Zhou Shuguang, alias " Zola ", jeune blogueur chinois de 26 ans, a été interpellé, le 3 décembre, près de Shenyang, dans le Liaoning, alors qu'il enquêtait sur les éleveurs de fourmis floués par la société Yilishen.
Plusieurs milliers d'entre eux, des épargnants qui avaient investi dans l'élevage de fourmis pour la fabrication de produits aphrodisiaques, ont manifesté les 19, 20 et 21 novembre à Shenyang, autour du siège du gouvernement local. Interrogé pendant plus de vingt-quatre heures, il a été raccompagné jusqu'à Meitanba, dans le Hunan (sud de la Chine), où il réside, et sommé de signaler ses prochains déplacements.
Ces efforts quelque peu démesurés mis en oeuvre pour neutraliser un simple blogueur révèlent surtout le caractère extrêmement sensible que semblent avoir pris, aux yeux des autorités, les événements de Shenyang. Depuis près de deux semaines déjà, l'ensemble des messages ou des blogs concernant les manifestations, ainsi que le sort de la société Yilishen et de son président, qui aurait été arrêté le 23 novembre, ont été effacés. La presse chinoise est muette. Ce silence suspect avait poussé " Zola " à se rendre sur place.
La colère des éleveurs de fourmis de Shenyang est d'autant plus embarrassante que Yilishen a longtemps été l'un des fleurons économiques de la région. Ses suppléments diététiques se vendaient partout en Chine. Un comédien célèbre en faisait la publicité à la télévision.
Un système astucieux permettait à Yilishen d'obtenir sa matière première : des particuliers apportaient une mise de 10 000 yuans (1 000 euros) en échange d'un lot de fourmis, puis recevaient des dividendes à chaque récolte. Des centaines de milliers de gens (on parle d'un million), dont de nombreux anciens employés de sociétés d'Etat à la retraite, participaient à l'élevage qui ne demandait aucune expertise particulière et promettait 32 % de retour.
En 2004 pourtant, Yilishen avait ajourné son introduction en Bourse à Hongkong : les Etats-Unis avaient alors interdit l'un de ses suppléments sur le sol américain, car ils contenaient un ingrédient du Viagra sans nécessiter de prescription. Mais les succès apparents de Yilishen, la visibilité de son patron, Wang Fengyou, dans les médias, et ses relations haut placées rassuraient les petites gens du Liaoning.
Ce sont des rumeurs autour des difficultés de paiement de Yilishen, après que celle-ci avait manqué les remboursements d'octobre, qui ont inquiété les éleveurs. Or, on est alors en pleine préparation du 17e congrès du Parti communiste chinois, et le secrétaire général de la province, Li Keqiang, est l'un des dauphins potentiels de Hu Jintao. Au terme du congrès, il a rejoint comme prévu le Comité permanent du bureau politique : un incident dans la région qu'il contrôle aurait fait désordre.
Brice Pedroletti (Shanghaï, correspondant)
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