JOSEPH E. STIGLITZ, prix Nobel d'économie 2001, est professeur à l'université Columbia (New York). Les banquiers des banques centrales forment un club fermé qui a ses modes. Au début des années 1980, c'était le monétarisme prôné par Milton Friedman. Après son discrédit a débuté la quête d'un nouveau mantra. Ce fut le « ciblage d'inflation ».
Selon cette règle, les taux d'intérêt doivent être relevés quand la hausse des prix excède un niveau cible. Cette méthode rudimentaire repose sur une théorie économique médiocre et peu de preuves empiriques - il n'y a pas de raisons de croire que, quelle que soit la source d'inflation, la meilleure solution est d'augmenter les taux d'intérêt.
Le ciblage d'inflation échouera vraisemblablement. Si les pays en développement subissent une inflation plus forte, ce n'est pas à cause d'une mauvaise gestion, mais de la poussée des prix du pétrole et des denrées alimentaires, qui absorbent une partie du budget des ménages plus grande que dans les pays riches. L'inflation dépasse par exemple 8 % en Chine et devrait bientôt atteindre 18 % au Vietnam, alors qu'elle reste à 4 % aux Etats-Unis. Les pays en développement doivent-ils augmenter leurs taux davantage que les Etats-Unis ?
Dans ces pays, l'inflation en grande partie est importée. Accroître leurs taux n'aurait que peu d'impact sur les cours mondiaux des céréales ou du pétrole. L'économie américaine étant plus puissante, un ralentissement aux Etats-Unis aurait plus d'effet sur les prix mondiaux. Au point de vue mondial, il faudrait relever les taux d'intérêt américains et non ceux des pays en développement !
Pour nombre de pays en développement, les prix élevés du pétrole et des produits alimentaires constituent une menace à trois niveaux : ils doivent payer plus pour payer leurs céréales importées, pour les faire venir et pour les livrer aux consommateurs qui vivent loin des ports. L'augmentation des taux d'intérêt peut réduire la demande mondiale, qui peut, à son tour, ralentir l'économie et contenir les hausses de prix. Mais, à moins que les taux ne soient portés à un niveau insupportable, ces mesures seules ne peuvent ramener l'inflation au taux visé. Supposons que les prix mondiaux de l'énergie et des denrées alimentaires augmentent à un taux plus modéré qu'actuellement, par exemple de 20 % par an. Pour ramener le taux d'inflation à 3 % dans un pays donné, il faut que tous les autres prix ralentissement brutalement, voire diminuent, au risque d'un ralentissement marqué de l'économie et une augmentation du taux de chômage. Le remède serait pire que le mal.
Que faire ? D'abord, il ne faut pas rendre les politiciens et les banques centrales responsables de l'inflation importée, ni leur attribuer le mérite d'une inflation contrôlée lorsque la conjoncture mondiale est propice. La faible hausse des prix observée en Amérique lors des années Greenspan vient ainsi d'abord de la baisse des prix des produits alimentaires et de la déflation en Chine. Ensuite, nous devons reconnaître que la hausse des prix provoque une forte angoisse. Les émeutes dans certains pays en développement ne font que révéler ce malaise.
Les défenseurs de la libéralisation du commerce ne seront jamais totalement honnêtes sur ses risques. Il y a plus de vingt-cinq ans, je démontrais que, dans des conditions plausibles, la libéralisation du commerce pourrait tous nous appauvrir. Je n'argumentais pas en faveur du protectionnisme mais lançais plutôt un appel à la prudence. Lorsqu'il s'agit d'agriculture, les pays développés protègent les consommateurs et les agriculteurs contre les risques.
Pour éviter un retour de bâton encore plus violent que celui de la mondialisation, l'Occident doit répondre vite et fort. Il faut supprimer les aides à la production de biocarburants, qui ont encouragé à passer de l'alimentation à l'énergie. Plus important encore, il faut abandonner le ciblage d'inflation. Il est déjà assez difficile de tenir la distance face à la hausse des prix des denrées et de l'énergie. Le ciblage d'inflation n'aura que peu d'impact : il ne fera que compliquer la survie dans ces conditions.
Note(s) :
Cet article est publiéen collaborationavec Project Syndicate.
JOSEPH E. STIGLITZ, prix Nobel d'économie 2001, est professeur à l'université Columbia (New York).
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