vendredi 25 avril 2008

Les raisons de la colère chinoise - Jean-luc Domenach

La Croix, no. 38039 - Forum et débats, vendredi, 25 avril 2008, p. 13
Le fait qu'elles aient organisé une manifestation en plein Paris confirme que la campagne contre les JO de Pékin et en particulier ses manifestations parisiennes ont provoqué la fureur des autorités chinoises. Exceptionnellement, celles-ci sont appuyées par l'immense majorité des Chinois, même d'outre-mer.

Les Français ont été souvent sujets dans le passé à des explosions nationalistes. Évitons donc moqueries et mépris. Cherchons à comprendre, et commençons par évoquer les responsabilités françaises dans cette affaire. Reconnaissons que l'aile marchante du mouvement de critique des JO a exprimé sur la Chine des propos grossièrement exagérés. Quelque graves qu'aient été les crimes des autorités chinoises au Tibet de 1951 à 1978, et quelque sérieuses que soient les brimades de toute nature qu'elles lui ont imposées ensuite, leur domination est devenue moins dure et s'accompagne actuellement d'un réel progrès économique. Aussi justifiées qu'elles fussent dans leur fond, les émeutes commencées le 10 mars à Lhassa ont été de nature raciale et ont fait des victimes du côté chinois. Rappelons aussi que l'on n'a pas ou pas encore la preuve que la police armée chinoise ait tiré à Lhassa - ce qu'elle a hélas fait par la suite dans d'autres zones tibétaines.

Enfin, on a souvent utilisé des expressions excessives ou peu représentatives pour définir la situation chinoise : ainsi, le régime de Pékin n'est plus « totalitaire », mais « autoritaire », ce qui n'est certes pas brillant, et le fait que trente journalistes y soient emprisonnés n'est guère significatif puisqu'il s'y retrouve... 550 000 titulaires de cartes de presse. La description exagérée du contrôle exercé sur la population ou sur l'information revenait à négliger non seulement l'incontestable détente des années récentes et l'extrême diversité des situations, mais aussi le courage de nombreux acteurs sociaux. Les Chinois se sont sentis insultés.

En outre, la perception de l'insulte a réveillé chez beaucoup une douleur ancienne : celle qu'a provoquée et provoque encore la supériorité de l'Occident. La très grande majorité des Chinois doutent de leur aptitude à rejoindre notre niveau technologique, et plus encore ce qu'ils perçoivent comme notre « niveau de bonheur ». C'est pourquoi ils sont si nombreux à venir vivre en Occident et plus nombreux encore à en rêver : là est le paradoxe de la manifestation des Chinois d'outre-mer à Paris. Mais nous devons, nous, comprendre que ce doute les rend d'autant plus sensibles à notre regard sur eux, et nous comporter avec politesse.

Les dirigeants chinois, de leur côté, sont certainement divisés, ce qui permet d'imaginer une manoeuvre des « durs » du régime, et aussi d'espérer qu'un changement d'attitude intervienne, comme il y a quelques années sur la question japonaise. Mais la majorité d'entre eux sont furieux que leur politique au Tibet et leurs manoeuvres olympiques soient dénoncées alors qu'ils les estimaient conformes à la légalité internationale - en négligeant les apports essentiels de Médecins sans frontières et de l'interventionnisme humanitaire, qui influent désormais sur l'attitude des opinions et de diplomaties occidentales !

Comme les neuf dixièmes des États de la planète, les dirigeants chinois s'estiment chez eux à l'intérieur de leurs frontières légales, et ils se donnent une légitimité supplémentaire qui est celle du développement économique dont ils font profiter le Tibet - mais sans demander l'avis de sa population... Ils ne comprennent pas de quel droit leur domination est remise en question par une alliance de « bling bling », de militants des droits de l'homme, de religieux et de faiseurs d'opinion qui n'ont pour eux aucune réalité institutionnelle - mais une influence sur l'opinion.

En outre, ils ont utilisé - sans vergogne certes - les moyens politiques et financiers exigés par le CIO pour recevoir les Jeux et, comme leurs prédécesseurs, ils entendent en faire une vitrine de leurs succès : quel mal à cela ? Ils n'avaient pas prévu qu'ils ne profiteraient pas du même consentement, et encore moins que leur bilan humanitaire médiocre et leurs méthodes commerciales souvent scandaleuses seraient utilisés contre leur politique olympique.

Au fond, à titre plus général, les dirigeants chinois sont furieux de ce qu'on leur refuse de plus en plus souvent une stratégie extérieure que d'autres pays avant eux, tel le Japon, avaient utilisée en toute impunité : profiter au maximum des avantages que leur vaut l'entrée dans le marché mondial mais en modulant à leur guise leurs concessions à ses règles. Cela, l'Occident l'accepte moins aisément de la Chine dès lors qu'elle prétend jouer les premiers rôles : il lui est désormais demandé d'accélérer ses mutations intérieures et d'abandonner ses pirateries commerciales.

Ainsi, derrière nos exagérations médiatiques et les explosions xénophobes chinoises, c'est un vrai et grave problème qui se pose : celui des modalités de l'atterrissage de la Chine parmi les grands de ce monde.

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