et 12 % des voix, selon les années. Une influence grandissante qui a poussé, en 2003, le fonds de pension de l'Etat de New York à exiger des explications.
Cet été, en l'espace de quatre mois, la société a retiré de la vente plus de 21 millions de jouets défectueux. " C'est très bien, se réjouit-elle. Cela permet de parler des conditions de travail intolérables des ouvrières. " Et elle ne se gêne pas pour le faire savoir à la radio et sur les plateaux des télévisions, avec sa voix presque rieuse. " Savez-vous que l'ouvrière chinoise est payée 0,19 cent pour chaque "guitare Barbie karaoké" fabriquée ? " Le jouet, lui, est vendu 39,99 dollars. La main-d'oeuvre représente un peu moins de... 0,5 % du prix. " Pourquoi Mattel ne double-t-elle pas le salaire de l'ouvrière ? Cela ne leur coûterait rien ! " s'indigne-t-elle.
C'est le hasard qui a conduit à la rencontre entre Mattel et cette juriste d'une clarté redoutable, originaire de Suisse. En 1996, elle devient bénévole à Réseau-Solidarité, association qui agit pour la défense des droits économiques et sociaux. Sa première mission : écrire une lettre au PDG de Mattel France pour obtenir des explications après un incendie mortel dans une usine en Chine. " J'ai reçu une lettre type, se scandalise-t-elle encore. Ça m'a énervée. Leur arrogance m'a poussée à m'impliquer. "
Elle découvre des conditions de travail épouvantables, achète dans la foulée 50 actions de Mattel, qui lui permettent d'assister aux assemblées générales. Elle s'envole plusieurs fois pour la Chine ou le Mexique, à la rencontre de ces ouvrières. Elle tente de rentrer dans les usines, parfois gardées par des hommes armés. " On ne se rend pas compte de ce qu'elles subissent ", dit-elle.
" Marie-Claude a le sens de la justice ", insiste fièrement son époux, Pierre Hessler. Une disposition facilitée par son père, André Grisel. Magistrat de renom, il a été président du tribunal fédéral, la plus haute juridiction de la Confédération helvétique. Née dans un milieu aisé, Marie-Claude a reçu une éducation stricte, mais généreuse, dit-elle. Des week-ends à Paris à flâner dans les expositions, des soirées consacrées à la lecture. " Mes parents ne voulaient pas que je fasse du droit, mais que je devienne enseignante ", se souvient-elle. Mais après son bac et un séjour en Grande-Bretagne à enseigner le français dans un internat, elle réalise qu'elle ne se voit pas dans ce métier : " C'est trop répétitif. " Elle choisit donc le droit. En 1964, licence en poche, elle travaille à l'administration fédérale aux contentieux des rentes de vieillesse. Elle consacre son temps libre à une association de défense des consommateurs. " Cela a été une bonne chose de faire des études de droit, j'ai pu rencontrer mon mari ! " sourit-elle.
Le couple vient de fêter ses noces d'émeraude : quarante ans de mariage. Pierre Hessler a été le numéro deux d'IBM Europe. Il est aujourd'hui membre du conseil d'administration de Capgemini, vice-président de conseil de surveillance du Bureau Veritas. Sa carrière l'a conduit à vivre avec sa famille (deux enfants) à Paris ou à New York. " Ma femme était condamnée à l'oisiveté ", explique M. Hessler. Etrangère, elle n'avait pas le droit de travailler.
En France, elle reprend des études universitaires d'anglais. " Pour m'amuser. " Elle parle aussi l'allemand, l'italien, l'espagnol et vient de se mettre au chinois, toujours pour s'amuser. Elle entre en 1988 à Amnesty International. Onze ans après son départ, certains membres de l'association se souviennent encore d'elle. " Et pourtant, on en a vu passer des bénévoles, raconte Jeannine Thoral, qui suivait la Grèce et Chypre dans le cadre de l'association. Elle a été d'une aide précieuse, impliquée et consciencieuse. C'était assez rare pour une bénévole. "
Marie-Claude Hessler était chargée de la commission juridique d'Amnesty. Son rôle : créer un réseau de juristes et d'avocats afin qu'ils prennent conscience que certains de leurs confrères sont emprisonnés dans d'autres pays. " Elle a donné une impulsion à ce réseau ", explique Geneviève Serieyx, qui a été à la tête des relations extérieures. Elle a d'ailleurs réalisé une cassette vidéo intitulée " Des juristes pour les droits de l'homme ", avec comme intervenants Roland Kessous, avocat général près la Cour de cassation, ou Mario Stasi, ancien bâtonnier de Paris. Tous ses anciens collègues saluent ses engagements " complètement désintéressés ". " Elle a l'argent pour mener des combats, et le mérite de les mener ", résume son mari.
C'est également ce que pense sa fille, Laurence Girard. Cette ancienne d'HEC est tête de liste socialiste du 7e arrondissement de Paris. Elle va affronter Rachida Dati, la garde des sceaux. C'est sa mère qui, en 2001, lorsque le parti cherchait des candidats de la société civile pour les élections municipales, a proposé son nom. Marie-Claude Hessler se définit comme une militante de base du PS du 7e arrondissement, depuis qu'elle a obtenu la nationalité française en 1998.
Elle aime s'amuser à la Game Boy, une console portable. Son dernier plaisir est sur son Palm. Un jeu de réflexion : " Je suis déjà au niveau 8 et j'ai dépassé les 400 000 points. C'est pas mal, non ? " Pour Noël, elle a reçu de son mari un puzzle fait à la scie à découper, fabriqué en Allemagne. A ses petits-enfants, elle évite d'offrir des jouets " made in China ". Eux se plaignent parfois que les jouets français soient " trop moches ".
Mustapha Kessous
© 2007 SA Le Monde. Tous droits réservés.
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Ce n'est qu'une mamie de 66 ans, fragile et vulnérable. Le numéro un mondial du jouet ne devrait pas la craindre. Que pèse Marie-Claude Hessler face à Mattel ? Pas grand-chose. Ses 250 actions (pour une valeur de 2 000 dollars) ne devraient pas intimider la multinationale qui a réalisé 592,9 millions de dollars (environ 400 millions d'euros) de profits en 2006 pour un chiffre d'affaires de 5,6 milliards de dollars.
Et pourtant. Depuis dix ans, la petite actionnaire harcèle sans relâche la compagnie américaine. Un travail au corps qui irrite l'entreprise. A chaque assemblée générale, en mai à Los Angeles, Marie-Claude Hessler prend la parole. Pendant ses trois minutes réglementaires, elle évoque, devant les dirigeants, les dérives des sous-traitants chinois, demande des comptes sur l'application du code de bonne conduite dont s'est dotée la société. Et même si Mattel ne veut rien entendre, ses résolutions sont soumises au vote de l'ensemble des actionnaires. Marie-Claude Hessler obtient entre 4 % et 12 % des voix, selon les années. Une influence grandissante qui a poussé, en 2003, le fonds de pension de l'Etat de New York à exiger des explications.
Cet été, en l'espace de quatre mois, la société a retiré de la vente plus de 21 millions de jouets défectueux. " C'est très bien, se réjouit-elle. Cela permet de parler des conditions de travail intolérables des ouvrières. " Et elle ne se gêne pas pour le faire savoir à la radio et sur les plateaux des télévisions, avec sa voix presque rieuse. " Savez-vous que l'ouvrière chinoise est payée 0,19 cent pour chaque "guitare Barbie karaoké" fabriquée ? " Le jouet, lui, est vendu 39,99 dollars. La main-d'oeuvre représente un peu moins de... 0,5 % du prix. " Pourquoi Mattel ne double-t-elle pas le salaire de l'ouvrière ? Cela ne leur coûterait rien ! " s'indigne-t-elle.
C'est le hasard qui a conduit à la rencontre entre Mattel et cette juriste d'une clarté redoutable, originaire de Suisse. En 1996, elle devient bénévole à Réseau-Solidarité, association qui agit pour la défense des droits économiques et sociaux. Sa première mission : écrire une lettre au PDG de Mattel France pour obtenir des explications après un incendie mortel dans une usine en Chine. " J'ai reçu une lettre type, se scandalise-t-elle encore. Ça m'a énervée. Leur arrogance m'a poussée à m'impliquer. "
Elle découvre des conditions de travail épouvantables, achète dans la foulée 50 actions de Mattel, qui lui permettent d'assister aux assemblées générales. Elle s'envole plusieurs fois pour la Chine ou le Mexique, à la rencontre de ces ouvrières. Elle tente de rentrer dans les usines, parfois gardées par des hommes armés. " On ne se rend pas compte de ce qu'elles subissent ", dit-elle.
" Marie-Claude a le sens de la justice ", insiste fièrement son époux, Pierre Hessler. Une disposition facilitée par son père, André Grisel. Magistrat de renom, il a été président du tribunal fédéral, la plus haute juridiction de la Confédération helvétique. Née dans un milieu aisé, Marie-Claude a reçu une éducation stricte, mais généreuse, dit-elle. Des week-ends à Paris à flâner dans les expositions, des soirées consacrées à la lecture. " Mes parents ne voulaient pas que je fasse du droit, mais que je devienne enseignante ", se souvient-elle. Mais après son bac et un séjour en Grande-Bretagne à enseigner le français dans un internat, elle réalise qu'elle ne se voit pas dans ce métier : " C'est trop répétitif. " Elle choisit donc le droit. En 1964, licence en poche, elle travaille à l'administration fédérale aux contentieux des rentes de vieillesse. Elle consacre son temps libre à une association de défense des consommateurs. " Cela a été une bonne chose de faire des études de droit, j'ai pu rencontrer mon mari ! " sourit-elle.
Le couple vient de fêter ses noces d'émeraude : quarante ans de mariage. Pierre Hessler a été le numéro deux d'IBM Europe. Il est aujourd'hui membre du conseil d'administration de Capgemini, vice-président de conseil de surveillance du Bureau Veritas. Sa carrière l'a conduit à vivre avec sa famille (deux enfants) à Paris ou à New York. " Ma femme était condamnée à l'oisiveté ", explique M. Hessler. Etrangère, elle n'avait pas le droit de travailler.
En France, elle reprend des études universitaires d'anglais. " Pour m'amuser. " Elle parle aussi l'allemand, l'italien, l'espagnol et vient de se mettre au chinois, toujours pour s'amuser. Elle entre en 1988 à Amnesty International. Onze ans après son départ, certains membres de l'association se souviennent encore d'elle. " Et pourtant, on en a vu passer des bénévoles, raconte Jeannine Thoral, qui suivait la Grèce et Chypre dans le cadre de l'association. Elle a été d'une aide précieuse, impliquée et consciencieuse. C'était assez rare pour une bénévole. "
Marie-Claude Hessler était chargée de la commission juridique d'Amnesty. Son rôle : créer un réseau de juristes et d'avocats afin qu'ils prennent conscience que certains de leurs confrères sont emprisonnés dans d'autres pays. " Elle a donné une impulsion à ce réseau ", explique Geneviève Serieyx, qui a été à la tête des relations extérieures. Elle a d'ailleurs réalisé une cassette vidéo intitulée " Des juristes pour les droits de l'homme ", avec comme intervenants Roland Kessous, avocat général près la Cour de cassation, ou Mario Stasi, ancien bâtonnier de Paris. Tous ses anciens collègues saluent ses engagements " complètement désintéressés ". " Elle a l'argent pour mener des combats, et le mérite de les mener ", résume son mari.
C'est également ce que pense sa fille, Laurence Girard. Cette ancienne d'HEC est tête de liste socialiste du 7e arrondissement de Paris. Elle va affronter Rachida Dati, la garde des sceaux. C'est sa mère qui, en 2001, lorsque le parti cherchait des candidats de la société civile pour les élections municipales, a proposé son nom. Marie-Claude Hessler se définit comme une militante de base du PS du 7e arrondissement, depuis qu'elle a obtenu la nationalité française en 1998.
Elle aime s'amuser à la Game Boy, une console portable. Son dernier plaisir est sur son Palm. Un jeu de réflexion : " Je suis déjà au niveau 8 et j'ai dépassé les 400 000 points. C'est pas mal, non ? " Pour Noël, elle a reçu de son mari un puzzle fait à la scie à découper, fabriqué en Allemagne. A ses petits-enfants, elle évite d'offrir des jouets " made in China ". Eux se plaignent parfois que les jouets français soient " trop moches ".
Mustapha Kessous
© 2007 SA Le Monde. Tous droits réservés.
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