Entrevue avec l'historien David Ownby
La reprise des pourparlers entre la Chine et l'entourage du dalaï-lama, annoncée hier par Pékin, a surpris même les observateurs de l'empire du Milieu les plus aguerris. Y compris le directeur du Centre d'études de l'Asie de l'Est à l'Université de Montréal, David Ownby. La Presse a demandé à cet historien de mettre en contexte la décision des autorités chinoises et d'évaluer les chances de succès de tels pourparlers.
Q Pourquoi la Chine fait-elle volte-face et relance-t-elle le dialogue avec les Tibétains en exil? S'agit-il simplement de poudre aux yeux dans le but de calmer les esprits?
R J'ai été surpris par la décision, mais à y réfléchir, ça me semble un coup assez malin de la part de la Chine. Ce geste va désamorcer les problèmes que les manifestations, à la fois au Tibet et ailleurs dans le monde, posaient pour des leaders qui n'ont pas décidé s'ils allaient boycotter la cérémonie d'ouverture des jeux. À mon avis c'est avant tout un geste pour calmer les esprits. Ils n'ont d'ailleurs pas précisé la date de la reprise du dialogue. Je ne serais pas étonné s'ils remettaient cela à plus tard et qu'ensuite, après les pourparlers, ils disent: "on a eu un échange franc, on va se revoir dans quelques semaines" Le temps que les médias passent à autre chose et que les Jeux olympiques soient terminés.
Q Dans quelle mesure le passage chaotique de la flamme olympique dans plusieurs pays a-t-il été à la source de ce revirement?
R Les manifestations et surtout l'attitude de certains leaders occidentaux - que ce soit Nicolas Sarkozy ou Gordon Brown, ils sont plusieurs à envisager le boycottage des cérémonies d'ouverture - ont joué pour beaucoup dans la décision des leaders chinois.
Q Le porte-parole du dalaï-lama a dit hier qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction. Mais que faut-il attendre de cette reprise du dialogue?
R J'espère que ça va donner quelque chose de concret, de réel. Cela dit, je vois mal comment ça pourrait déboucher sur de réelles avancées. Les Tibétains seront contents uniquement si la Chine leur accorde une véritable autonomie. Or, la Chine n'a pas la moindre intention de faire ça. Le dialogue, c'est bien, mais j'ai du mal à croire que la Chine passera aux actes. Ce qui risque d'arriver, c'est que le monde va se dire: on a manifesté, la Chine a réagi, on peut arrêter. Mais il me semble peu probable que quoi que ce soit change au Tibet.
Q Comment cette décision sera-t-elle perçue en Chine?
R Ça permet aux leaders chinois de se faire voir comme faisant un geste magnanime par tous, mais surtout par leur peuple. Aux nationalistes chinois qui trouvent que l'Occident présente une image tendancieuse de ce qui se passe au Tibet, la Chine peut dire : le monde entier va voir que nous sommes plus dignes qu'eux.
Propos recueillis par Alexandre Sirois
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