samedi 26 avril 2008

Chine, le cercle vertueux - Alexandre Adler

Le Figaro, no. 19825 - Le Figaro, samedi, 26 avril 2008, p. 17

La Chine est, nous dit-on, bien compliquée. À la vérité, son système politique tout au moins est relativement simple à comprendre. Pour commencer, un théorème : depuis sa révolution en 1949, la Chine a scrupuleusement fait en sorte de passer par toutes les étapes de l'histoire soviétique mais, chaque fois, en y trouvant une conclusion nettement plus optimiste.


La prise de pouvoir de Mao fut beaucoup moins douloureuse que la guerre civile que menèrent les bolcheviks. Si le Grand Bond de 1958 fut tout aussi tragique que la collectivisation soviétique de 1930-1931, en revanche, les retombées politiques furent meilleures.

Au lieu d'un Staline pantelant mais triomphant sur les ruines des campagnes russes, Mao fut tout un temps confiné en robe de chambre autour de sa piscine et placé sous la curatelle d'un triumvirat bien plus performant : le président Qiao Shi, le chef de l'armée Peng Dehuai et le secrétaire général du Parti, Deng Xiaoping. Si cette direction collective qui commençait à redresser le pays pour de bon fut balayée par la Révolution culturelle, tout comme Staline parvint à balayer les Kirov, Kouïbychev et autres Toukhatchev-ski, il y eut là encore une sérieuse différence : la plupart des vieux cadres furent maltraités, parfois torturés, relégués au fin fond des campagnes et bafoués dans leur honneur par de jeunes voyous ignares, mais ils restèrent pour la plupart d'entre eux vivants à la chute du maoïsme et purent contribuer considérablement à sa liquidation franche à partir de 1972. On peut ajouter à cette énumération deux phénomènes décisifs, la grande alliance de la Chine et des États-Unis fut bien plus durable que celle de Roosevelt et de Staline contre Hitler (1972 fin des années 1980), et même lorsqu'elle déclina après 1989, elle permit néanmoins de maintenir des relations économiques stables et fructueuses, lesquelles sont l'une des plus importantes structures portantes de la stabilité de notre monde.

Au lieu des pitreries d'un Khrouchtchev, la Chine fut gouvernée pendant quinze années décisives par un Deng Xiaoping, revenu de son dogmatisme de jeunesse et qui n'avait aucune complaisance pour la période antérieure. La Chine préféra donc accomplir une véritable révolution économique et sociale antimaoïste, là où la Russie s'en était tenue à un bavardage antistalinien, le plus souvent inconséquent. Lorsque Deng quitta lentement le pouvoir, l'inévitable rectification brejnévienne, qu'allait incarner son successeur Jiang Zemin, prit rapidement un tour ploutocratique et même proaméricain. Aujourd'hui, la Chine est gouvernée par un « Gorbatchev » calme - le président Hu Jintao - et un « Andropov », résigné à maintenir les services de sécurité dans un rôle plus subalterne : le numéro deux du Parti, Zeng Quinhong.

Ce processus, tout à fait original, a permis un pluralisme politique de facto qui n'aura jamais existé dans le bloc de l'Est. Les oppositions internes en Europe de l'Est faisaient chuchoter mais avec une grande prudence. Depuis la fin de la Révolution culturelle, les batailles internes, au contraire, à la direction chinoise sont un secret de Polichinelle.À l'abri de cette pluralisation effective des directions, le peuple a repris considérablement son autonomie. La révolution capitaliste prodigieuse des années 1990 aura achevé en totalité, la transformation à la mexicaine du Parti communiste de Chine en parti révolutionnaire institutionnel, déconnecté enfin des unités de production.

Mais ici, commence le tournant obscur : à l'avènement de Hu Jintao, un libéral pragmatique, le débat interne devient méconnaissable. Plus personne ne veut revenir en arrière vers le socialisme d'État, plus personne non plus ne défend une stratégie véritable de démocratisation par peur des mécontentements politiques qui accompagneraient inévitablement les actuels bouleversements sociaux d'une ampleur inouïe. Si la réconciliation des libéraux et des centralisateurs est maintenant complète, une nouvelle faille, qui correspond mieux à la nouvelle Chine, s'est en même temps ouverte. Comme partout, elle oppose des mondialistes, encore dominants à la tête de l'État et des antimondialistes, qui sont loin d'être impuissants, depuis qu'ils ont rallié à leur point de vue un gros morceau de la direction militaire et le lobby énergétique et pétrolier, associés tout comme l'étaient leurs homologues américains depuis Eisenhower ou soviétiques à l'époque de Brejnev.

Bornons-nous ici à dire que, dans cet affrontement, nous devrions miser à fond sur le parti mondialiste, car il y va de tout l'équilibre de notre monde. Ce parti mondialiste, en outre, ne pourra pas en rester au stade actuel du despotisme éclairé, car il bénéficie aussi du poids politique croissant d'une diaspora, celle d'Asie du Sud-Est et de Hongkong, mais celle aussi d'un Kuo Min-tang qui a repris le contrôle de Taïwan sur une ligne de réunification et de démocratisation en profondeur de la Chine.

Le lecteur aura compris que les uns souhaitent ardemment le succès politico-culturel des Jeux olympiques, là où les autres n'entendent collectionner que des médailles et jouer sur les fautes de nos idéologues imbéciles pour mieux avancer leur programme nationaliste et autarcique qui fut, dans les années trente, celui de la défunte armée japonaise. À nous donc de choisir.

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