La Chine n'est pas vraiment le pays de la repentance (même si c'est le pays de l'autocritique). Pourtant, la promotion honorifique attendue de Deng Pufang, le fils de Deng Xiaoping, qui fut cruellement persécuté pendant la Révolution culturelle, est ce qui s'approche le plus d'un retour critique sur un des épisodes les plus douloureux de l'histoire moderne de la Chine communiste.
Deng Pufang, 64 ans, devait en effet être nommé lundi vice-président de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CPPCC), la chambre basse du parlement chinois, sorte de sénat sans grand pouvoir. Un hommage rendu évidemment, à travers lui, à son père Deng Xiaoping, père des réformes économiques chinoises entamées à la mort de Mao Zedong, mais aussi à son itinéraire personnel.
Au cours de l'été 1968, en pleine Révolution culturelle, la lutte fait rage entre deux clans rivaux à l'Université de Pékin où étudie le fils de Deng Xiaoping, un des dirigeants communistes historiques, mais accusé par Mao d'appartenir à l'aile "révisionniste" du Parti, ayant l'ambition de réhabiliter la "ligne capitaliste". Deng Pufang est pris en otage par un groupe de "rebelles", et, pour tenter de se sauver, saute par la fenêtre et se blesse grièvement.
Les "rebelles" embarrassés l'emmènent à l'hôpital, mais le personnel, apprenant qu'il s'agissait du fils du "deuxième plus grand partisan du retour au capitalisme", refuse de l'accueillir. Finalement, Pufang est accepté dans un autre hôpital, mais, par souci de montrer qu'il n'y a pas de privilège au coeur de la révolution, le personnel refuse de l'admettre aux urgences, et l'abandonne dans le hall. Il délire pendant plusieurs jours sans soins, alors qu'il s'est brisé la colonne vertébrale et a endommagé l'épine dorsale. A un moment, ses soeurs explosent de colère devant l'attitude de ceux qui tiennent entre leurs mains le sort de leur frère très affaibli et veulent le renvoyer chez lui -c'est à dire à Zhongnanhai, le coeur du pouvoir maoiste!- sans l'avoir correctement soigné:
"C'est vous qui l'avez mis dans cet état. (...) Si vous osez le renvoyer à la maison, nous promènerons son corps jusqu'à la porte principale de Zhongnanhai, et nous dirons à tout le monde: 'Voici le fils de Deng Xiaoping. Voilà ce qu'ils lui ont fait. Regardez tous!' Si vous le renvoyez à la maison, voilà ce que nous ferons."
Sa soeur, Deng Rong, a raconté dans un livre de mémoires publié trois décennies plus tard le calvaire qu'a vécu Pufang pendant ces journées de l'été 1968, alors que la lutte pour le pouvoir était à son comble, instrumentalisant les Gardes rouges et la jeunesse chinoise au profit de rivalités personnelles. Deng Pufang restera paralysé toute sa vie. A partir de 1983, alors que son père est revenu aux commandes du pays, il se consacre à la cause des handicapés, présidant la Fédération chinoise des personnes handicapées.
La période de la Révolution culturelle est certes considérée officiellement comme une "erreur" de Mao Zedong, cette part de 30% d'actions négatives que le jugement de "70% positif" lui accorde... Mais si les histoires individuelles d'abus, d'injustices, de persécutions, sont légion, aucune remise en cause globale de cette période n'a encore été possible. La promotion de Deng Pufang n'est aucunement le signe avant-coureur d'un retour sur l'histoire plus objectif. Juste un hommage individuel à l'une des innombrables victimes de cette période sombre de l'histoire chinoise. Pas la seule hélas: son père, malgré les épreuves traversées, n'a pas hésité en 1989 à envoyer les chars sur la place Tiananmen, contre des jeunes qui avaient l'âge de son fils lorsqu'il a été broyé. L'histoire est sans pitié.
"Deng Rong, Deng Xiaoping and the cultural revolution", Foreign Languages Press, Beijing, 2002.
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