lundi 12 mai 2008

Arte cherche à s'implanter sur l'immense marché chinois de la production audiovisuelle

Le Monde - Politique, mardi, 13 mai 2008, p. 12

Avec, en moyenne, un milliard de téléspectateurs chaque jour, les télévisions chinoises intéressent les chaînes étrangères. Echanges et contacts se multiplient.
Fin mars, une délégation de la chaîne franco-allemande Arte, conduite par son président Gottfried Langenstein et son vice-président Jérôme Clément, s'est rendue à Pékin et à Shanghaï pour y rencontrer les patrons des chaînes chinoises, négocier la vente de programmes et esquisser des accords de production.

" La Chine joue un rôle important dans nos programmes, confie M. Langenstein. Nous avons diffusé plus d'une trentaine de films et de fictions qui y ont été produits et nous comptons développer nos liens avec l'ensemble des télévisions chinoises. "

Après avoir privilégié la coproduction cinématographique en investissant dans les films du réalisateur Wong Kar-Wai (2046) ou de Zhang Yimou (Les Triades de Shangai), Arte veut développer la coproduction de documentaires et de spectacles vivants (opéras, concerts...) appréciés des téléspectateurs chinois. " Il s'agit de proposer des émissions sur la Chine et de faire une place à ses créateurs ", explique M. Clément. " Nous souhaitons montrer la formidable mutation politique et économique du pays en ne négligeant pas les questions qui fâchent ", poursuit-il. Un discours accueilli " favorablement " par les responsables des groupes audiovisuels chinois (CCTV, Beijing TV, Shanghai Media Group).

Dans un premier temps, des échanges de catalogues vont être mis en place, puis Arte pourrait coproduire des documentaires historiques développés par les chaînes thématiques chinoises. Des négociations devraient aussi s'engager pour que la télévision franco-allemande ait accès aux archives des chaînes chinoises. Les dirigeants de l'audiovisuel chinois se sont dit intéressés par cette télévision diffusée en deux langues malgré le passé guerrier entre les deux pays. La direction de Beijing TV a ainsi souhaité que le rapprochement entre Chinois et Japonais suive la même voie. " La réconciliation entre les peuples passe souvent par la culture. Elle permet de mieux comprendre l'autre ", a-t-elle souligné.

Le marché local de la production audiovisuelle est immense. Selon le State Administration for Radio, Film and Television, l'organisme officiel de régulation chinois, près de 150 000 heures de programmes seraient produites chaque année par plus d'un millier de chaînes, dont de nombreuses télévisions locales. La publicité, limitée à six minutes par heure, rapporterait près de 8 milliards d'euros par an. Ces statistiques officielles sont toutefois approximatives du fait de l'amalgame des moyens de diffusion (hertzien, câble, satellite).

Ainsi, les chaînes étrangères accessibles par le câble et en accès payant sont-elles théoriquement interdites. Seuls les résidences diplomatiques et les grands hôtels sont autorisés à les diffuser. Mais près de 10 millions de foyers les capteraient grâce à des antennes paraboliques illégales. " Pour beaucoup de Chinois, le petit écran est le seul moyen d'information et d'ouverture sur le monde, insiste Guo Hua, responsable des acquisitions internationales de CCTV6, la chaîne consacrée au cinéma qui diffuse des films étrangers sous-titrés en mandarin.

L'oeIL VIGILANT DE LA CENSURE

A leur manière, les chaînes relaient le discours politique sur la nouvelle " société harmonieuse " voulue par Pékin. On en trouve des traces dans les documentaires historiques, les séries policières, les feuilletons qui connaissent un succès grandissant dans le pays. Sous l'oeil vigilant de la censure, ces productions revisitent l'Histoire chinoise en gommant ses aspects les plus négatifs comme les excès de la Révolution culturelle et n'hésitent pas à aborder les problèmes de corruption, mal récurrent qui ronge le pays. La télé-réalité est aussi très regardée.

Mais cette ouverture a ses limites. Les productions étrangères - notamment les dessins animés nippons et de rares séries américaines - ne sont pas diffusées aux heures de grande écoute. Une décision politique pour limiter l'influence et les " déviances " occidentales auprès de téléspectateurs qui passent chaque jour trois heures devant la télévision.

Daniel Psenny

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