Pourquoi un tel rapport? Du point de vue de la Maison-Blanche, les missions des inspecteurs auront servi deux grands objectifs: premièrement, consolider la légitimité de l'attaque américaine auprès de l'opinion publique aux États-Unis et, deuxièmement, permettre aux forces américaines de gagner du temps et de déployer leurs troupes.
Les missions des inspecteurs en désarmement ont donné lieu à d'importants déploiements médiatiques. La population américaine a été inondée de reportages sur l'Irak, qui l'ont habituée à l'éventualité d'une guerre. Le gouvernement des États-Unis, en se pliant à une procédure qui passe par le Conseil de sécurité et par l'envoi d'inspecteurs, aura tenté d'accréditer l'impression qu'il s'est conformé au droit international. Cependant, l'impossibilité pour le Conseil de sécurité de s'entendre sur une invasion de l'Irak est déjà présentée comme une erreur d'interprétation du droit et comme un signe de faiblesse, ce qui au besoin autorisera les Américains à s'opposer aux décisions du Conseil et à se présenter en justiciers.
Les missions des inspecteurs ont aussi brouillé l'attention de l'opinion publique sur l'action principale des États-Unis avant le conflit, soit le déplacement massif de troupes dans la région. Mieux, ces déplacements de troupes ont été présentés comme un moyen de pression pour inciter les Irakiens à désarmer.
Report à l'an prochain?
Pour le gouvernement américain, les inspections de l'ONU ont atteint leur but et ne sont plus utiles. C'est à présent au tour des opposants à la guerre de tenter d'utiliser les missions d'inspection pour parvenir à leurs fins. Un prolongement des missions d'inspection en Irak, même de quelques mois, pourrait entraîner le report d'une intervention à l'année prochaine, puisque les conditions climatiques pour mener une guerre en Irak ne seraient plus optimales. Or, si l'opinion publique américaine semble aujourd'hui résignée à la guerre, un délai supplémentaire pourrait permettre aux opposants de mieux faire passer leur message et ainsi poser des difficultés considérables à l'administration Bush.
Dans les circonstances, on peut s'attendre à ce que les États-Unis s'opposent à toute prolongation des missions d'inspection et se mobilisent très rapidement dans une attaque contre l'Irak, avec ou sans l'aval du Conseil de sécurité.
Le désarmement de l'Irak soulève des enjeux qui dépassent largement les frontières de ce pays et de la région. L'arrivée de nouvelles technologies et la multiplication des échanges ont rendu de plus en facile et de moins en moins coûteux le développement d'armes de destruction massive. Il faut rappeler que la possession d'armes de destruction massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour attaquer un pays, puisqu'il faut encore que ce pays ait la capacité d'employer ces armes sans être détruit par la suite, ce qui n'est pas le cas de l'Irak. Ce qui est mis en cause à travers le désarmement de l'Irak, c'est la possibilité pour de petites et moyennes puissances de sanctuariser leur territoire, c'est-à-dire la possibilité d'utiliser les nouvelles technologies militaires pour dissuader tout pays d'intervenir militairement chez eux, sans faire face à des conséquences graves.
Les grandes puissances s'entendent toutes pour tenter de limiter la prolifération des armes de destructions massives parce que ces armes amoindrissent leurs possibilités d'interventions militaires dans les pays moins puissants. Le traité d'interdiction totale des essais nucléaires constitue un bon exemple de cette entente. Cependant, le traité n'a pas empêché l'Inde, le Pakistan ou la Corée du Nord de développer leur armement atomique et il est certain que plusieurs autres pays possèdent un tel armement, même s'ils ne le déclarent pas. Une limitation de l'armement est encore plus délicate et plus difficile à obtenir et à maintenir dans le cas d'armes qui sont plus faciles à produire, telles les armes biologiques.
On sait que les autres grandes puissances, en particulier la France, la Chine, la Russie et l'Allemagne, ne s'opposent pas au désarmement. Outre l'opportunité d'une invasion et les intérêts nationaux propres à chaque pays, ce qui divisent entre eux les membres du Conseil de sécurité, c'est la méthode utilisée par les États-Unis pour désarmer l'Irak. On peut en effet s'interroger sur l'efficacité à long terme d'une intervention militaire qui ne serait pas accompagnée d'importantes mesures d'aide et de réformes politiques, économiques et sociales, et ce non seulement en Irak, mais aussi dans toute la région.
L'auteur est professeur de science politique à l'Université Concordia.
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