La Chine est de retour et va le crier au monde cet été. Lorsqu'elles proclameront l'ouverture des jeux Olympiques de Pékin à 20 heures 08 le 8 août 2008 - en mandarin le chiffre 8 est phonétiquement proche du mot signifiant « faire fortune » -, les autorités chinoises auront vengé deux siècles d'humiliation, de décadence et de dédain des puissances étrangères. L'ancien « homme malade de l'Asie » du XIXe siècle et du début du XXe va enfin laver son honneur. La Chine n'est plus un pays du passé, moqué par les impérialistes européens et japonais, mais la quatrième puissance économique mondiale. Son PIB pourrait même prochainement dépasser celui généré par l'Allemagne. Les plus grandes capitales du monde viennent désormais courtiser les cadres de son tout puissant Parti communiste pour vendre des avions ou obtenir un murmure sur l'un des dossiers diplomatiques jugés inextricables sans Pékin. Les Jeux seront le théâtre de cette renaissance. Les dirigeants l'avaient programmé dès les années 1990 lorsqu'ils tentaient d'effacer des mémoires occidentales les images de la violente répression des manifestations de la place Tiananmen en 1989. Pour célébrer la régénérescence de sa puissance, le pays a déjà dépensé plus de 38 milliards de dollars. Toutes les infrastructures ont été revues. Les nouveaux stades, aéroports, autoroutes et autres lignes de métro seront prêts bien avant l'heure. Dans la capitale, les « hutongs » trop pouilleuses ont été rasées. Six voies d'asphalte pur traversent désormais la ville entre les plus spectaculaires gratte-ciel du continent. Les hommes aussi ont été remaquillés. Les chauffeurs de taxi s'essayent désormais à des « thank you » et des « number one ». On crache un peu moins bruyamment dans les quartiers chics et un « jour de la queue » est même organisé le onze de chaque mois pour accoutumer les 15 millions de Pékinois aux règles de civilité occidentales. Rien ne doit choquer les 2 millions de visiteurs attendus pour l'événement. Pour qu'un mauvais brouillard de crasse ne vienne pas gâcher les épreuves retransmises pour au moins 2 milliards de téléspectateurs, Pékin a planté 200 millions d'arbres, déplacé ses industries les plus polluantes loin de la ville, prévu d'interdire de circulation 1 million de voitures et testé des fusées miniatures capables de dégager les nuages les plus gris. Beaucoup d'analystes ont vu dans ces engagements environnementaux les premières concessions de Pékin aux standards internationaux. Braqués sur la Chine, les projecteurs du monde ne pourraient que faire plier le pays et accélérer l'ouverture de son régime de parti unique. La force des Jeux n'a-t-elle pas déjà fait ses preuves en Asie ? Les Olympiades de Tokyo en 1964 avaient marqué le retour sur la scène internationale d'un Japon longtemps incapable de dépasser le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale. Ceux de Séoul en 1988 avait joué un rôle déterminant dans la démocratisation du régime militaire. Quelques signes ont semblé conforter cette thèse. En janvier dernier, Pékin a ainsi annoncé qu'il allait relâcher son contrôle des journalistes étrangers. Les 20.000 reporters attendus en 2008 pourront aller presque où ils le souhaitent et pourront interviewer qui ils veulent, a assuré le ministère des Affaires étrangères. Sur le terrain diplomatique, Pékin aurait aussi tenu compte de la pression internationale. Longtemps sourd aux appels de l'ONU, Pékin a notamment revu sa position sur le Darfour, en mars dernier, après la publication dans le « Wall Street Journal » d'un appel de l'actrice Mia Farrow à boycotter les « JO du génocide ». Visiblement choqué par la démarche, Pékin a accepté de soutenir l'envoi d'une force de maintien de la paix dans la région et a nommé un émissaire spécial pour suivre ce dossier épineux. Des craquements auraient donc été décelés dans la carapace chinoise. Programmant, avant et pendant les Jeux, des dizaines de manifestations en Chine et à l'étranger, retransmises « live » sur leurs sites Internet, les activistes partisans d'un Tibet indépendant ou de Falungong pensent désormais pouvoir contraindre Pékin à déclencher sa libéralisation politique, à envisager la liberté de la presse et pourquoi pas une démocratisation. Youtube serait-il sur le point de faire plier Mao ? En Chine, rien ne confirme cette lecture occidentale. Les rares concessions diplomatiques n'ont rien coûté à Pékin. Le durcissement du discours à l'encontre des autorités soudanaises est sans risque pour l'économie chinoise. Le régime soudanais a besoin de la Chine, qui s'impose comme son principal soutien économique. La Chine peut, elle, alimenter sa croissance sans le Soudan, où elle achète moins de 7 % de ses importations de pétrole. Le geste envers les journalistes étrangers ? Il s'est accompagné d'un durcissement du contrôle des médias et des portails Internet domestiques. Les seuls qui comptent réellement aux yeux de Pékin. Des dizaines de dissidents ont été arrêtés en prévision de la compétition. Les Jeux ne vont donc pas bousculer le régime chinois. Les autorités vont au contraire utiliser l'événement pour conforter leur mainmise totale sur le pouvoir. Le Parti communiste chinois n'a que deux sources de légitimité : sa réussite économique et le patriotisme. Il va célébrer les deux du 8 au 24 août. Le balai de délégations étrangères dans la capitale, une éblouissante cérémonie d'ouverture, les milliers de unes de la presse internationale sur la nouvelle Chine vont flatter la population et permettre de resserrer les rangs autour des institutions. Dans les stades, les athlètes chinois viendront conclure cette formidable opération de communication interne en donnant très probablement à leur nation la première place au tableau des médailles. Note(s) : YANN ROUSSEAU est correspondant des « Echos » à Pékin. © 2008 Les Echos. Tous droits réservés.
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